Fayrouz, l’une des plus grandes icônes vivantes de la chanson libanaise

Fayrouz en concert à Beyrouth en 2011. (AFP)
Fayrouz en concert à Beyrouth en 2011. (AFP)
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Publié le Dimanche 18 décembre 2022

Fayrouz, l’une des plus grandes icônes vivantes de la chanson libanaise

Fayrouz en concert à Beyrouth en 2011. (AFP)
  • Fayrouz est restée au Liban pendant toute la guerre et a refusé de prendre parti
  • C’est la splendeur et la polyvalence de la voix de Fayrouz qui continue de captiver le public à travers le monde

DUBAÏ: Fayrouz est la plus grande icône musicale vivante du monde arabe. Elle reste cependant une énigme et conserve une aura de mystère parfois exaspérante. Elle accorde rarement des entretiens et protège ardemment la vie privée de sa famille. Sur scène, elle apparaît immobile et sans expression. Ces caractéristiques sont elles-mêmes devenues emblématiques. Les traits marquants, mais dépourvus d’émotion de Fayrouz, ornent tout – des sacs à main aux affiches en passant par les murs de la ville de Beyrouth.

Née Nouhad Haddad en 1934, Fayrouz a enregistré, au cours de sa carrière, des centaines de chansons, joué dans des dizaines de comédies musicales et de films et fait le tour du monde. À partir de 1957, date de son premier concert au Festival international de Baalbeck, elle est devenue l’une des chanteuses les plus appréciées du monde arabe. Et ce faisant, elle unifierait sa patrie souvent agitée.

Tous les Libanais se souviennent de la première fois où ils ont entendu Fayrouz. Pour Tania Saleh, c’était lors d’un trajet en voiture vers la Syrie alors qu’elle fuyait le début de la guerre civile libanaise. Elle se souvient d’une chanson en particulier «Roudani Ila Biladi» (Ramenez-moi dans ma patrie).

«Cette chanson m’a vraiment marquée», déclare Tania Saleh, auteure-compositrice-interprète et artiste visuelle. «Ma mère pleurait pendant qu’elle conduisait et la chanson a créé ce moment d’émotion vraiment intense. «Comment une chanson peut-elle autant affecter quelqu’un? Ce n’est qu’une chanson», avais-je pensé. «Mais elle m’a aussi affectée d’une manière que j’avais du mal à comprendre à l’époque.»

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Fayrouz (au centre) se produit au Théâtre Picadilly de Beyrouth en 1975 avec William Haswani (à droite) et son fils Ziad Rahbani (à gauche), habillés en policiers ottomans, dans la pièce musicale Mais el-Rim, écrite par les frères Rahbani. (AFP)

Fayrouz est restée au Liban pendant toute la guerre et a refusé de prendre parti. Bien qu’elle ait continué à chanter dans des salles à travers le monde, elle ne s’est pas produite au Liban jusqu’à la fin du conflit. Cette neutralité et la nature patriotique de nombre de ses chansons ont fait d’elle un symbole rare d’unité nationale. Tous les partis écoutaient sa musique tout au long des quinze années de guerre civile. Elle était, comme le dit Tania Saleh, un «point d’ancrage affectif pour tous les Libanais pendant la guerre», quelles que soient leur religion et leurs convictions politiques. Lorsqu’elle sort «Li Beirut», dont l’adaptation et l’arrangement musical ont été faits par Ziad Rahbani en 1984, Fayrouz et Beyrouth deviennent inséparables. Plus que jamais, elle incarnait l’essence même de l’identité libanaise.

Rien de tout cela n’aurait été possible sans la musique des frères Rahbani. Fayrouz, qui était choriste à Radio Liban au début des années 1950, a rencontré Mansour et Assi Rahbani par l’intermédiaire du compositeur Halim el-Roumi en 1951. Elle a épousé Assi quelques années plus tard et ensemble, le trio allait révolutionner la musique populaire libanaise. Les frères Rahbani ont favorisé la fusion des genres musicaux, y compris les traditions folkloriques levantines et la musique d’Amérique latine, incorporant des éléments occidentaux et russes dans leurs compositions. C’est cependant Fayrouz qui fut la voix de leur vision musicale.

