Les manifestants antirégime iraniens vont probablement intensifier leurs revendications

Les funérailles de Mahsa Amini à Saqqez, dans la province du Kurdistan, en Iran. (Photo Twitter)
Les funérailles de Mahsa Amini à Saqqez, dans la province du Kurdistan, en Iran. (Photo Twitter)
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Publié le Jeudi 15 décembre 2022

Les manifestants antirégime iraniens vont probablement intensifier leurs revendications

Les manifestants antirégime iraniens vont probablement intensifier leurs revendications
  • La police et le Corps des gardiens de la révolution islamique ont eu recours, comme à leur habitude, à la violence pour intimider les manifestants et les forcer à mettre fin au mouvement de protestation
  • Le peuple a acquis de plus en plus d’assurance, ne limitant plus ses revendications à la question du hijab mais insistant sur le fait qu'il faut déraciner le régime

À la suite du déclenchement des manifestations à travers l'Iran en septembre, le régime iranien avait au début parié qu'elles finiraient par décroître et se calmer, comme cela s’était passé lors des manifestations précédentes. Afin de gagner ce pari et de sortir de la crise, le régime a mené une politique conjuguant des mesures visant à calmer et apaiser les manifestants, d’une part, et le recours à une forte répression.             
Par rapport aux mesures prises par le régime pour étouffer la colère publique, il a condamné le meurtre de la jeune femme kurde Mahsa Amini qui a déclenché les manifestations. La soi-disant police des mœurs, qui a arrêté Amini et l'a emmenée dans l'un de ses centres de détention, où elle a été brutalement battue et tuée pour la seule raison d’avoir porté le hijab «de manière inappropriée», a exprimé ses regrets pour sa mort.
Par la suite, le président iranien, Ebrahim Raïssi, est intervenu et a promis à la famille d'Amini d’ouvrir une enquête afin de révéler les détails de l'incident. D'autres institutions du régime ont appelé à l'abrogation de la disposition légale qui fait du non-respect du port obligatoire du hijab une infraction pénale.
En ce qui concerne les mesures prises par le régime pour réprimer les manifestations, la police et le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) ont eu recours, comme à leur habitude, à la violence pour intimider les manifestants et les forcer à mettre fin au mouvement de protestation. Toutes ces mesures ont cependant échoué et les manifestations en sont maintenant à leur troisième mois. En conséquence, le régime s'est retrouvé dans une situation difficile, confronté à d'intenses pressions internes et externes nécessitant certaines concessions.
Dans ce contexte, le procureur général iranien, Mohammed Jafar Montazeri, a annoncé la semaine dernière le démantèlement de la notoire police des mœurs lors d'une réunion avec plusieurs religieux dans la ville de Qom. En outre, Montazeri a déclaré que l'Assemblée consultative islamique et le pouvoir judiciaire réexamineraient la loi obligatoire sur le hijab.
Cette décision tardive, qui pourrait indiquer un changement tactique de la part du régime iranien, n'était rien de plus qu'une tentative de contenir la colère et l’élan grandissants du public, qui semblent constituer pour lui la plus grande menace depuis son arrivée au pouvoir en 1979. Cependant, quel que soit le raisonnement derrière cette décision, celle-ci constituait une reconnaissance du régime du fait qu'il est confronté à une profonde crise existentielle qui l'a forcé à se plier aux exigences des manifestants et à la pression occidentale.
Cette décision donne également aux manifestants l'espoir que leurs voix seront entendues et que leurs revendications seront satisfaites, les encourageant à poursuivre les manifestations. En conséquence, contrairement aux calculs du régime iranien, la tactique consistant à dissoudre la police des mœurs ne constitue pas une raison suffisante pour mettre fin aux manifestations, mais plutôt un geste reflétant la faiblesse et le désarroi du régime, donnant ainsi un nouvel élan aux protestations.
Les revendications des manifestants dépassent désormais toutes les demandes des différents groupes, les manifestations ciblant directement les principales personnalités du régime, en particulier le guide suprême, Ali Khamenei, qui a été ciblé à plusieurs reprises par des slogans comme «Mort au dictateur». Cela est clair dans la manière dont les manifestations se sont poursuivies sans relâche dans les jours qui ont suivi l'annonce du démantèlement de la police des mœurs, avec des appels à la grève générale dans diverses villes et provinces iraniennes.
Alors que les manifestations qui se poursuivent depuis septembre ont été initialement déclenchées par le meurtre de Mahsa Amini, cet incident n'en était pas la seule motivation ni la cause profonde. Ces manifestations sont, en réalité, l'aboutissement de décennies de colère publique dues à une répression systémique, aux violations des droits humains, à la marginalisation, à la pauvreté, aux privations, à la corruption et au gaspillage des ressources du pays au profit d'ambitions expansionnistes extraterritoriales aberrantes et stériles.
La méfiance du peuple à l'égard des déclarations officielles et des intentions du régime a donné l'impression aux Iraniens que le prétendu démantèlement de la police des mœurs n'était qu'une tactique cynique pour empêcher les manifestations de dégénérer en un soulèvement populaire généralisé comme celui qui avait renversé le shah Mohammed Reza Pahlavi en 1979. Le peuple iranien estime que, même si la police des mœurs est effectivement dissoute, les fonctions de cet organisme seront simplement transférées à d'autres appareils de l'État.
Pour la rue iranienne, la révision par le régime de la loi sur le hijab obligatoire n'implique pas le fait qu'il annulera le port obligatoire du hijab dans le pays, car cette question est considérée comme faisant partie intégrante de l'identité idéologique du régime théocratique.

 

Le régime s'est retrouvé dans une situation difficile, confronté à d'intenses pressions internes et externes qui nécessitent certaines concessions.

Dr Mohammed al-Sulami

Dans l'ensemble, il est évident que les manifestations des trois derniers mois ont d'abord incité le régime iranien à utiliser tous les moyens possibles pour les étouffer, y compris une répression sévère, des arrestations et des meurtres. Cependant, lorsque tous ces efforts ont échoué, le régime a reconnu tardivement qu'il faisait face à une très forte pression de la part des manifestants pour que leurs revendications soient satisfaites. Cette fois-ci, le peuple a acquis de plus en plus d’assurance, ne limitant plus ses revendications à la question du hijab mais insistant sur le fait qu'il faut déraciner le régime.
Malgré les propos du procureur général concernant le démantèlement de la police des mœurs, aucun communiqué officiel appuyant son annonce n'a encore été publié. Si cette annonce reflète bien les intentions du régime, cela signifie que la pression des manifestants a commencé à porter ses fruits. La prochaine phase comprendra sans aucun doute non seulement une escalade des manifestations, mais également des démarches visant à augmenter le niveau des revendications. Les manifestants exigeront une résolution immédiate d'autres problèmes qui ont longtemps été considérés comme une ligne rouge, tels que le pouvoir absolu de Khamenei et l'implication du CGRI dans la politique et l'économie. En outre, ils sont susceptibles de faire pression pour plus de libertés et de garanties sociales et politiques afin de s’assurer du fait que les minorités iraniennes soient représentées dans la gouvernance du pays et que leurs droits soient protégés.

Le Dr Mohammed al-Sulami est président de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah). Twitter: @mohalsulami
NDRL: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com