Ces rues de France qui portent des noms d’immigrés: Est-ce déjà le Grand-Remplacement?

 Plaque de la rue Lounès Matoub, Paris. Chabe01, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons
Plaque de la rue Lounès Matoub, Paris. Chabe01, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons
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Publié le Mercredi 25 janvier 2023

Ces rues de France qui portent des noms d’immigrés: Est-ce déjà le Grand-Remplacement?

Ces rues de France qui portent des noms d’immigrés: Est-ce déjà le Grand-Remplacement?
  • En 2020, le gouvernement français avait chargé une Commission spéciale d’établir une liste de 500 personnalités françaises «d’origine immigrée» susceptibles d’être honorées en donnant leurs noms à des rues
  • La contribution d’anciens colonisés à l’Histoire de France ne date pas d’hier

En 2020, le gouvernement français avait chargé une Commission spéciale (sous la houlette de Nadia Hai, ex-ministre de la Ville, d’origine marocaine) d’établir une liste de 500 personnalités françaises «d’origine immigrée» susceptibles d’être honorées en donnant leurs noms à des rues. Sur les 500 noms proposés, 318 furent retenus (dont 68 noms de femmes).

La Commission avait établi sa liste en remontant jusqu’au début du XXe siècle dans l’histoire de France. Ainsi, on trouve le nom de Chérif Cadi, qui fut un officier français d'artillerie et, surtout, «le premier musulman de l'Algérie française admis à l'École polytechnique». Elle aurait pu interroger le XIXe siècle, sachant que des «Tirailleurs algériens» avaient été immobilisés en 1870, pour renforcer l’Armée française durant la guerre franco-allemande.

En 1831, déjà, la France coloniale créa en Algérie un corps d’infanterie formé de soldats indigènes, qui prendront le nom de «Zouaves». Ils participeront également à la Première Guerre mondiale, au sein de «l’Armée d’Afrique». Mais ce que l’on ne sait pas, c’est que des Zouaves (issus de Kabylie: de zouaouas ou zouwawas) avaient remporté des victoires en Crimée (1854-1856), et même au Mexique (1862-1867), toujours au service de la France!

Ainsi, la contribution d’anciens colonisés à l’Histoire de France ne date pas d’hier. Mais ladite Commission a-t-elle retenu des noms de cette époque? Comme celui de ce Zouave blessé le 29 février 1855, que l’on peut voir au Musée Condé, ou de ce Zouave tué en marchant à la charge.

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Le Zouave blessé, Crimée 29-02-1855 (Musée Condé, Chantilly)
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Zouave tué en marchant à la charge (Musée de l’Armée, Paris)

Bien sûr, ce projet d’attribuer des noms originaires de pays essentiellement maghrébins à des rues de France ne pouvait que susciter déchaînements et invectives à l’extrême-droite. À Béziers, des voix n’ont pas raté l’occasion pour rappeler le cas d’un changement de nom d’une rue qui fit scandale, alors que le nom contesté était celui d’un Français qui fut déporté à Buchenwald! Le maire de la ville, Robert Ménard, avait tenu à remplacer la «Rue du 19-Mars 1962» (date du cessez-le-feu, en Algérie) par la «Rue Hélie de Saint-Marc».

Problème: en 1958, cet ancien commandant de l’Armée française, partisan de l’Algérie française, avait participé au Putsch des généraux contre le général de Gaulle, ce qui lui vaudra une condamnation à dix ans de réclusion dont il effectuera la moitié avant d’être gracié en 1966 par Charles de Gaulle lui-même, puis réhabilité en 1978…

Que vaut donc l’apport à la France d’un ancien colonisé ou de son descendant, comparé à celui d’un Français «de souche»? Pourtant, certains arrondissements parisiens ne manquent pas de rues évoquant le Maghreb. Voire: «Dans le XIXe, les rues à consonance arabe sont si nombreuses que vous vous sentez presque transporté en Afrique du Nord. Le Maroc y a sa place, avec une rue éponyme depuis 1846, et la rue de Tanger, ville que les Français ont bombardée en 1844» (1) . On connaît, par ailleurs, le nom de Nadiya Lazzouni, d’origine algérienne, honorée à Caen et qu’Arab News en français a déjà interviewée (2)…