 

Fayrouz a chanté un Liban presque mythique. Elle a chanté l’amour et le désir mais aussi un village de montagne libanais idéalisé, des oliviers et du jasmin, des vignes et des ruisseaux. «D’un point de vue lyrique, ils ont créé le Liban que nous aimons maintenant», dit Tania Saleh à propos des frères Rahbani, qui ont suivi les traces d’écrivains comme Khalil Gibran et Mikhail Naimy et qui ont contribué à forger une image romancée du Liban à laquelle beaucoup de citoyens s’accrochent encore aujourd’hui.

Comme le note la poétesse et réalisatrice palestinienne Hind Shoufani, Fayrouz représente «la fille du village, les histoires d’amour, la quête d’eau douce, la montagne, la résistance, le pouvoir du peuple; ce genre d’existence quotidienne simple et belle qui est en harmonie avec la nature. À ce titre, ses chansons ont une émotion supplémentaire, déchirante, puisque le Liban qu’elle chante ne ressemble en rien au Liban d’aujourd'hui. Elle chante un rêve qui s’estompe – un rêve partagé par une grande partie du monde arabe.

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Fayrouz et son mari Assi Rahbani (deuxième à partir de la droite) arrivent à l’aéroport d’Orly en France en 1975. Ils sont accueillis par l’impresario français Johnny Stark (à droite). (Getty Images)

Cette vision était enracinée dans l’âge d’or du Liban, Fayrouz étant intimement liée à la formation d’une identité culturelle nationale dans les années qui ont suivi l’indépendance de la France. Comme le dit le célèbre producteur de musique indépendante Zeid Hamdan, Fayrouz porterait cette identité «avec élégance et profondeur comme aucun autre chanteur».

Fayrouz et les frères Rahbani ont changé à jamais la musique arabe populaire. Oum Koulthoum, une autre icône du monde arabe, chantait des chansons d’amour qui pouvaient durer une heure parfois et étaient profondément ancrées dans la tradition du tarab. Les chansons de Fayrouz et des frères Rahbani, cependant, étaient beaucoup plus courtes, utilisaient le dialecte libanais et comprenaient de nouvelles formes mélodiques.

«En tant que musicien, je suis très inspiré par le dialecte que chante Fayrouz», déclare M. Hamdan, mieux connu comme la moitié du duo trip-hop Soapkills. «Ce n’est pas seulement l’arabe classique, c’est souvent le libanais moderne, et les Rahbani – de Assi à Ziad – ont utilisé le dialecte libanais de manière très intelligente dans leur répertoire.»

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Fayrouz se produit à l’Ice Skating Arena du Koweït le 3 mai 2001. (AFP)

M. Hamdan a été présenté à Fayrouz à la fin des années 1990 par Yasmine Hamdan, sa partenaire au sein du duo Soapkills. Encouragé par elle, il achète une double cassette de «Andaloussiyat» de Fayrouz et tombe immédiatement amoureux de trois titres, dont «Ya Man Hawa».

«Les paroles sont tout simplement incroyables», dit-il. «C’est une forme de poésie vieille de plusieurs centaines d’années appelée muwashshah et j’aimerais pouvoir rendre justice à la beauté des mots.» Une autre était «Yara El Jadayel» où Fayrouz «chante très haut et très doucement – la mélodie presque chuchotée sur un arpège».

C’est la splendeur et la polyvalence de la voix de Fayrouz qui continue de captiver le public à travers le monde. M. El-Roumi a trouvé sa voix si belle qu’il lui a donné le surnom de Fayrouz (turquoise en arabe), devenant la première personne à composer des musiques pour elle.

