Séisme en Turquie et en Syrie: La diplomatie des tremblements de terre aura-t-elle un impact à long terme?

Des femmes passent devant un immeuble résidentiel effondré à la suite d'un tremblement de terre meurtrier en Turquie. (Photo, REUTERS)
Des femmes passent devant un immeuble résidentiel effondré à la suite d'un tremblement de terre meurtrier en Turquie. (Photo, REUTERS)
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Publié le Dimanche 05 mars 2023

Séisme en Turquie et en Syrie: La diplomatie des tremblements de terre aura-t-elle un impact à long terme?

Séisme en Turquie et en Syrie: La diplomatie des tremblements de terre aura-t-elle un impact à long terme?
  • Parmi les visites les plus importantes en Turquie figurent celles des ministres des Affaires étrangères de la Jordanie et des Émirats arabes unis
  • La politique ne doit pas être mêlée à la tragédie en cours et le soutien humanitaire ne doit pas être perçu sous un angle politique

La solidarité et la sympathie face aux catastrophes constituent le point commun qui rapproche les nations. Les chercheurs affirment que les catastrophes poussent à la coopération même entre des pays traditionnellement ennemis. Toutefois, ce type de diplomatie n'est généralement pas durable. Il permet de resserrer les liens et de réduire les tensions, mais il faut un engagement ferme afin de maintenir cet esprit dans la période qui suit la catastrophe.

Cela fait presque un mois que les tremblements de terre dévastateurs ont frappé la Turquie et la Syrie, coûtant la vie à plus de 50 000 personnes et détruisant des centaines de bâtiments. L'aide et l'assistance internationales à la Turquie et à la Syrie sont toujours en cours, car les deux pays sont entrés dans une nouvelle phase du processus de séisme, à savoir la reprise après la phase initiale de sauvetage.

Au cours du mois dernier, plusieurs ministres des Affaires étrangères se sont rendus en Turquie pour exprimer le soutien et la solidarité de leur pays avec le peuple turc. De même, plusieurs responsables arabes se sont rendus en Syrie, qui est isolée au niveau international à cause de la guerre dévastatrice qui a ravagé le pays.

Parmi les visites les plus importantes en Turquie figurent celles des ministres des Affaires étrangères de la Jordanie et des Émirats arabes unis. Plus récemment, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, a visité la Syrie et la Turquie, devenant ainsi le plus haut responsable égyptien à le faire depuis plus de dix ans. Lors de sa première visite, en Syrie, Choukri a rencontré le président syrien, Bachar el-Assad. Lors de sa visite suivante, en Turquie, il a rencontré son homologue turc, Mevlut Cavusoglu dans la ville d'Adana, dans le sud du pays, qui a été touchée par les tremblements de terre. Plus tard, les ministres turc et égyptien ont visité le port de Mersin, où un navire d'aide égyptien est arrivé lundi.

La délégation égyptienne a précisé que l'objectif de ces visites était avant tout humanitaire et qu'il s'agissait de transmettre la solidarité de l'Égypte — de la part des dirigeants, du gouvernement et du peuple d’Égypte aux peuples des deux pays. Plus tard, Choukri a déclaré dans des propos tenus sur une chaîne de télévision égyptienne locale que la visite indiquait une volonté de tourner la page avec les deux pays. La visite «reflète l'intérêt pour les relations entre l'Égypte et les deux pays de revenir à leur statut normal», a-t-il indiqué.

«Malgré les évolutions remarquables, les relations turco-égyptiennes comportent encore des défis qui nécessitent un dialogue plus étroit.»

    Sinem Cengiz

Un jour après le premier tremblement de terre, le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, a appelé son homologue syrien, ce qui a constitué le premier échange officiel entre les deux présidents. Le même jour, Al-Sissi s'est également entretenu avec le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Quelques jours plus tard, une délégation de parlementaires de toute la région, dont le président du parlement égyptien, a rencontré El-Assad à Damas. L'Égypte a rouvert son ambassade en Syrie en 2013 mais a gardé ses distances avec le régime d’El-Assad. Auparavant, les ministres des Affaires étrangères égyptien et syrien s'étaient rencontrés en 2021 en marge de l'Assemblée générale des Nations unies.

En ce qui concerne Ankara, un rapprochement est en cours. Erdogan et Al-Sissi se sont serré la main lors de la Coupe du monde 2022 au Qatar — un autre pays avec lequel l'Égypte a récemment rétabli ses relations. S'adressant aux journalistes à Mersin, Cavusoglu a déclaré qu'Erdogan et Al-Sissi pourraient se rencontrer à nouveau prochainement. «Au cours de nos entretiens d'aujourd'hui, nous avons échangé des considérations sur les visites mutuelles dans la prochaine période. Nos vice-ministres des Affaires étrangères se sont rencontrés deux fois précédemment et il serait bénéfique pour eux de se rencontrer à nouveau», a-t-il signalé. «Après nos entretiens, nos présidents peuvent se rencontrer soit en Turquie, soit en Égypte.»

Une telle visite serait susceptible de consolider le processus de normalisation entre les deux pays, mais la capitale qui sera choisie pour la première rencontre en tête-à-tête nous en dira long. En outre, malgré les développements remarquables, il reste des défis dans les relations qui nécessitent un dialogue plus étroit et une compréhension mutuelle afin de parvenir à une solution. Ceci ne peut être atteint que par le biais de la rationalité et du pragmatisme. La manière dont la diplomatie du tremblement de terre contribuera à améliorer les relations entre la Turquie et l'Égypte apparaîtra clairement dans les mois à venir.  

Du côté syrien, El-Assad pourrait s'attendre à ce que la diplomatie du tremblement de terre facilite son chemin vers la normalisation avec la politique arabe et lui permette de se tailler un nouveau rôle dans le monde arabe. Néanmoins, bien que plusieurs pays cherchent à renouer le dialogue avec Damas depuis un certain temps, ils se heurtent à des difficultés dans la mise en place d'une politique viable. Le régime d'El-Assad n'a pas grand-chose à offrir en matière de processus politique ou d'alignement régional et les pays de la région en sont bien conscients. Par conséquent, leur objectif actuel est principalement humanitaire plutôt que politique et repose essentiellement sur une approche prudente à l'égard de Damas. En d'autres termes, la politique ne doit pas être mêlée à la tragédie en cours et le soutien humanitaire ne doit pas être perçu sous un angle politique.

Avant que les tremblements de terre ne frappent la Turquie et la Syrie, les deux pays voisins étaient sur le point de franchir une nouvelle étape dans leurs relations après une décennie d'inimitié. Cependant, ni Ankara ni Damas n'ont envoyé de condoléances à l'autre partie à la suite des tremblements de terre et il semble que la diplomatie du tremblement de terre n'ait pas fonctionné entre ces deux capitales, car les conditions causées par cette catastrophe ont modifié leurs priorités.

Dans le cas de la Syrie, il est peu probable que la solidarité internationale actuelle avec le peuple syrien conduise les pays à établir une relation durable avec le régime en raison de la tragédie humanitaire qui s'y déroule, même avant la catastrophe.

 

Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. Twitter: @SinemCngz

 

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com