À défaut d’honorer une personnalité marquante en donnant son nom à une rue, on peut toujours rebaptiser un espace culturel. Ce fut le cas pour le penseur islamologue Mohammed Arkoun, dont le nom fut donné à une bibliothèque, sise au cœur de Paris.

arkoun
23 octobre 2013, inauguration, par le maire de Paris, Bertrand Delanoë, de la bibliothèque Mohammed Arkoun (anciennement bibliothèque Mouffetard).

À Toulouse, le 25 octobre dernier: un espace sans dénomination fut baptisé «Place Idir», du nom du chanteur algérien, légende de la musique kabyle, décédé en 2020 (3) , en présence du maire, Jean-Luc Moudenc, et de ses adjoints (d’origine algérienne): Fella Allal, déléguée à la lutte contre la discrimination et à l'égalité citoyenne, et Djilali Lahiani, chargé de la jeunesse et des centres de loisirs.

toulouse

Bien avant l’hommage à Idir, il y eut celui rendu à un autre chanteur kabyle, Lounès Matoub, une célébrité qui connut un destin tragique: il fut assassiné le 25 juin 1998 (crime revendiqué par un émir du GIA). Son nom figure sur une dizaine de plaques, notamment à Montreuil, Sarcelles, Aubervilliers, Vaulx-En-Velin, Saint-Martin-d’Hères, Nancy, Saint-Etienne. Au sud de Paris, dans le XIVe arrondissement, l’aîné des chanteurs kabyles, Slimane Azem (1918-1983), a «sa» Place, depuis le 11 octobre 2014, non loin de la Place de Catalogne.

lounes
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=106229789
sliman
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=106229789

Depuis une décennie, on assiste à une campagne de dénigrement menée contre le wokisme et la Cancel-Culture (4). Une campagne virulente qui pousse tant de «démocrates» français à appeler au boycott du film d’Omar Sy, Tirailleurs, un film historique à plus d’un titre. Face à ce déni, dans leur Guide du Paris colonial et des banlieues, Didier Epsztajn et Patrick Silberstein (5) posaient déjà la bonne question: «Est-il normal que des rues et boulevards parisiens portent les noms d'esclavagistes ou généraux ayant tenu des propos racistes?»

Parmi ces derniers, les auteurs désignent «le pire d’entre eux»: Bugeaud… Quand on sait, d’après le constat «inadmissible» établi par les deux auteurs, que «200 rues parisiennes (sur les 6 000 que compte la capitale) rendent hommage à la colonisation» (6) , comment ne pas applaudir la décision de la mairie de Nantes d’honorer Joséphine Baker, Myriam Makeba ou Gisèle Halimi? En attendant le tour de ceux ou celles que suggèrent les auteurs du Guide en question: «Frédéric Passy, premier prix Nobel de la paix en 1901 pour son hostilité au colonialisme; le chef kanak rebelle Ataï; la citoyenne Corbin, auteure d’une Marseillaise des citoyens de couleur; Hocine Belaïd, ouvrier municipal communiste d’Aubervilliers tué par la police en 1952; Fatima Bedar, disparue le 17 octobre 1961; les indigènes anonymes des régiments coloniaux qui ont pris Monte Cassino (…) » (7).

 (1) https://www.courrierinternational.com/article/2006/03/09/si-le-paris-arabe-m-etait-conte.
 (2) https://www.arabnews.fr/node/83161/france
 (3) https://lopinion.com/articles/actualite/14441_toulouse-noms-nouvelles-rues
(4) https://www.arabnews.fr/node/335126/salah-guemriche
(5) «Guide du Paris colonial et des banlieues» (Éditions Syllepse, 2017).
(6) Pierre Magnan: https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/a-paris-quelque-200-rues-rendent-hommage-a-la-colonisation_3055433.html
(7)  https://www.streetpress.com/sujet/1510665415-paris-hommage-colonisation-inadmissible

 

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.