«Fayrouz a l’une des voix les plus caractéristiques du monde arabe», affirme la chanteuse égypto-belge Natacha Atlas, qui a travaillé avec des artistes comme Peter Gabriel et Nitin Sawhney. «On peut toujours savoir que c’est elle. Sa voix est aussi délicate que belle et forte, et la capacité de sa voix à porter des émotions aussi fortes est toujours extraordinaire. Elle est l’une de mes plus grandes influences. Quand je l’entends, je fonds souvent en larmes devant la beauté pure de sa voix. Elle évoque aussi une profonde nostalgie en moi pour le Moyen-Orient tel qu’il était autrefois, et comment tout a changé presque au-delà de toute reconnaissance.»

La renommée de Fayrouz en dehors du Levant peut également être attribuée à son soutien à la cause palestinienne. Dès 1957, Fayrouz et les frères Rahbani sortent «Rajioun» (Nous reviendrons), une collection d’hymnes pro-palestiniens. Cela a été suivi en 1967 par la sortie de «Al-Quds Fil Bal» (Jérusalem dans mon cœur) et, pas plus tard qu’en 2018, elle dédiait encore des chansons aux Palestiniens tués à la frontière de Gaza avec Israël.

Lorsque la santé de son mari commence à décliner dans les années 1970, Fayrouz collabore plus étroitement avec son fils Ziad, l’aîné de ses quatre enfants. L’un des albums que lui-même a composés était «Wahdon» en 1979 et il comprend la chanson «Al Bosta».

«J’aime son expérience avec Ziad», déclare Tania Saleh. «Les albums qu’ils ont produit ensemble ont poussé Fayrouz vers le jazz, la bossa nova et parfois le funk. Cela a donné à Fayrouz une autre dimension – celle de la prise de risques. Elle est sortie de sa zone de confort et c’est très rare.»

Cela a contribué à renforcer sa réputation auprès d’une jeune génération et elle continue d’évoquer un profond sentiment de nostalgie, non seulement parmi les Libanais, mais à travers le Levant et l’Afrique du Nord. De nombreux Libanais commencent encore leur journée en écoutant les chansons de Fayrouz et, malgré les disputes familiales sur les redevances, sa performance controversée à Damas en 2008 et les accusations de plagiat dirigées contre la famille Rahbani, son statut d’icône culturelle perdure. Lorsque le président français Emmanuel Macron s’est rendu au Liban en 2020, il a choisi la maison de Fayrouz comme l’une de ses premières escales, et non celles des dirigeants politiques du pays.

«Ils ont décrit ce beau Liban, nous faisant croire que c’était notre pays, alors que ce n’était, en réalité, qu’une image qu’ils avaient créée», dit Tania Saleh de Fayrouz et des frères Rahbani. «Nous l’avons cherché. Où est ce Liban dont vous parlez les amis? Nous avons toujours essayé de le trouver, mais sans succès. Heureusement, ils ont créé cette image et nous leur devons le lien que nous avons avec notre pays.»

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Pour Liam Cunningham, star de « Game of Thrones », le monde « n'oubliera pas » ceux qui sont restés silencieux sur Gaza

L'acteur irlandais Liam Cunningham a déclaré que le public « n'oubliera pas » ceux qui n'ont pas exprimé leur soutien aux Palestiniens pendant le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza. (AP/File Photo)
L'acteur irlandais Liam Cunningham a déclaré que le public « n'oubliera pas » ceux qui n'ont pas exprimé leur soutien aux Palestiniens pendant le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza. (AP/File Photo)
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  • L'Irlandais est un ardent défenseur de la cause palestinienne depuis des décennies
  • « Ce qui me préoccupe, c'est que les personnes qui se sentent concernées et qui ne font rien sont, à mon avis, pires que celles qui ne se sentent pas concernées », a-t-il déclaré

LONDRES : L'acteur irlandais Liam Cunningham a déclaré que le public « n'oubliera pas » ceux qui n'ont pas exprimé leur soutien aux Palestiniens pendant le conflit actuel entre Israël et le Hamas à Gaza.

La star de « Game of Thrones » est un fervent défenseur des causes palestiniennes depuis des décennies. Lors d'une manifestation à Dublin menée par l'Irlando-Palestinien Ahmed Alagha, qui a perdu 44 membres de sa famille dans le récent assaut israélien contre Gaza, Cunningham a déclaré qu'il avait été félicité par ses pairs dans le passé pour son activisme.

« Ce qui me préoccupe, c'est que les personnes qui se sentent concernées et qui ne font rien sont, à mon avis, pires que celles qui ne se sentent pas concernées », a-t-il déclaré.

On a demandé à Cunningham s'il avait parlé à d'autres acteurs pour les convaincre de soutenir la cause palestinienne, mais il a répondu en disant qu'il ne pouvait répondre des autres, a rapporté The Independent.

Il a toutefois ajouté : « Internet n'oublie pas. Lorsque cela se produira, lorsque la CIJ (Cour internationale de justice) et la CPI (Cour pénale internationale) feront, je l'espère, leur travail honorablement, cela se saura », a-t-il déclaré.

« Et les gens qui n'ont pas parlé ne seront pas oubliés. Ce génocide est retransmis en direct et il n'est pas possible de dire que l'on ne savait pas. Vous saviez. Et vous n'avez rien fait. Vous êtes restés silencieux. Je dois pouvoir me regarder dans le miroir, et c'est pourquoi je parle », a-t-il ajouté.

Un mois après qu'Israël a lancé son assaut sur Gaza en réponse aux incursions du Hamas sur le territoire israélien, le 7 octobre, qui ont fait près de 1 200 morts et quelque 250 otages, Cunningham a déclaré que, pour les Irlandais, ignorer le traitement réservé aux Palestiniens reviendrait à « trahir » leur histoire.

« Si nous nous permettons d'accepter ce comportement, alors nous acceptons que cela nous arrive », avait-il déclaré à l'époque. « Nous devons défendre des normes. Nous devons défendre le droit international et cela nous réduit en tant qu'êtres humains si nous ne le faisons pas ».

L'assaut israélien sur Gaza a tué plus de 34 000 Palestiniens, dont environ deux tiers d'enfants et de femmes, selon les autorités sanitaires de l'enclave dirigées par le Hamas.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com


Le pape François à Venise, son premier déplacement en sept mois

Le pape François salue lors d'une audience avec des pèlerins hongrois dans la salle Paul VI du Vatican, le 25 avril 2024 (Photo, AFP).
Le pape François salue lors d'une audience avec des pèlerins hongrois dans la salle Paul VI du Vatican, le 25 avril 2024 (Photo, AFP).
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  • En se rendant à Venise pour la première fois depuis son élection en 2013, le pape entend d'abord rassurer sur sa capacité à assurer son ministère
  • Depuis sa visite à Marseille en septembre 2023, Jorge Bergoglio n'a plus voyagé

VATICAN: Le pape François, 87 ans, est attendu dimanche à Venise pour une visite éclair, son premier déplacement hors de Rome en sept mois en raison de son état de santé précaire.

Depuis sa visite à Marseille en septembre 2023, Jorge Bergoglio n'a plus voyagé. Une bronchite l'a contraint à annuler son voyage à Dubaï en décembre et son état général, de plus en plus fragile, à éviter les déplacements.

En se rendant à Venise pour la première fois depuis son élection en 2013, le pape entend d'abord rassurer sur sa capacité à assurer son ministère, quelques semaines après les inquiétudes suscitées par son accès de fatigue au moment des fêtes de Pâques.

François doit arriver en hélicoptère à 08H00 (06H00 GMT) à la prison pour femmes de l'île de la Giudecca, qui abrite le pavillon du Saint-Siège à la 60e Biennale d'art contemporain de Venise.

Dans cet ancien couvent qui accueille des femmes condamnées à de longues peines, l'évêque de Rome, sensible à la place des marginalisés, rencontrera les 80 détenues et visitera l'exposition qu'elles ont montée aux côtés de dix artistes.

A l'écart des projecteurs et de la foule, le pavillon du Saint-Siège est l'un des plus en vue de la prestigieuse manifestation d'art et propose aux visiteurs une expérience immersive et déroutante, où les œuvres côtoient les barbelés.

"Ce sera un moment historique puisqu'il sera le premier pape à visiter la Biennale de Venise", a estimé le conservateur de l'exposition, le cardinal portugais José Tolentino de Mendonça, lors d'une conférence de presse.

Cela "démontre clairement la volonté de l'Eglise de consolider un dialogue fructueux et étroit avec le monde des arts et de la culture".

Messe place Saint-Marc 

Chiara Parisi, commissaire de l'exposition, a souligné "l'émerveillement" et "l'espérance" des détenues vis-à-vis de cette visite.

"Le pape agit au-delà de la parole" en se déplaçant auprès d'elles, des "personnes qui ont à cœur de jouer un rôle même quand elles sont dans une situation très dure", a-t-elle déclaré à l'AFP.

Le pape s'exprimera ensuite devant des jeunes à 10H00 (08H00 GMT) devant l'emblématique basilique Santa Maria della Salute, dont le dôme majestueux domine l'entrée sud du Grand Canal, à deux pas de la place Saint-Marc.

Après avoir rejoint la célèbre place grâce à un pont éphémère, il présidera une grande messe à 11H00 (09H00 GMT) en présence de nombreux responsables politiques et religieux. Il quittera la Lagune en début d'après-midi pour rentrer au Vatican.

Après Paul VI (1972), Jean-Paul II (1985) et Benoit XVI (2011), François est le quatrième pape à se rendre dans la Cité des Doges.

L'histoire de la Sérénissime est étroitement liée à celle de la papauté. Au XXe siècle, trois patriarches de Venise sont devenus papes.

Le diocèse de Venise est un des plus grands de la péninsule avec 125 paroisses. Venise est en outre l'un des rares patriarcats de l'Eglise latine.

La visite du pape intervient le week-end d'introduction d'une entrée payante de cinq euros pour les touristes à la journée: en tant qu'invité, il devrait en être exempté, mais les pèlerins non résidents y seront soumis.

Après ce déplacement, le jésuite argentin doit effectuer deux autres voyages dans le nord de l'Italie, à Vérone en mai et à Trieste en juillet.

Cette visite intervient aussi alors que le Vatican vient d'officialiser une ambitieuse tournée papale aux confins de l'Asie et de l'Océanie en septembre (Indonésie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Timor oriental et Singapour), le plus long voyage de son pontificat, qui s'annonce comme un ambitieux défi sur le plan physique.


Tanger, le «havre de liberté» des grands noms du jazz

Abdellah El Gourd, légende marocaine de la musique gnawa âgée de 77 ans, pose pour une photo dans la vieille ville de Tanger le 23 avril 2024 (Photo, AFP).
Abdellah El Gourd, légende marocaine de la musique gnawa âgée de 77 ans, pose pour une photo dans la vieille ville de Tanger le 23 avril 2024 (Photo, AFP).
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  • Cette année, la cité, bordée par la Méditerranée et l'Atlantique, a été désignée ville-hôte de la Journée internationale du jazz, par l'Unesco
  • Randy Weston et Abdellah El Gourd vont de leur côté repousser les limites de la création, devenant les précurseurs de la fusion entre sonorités jazz et gnaoua

TANGER: Au siècle dernier, Randy Weston, Idrees Sulieman ou Max Roach ont traversé l'Atlantique pour découvrir Tanger, devenue le repère des grands jazzmen américains. Un héritage qui sera célébré mardi dans la métropole du nord du Maroc, lors de la Journée internationale du jazz.

"La ville a eu un pouvoir d'attraction fascinant sur une vague d'intellectuels et musiciens. Ce n'est pas pour rien qu'un écrivain disait qu'il y avait toujours un paquebot qui chauffait à New York en partance pour Tanger", explique à l'AFP Philippe Lorin, fondateur d'un festival de jazz dans la grande ville portuaire.

Cette année, la cité, bordée par la Méditerranée et l'Atlantique, a été désignée ville-hôte de la Journée internationale du jazz, par l'Unesco. A partir de samedi, elle abrite des conférences et spectacles en plein air qui culmineront dans un grand concert mondial avec le pianiste Herbie Hancock et les bassistes Marcus Miller et Richard Bona ou le guitariste Romero Lubambo.

Le cosmopolitisme de Tanger puise ses racines dans son statut d'ancienne zone internationale, administrée par plusieurs puissances coloniales de 1923 jusqu'en 1956 quand le Maroc a pris son indépendance.

Son rayonnement a été alimenté par le passage d'écrivains et poètes du mouvement littéraire de la "beat generation" mais aussi de jazzmen afro-américains "en quête de leurs racines africaines", souligne l'historien Farid Bahri, auteur de "Tanger, une histoire-monde du Maroc".

"Tanger était un havre de liberté comme l'est la musique jazz", note M. Lorin.

Weston débarque à Tanger 

"La présence des musiciens américains à Tanger était également liée à une diplomatie américaine très active", complète l'historien marocain.

Le célèbre pianiste Randy Weston a posé ses valises durant cinq ans à Tanger après une tournée dans 14 pays africains en 1967, organisée par le département d'Etat américain.

Le virtuose de Brooklyn a joué un rôle déterminant dans la construction du mythe de la ville du détroit, à laquelle il a dédié son album "Tanjah" (1973).

"Randy était un homme d'exception aimable et respectueux, il a beaucoup donné à la ville et ses musiciens", confie à l'AFP Abdellah El Gourd, un maître gnaoua (musique spirituelle originaire d'Afrique de l'ouest, introduite par les descendants d'esclaves), ami et collaborateur du pianiste américain décédé en 2018.

Un autre moment charnière de cette épopée est l'enregistrement en 1959 d'une session musicale avec le vénérable trompettiste Idrees Sulieman, le pianiste Oscar Dennard, le contrebassiste Jamil Nasser et le batteur Buster Smith au studio de la Radio Tanger International (RTI) à l'invitation de Jacques Muyal.

Ce Tangérois d'à peine 18 ans, animateur d'une émission de jazz sur RTI, produit alors, avec les moyens du bord et sans le savoir, un album de référence qui circulera dans les cercles de jazz avant son édition sous le titre "The 4 American Jazzmen In Tangier" en 2017.

«Expérience unique»

Randy Weston et Abdellah El Gourd vont de leur côté repousser les limites de la création, devenant les précurseurs de la fusion entre sonorités jazz et gnaoua.

"La barrière de la langue n'a jamais été un problème car notre communication se faisait à travers les gammes. Notre langage était la musique", raconte M. El Gourd, dans une salle de répétition aux murs tapissés de photos souvenirs de tournées internationales notamment avec Weston et le saxophoniste Archie Shepp.

Une longue collaboration qui donnera naissance 25 ans plus tard à l'album "The Splendid Master Gnawa Musicians of Morocco" (1992).

En 1969, le pianiste américain décide d'ouvrir un club de jazz baptisé "African Rythms Club" au-dessus du célèbre cinéma Mauritania.

"On répétait là-bas, Randy y invitait ses amis musiciens. C'était une belle époque", se remémore le maâlem (maître) de 77 ans qui a parcouru le monde aux côtés de Weston.

Puis en 1972, l'Américain se lance dans la folle aventure d'organiser un premier festival de jazz à Tanger avec des invités de marques dont le percussionniste Max Roach, le flûtiste Hubert Laws, le contrebassiste Ahmed Abdul-Malik, le saxophoniste Dexter Gordon mais aussi Abdellah El Gourd.

"C'était une expérience assez unique car c'était la première fois qu'on jouait devant un public aussi nombreux", se souvient le musicien, jusqu'alors habitué aux performances gnaouas réservées à l'époque à des cercles restreints.

L'expérience ne durera qu'une seule édition mais inspirera Philippe Lorin pour créer, près de trois décennies plus tard, le festival Tanjazz, organisé chaque année en septembre.