Retraites: le gouvernement inflexible face à la mobilisation

Une photo montre une fenêtre brisée au bureau de circonscription du président français de droite Les Républicains (LR) et député Eric Ciotti, après avoir été vandalisé, à Nice, dans le sud-est de la France, le 19 mars 2023. (AFP)
Une photo montre une fenêtre brisée au bureau de circonscription du président français de droite Les Républicains (LR) et député Eric Ciotti, après avoir été vandalisé, à Nice, dans le sud-est de la France, le 19 mars 2023. (AFP)
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Publié le Dimanche 19 mars 2023

Retraites: le gouvernement inflexible face à la mobilisation

  • Signe de tension dans le pays, la permanence du député Eric Ciotti à Nice a été caillassée la nuit de samedi à dimanche pour «faire pression» et qu'il vote lundi la motion de censure à laquelle il est opposé
  • Face à la contestation, plusieurs poids lourds de la majorité présidentielle sont montés au créneau pour défendre la réforme des retraites

PARIS: Le gouvernement français reste inflexible dimanche quant à sa réforme très contestée des retraites, malgré de nouvelles mobilisations et des violences, à la veille d'un vote pour tenter de le renverser.

Signe de tension dans le pays, la permanence du député Eric Ciotti à Nice (sud-est), également chef du parti LR de droite, a été caillassée la nuit de samedi à dimanche pour "faire pression" et qu'il vote lundi la motion de censure à laquelle il est opposé.

Face à la contestation, plusieurs poids lourds de la majorité présidentielle sont montés au créneau pour défendre la réforme, qui vise notamment à faire passer de 62 à 64 ans l'âge de départ à la retraite.

Le "premier objectif" du gouvernement "est de mener cette réforme pour sauver notre système de retraite" et "nous le tenons", a affirmé le ministre du Travail, Olivier Dussopt, au Journal du Dimanche.

"Je pense qu'il n'y aura pas de majorité pour faire tomber le gouvernement", a assuré son homologue de l'Economie Bruno Le Maire au journal Le Parisien.

"Mais ce sera un moment de vérité. La réforme des retraites, vaut-elle oui ou non, la chute du gouvernement et le désordre politique? La réponse est clairement +non+", a-t-il affirmé.

Selon un sondage publié par le Journal du Dimanche, la popularité d'Emmanuel Macron s'est écroulée en mars, à 28%, au plus bas depuis le sortir, en 2019, du mouvement de contestation populaire des "gilets jaunes". Il fait 70% de mécontents.

Et, après plusieurs journées de mobilisation et de manifestations, la décision jeudi du gouvernement d'Elisabeth Borne de passer ce texte en force a mis le feu aux poudres.

Il a choisi de recourir à l'article 49.3 de la Constitution, qui permet l'adoption d'un texte sans vote, sauf si une motion de censure est adoptée.

Depuis, des rassemblements organisés ou spontanés se déroulent sur tout le territoire, dans le calme ou avec des débordements.

Barricades 

La contestation s'est en effet durcie ces derniers jours, portée par de jeunes militants, alors que des grèves se poursuivent dans les transports, les raffineries et chez les éboueurs.

Une situation qui a conduit les autorités à interdire samedi tout rassemblement sur la grande place parisienne de la Concorde, proche de l'Assemblée nationale et du palais présidentiel de l'Elysée. Des milliers de personnes s'y étaient réunies et des heurts avaient éclaté jeudi et vendredi soirs.

Les manifestants parisiens, quelque 4.000 selon une source policière, se sont repliés samedi soir sur la place d'Italie.

Feux de poubelles qui jonchent les rues de la capitale, abris-bus saccagés, barricades improvisées, heurts avec les forces de l'ordre... Face aux casseurs, les organisateurs ont décidé assez vite la dissolution de la manifestation.

Au total, les forces de l'ordre ont procédé à 169 interpellations en France samedi, dont 122 à Paris, selon le ministère de l'Intérieur.

Si Eric Ciotti a déjà indiqué que son parti Les Républicains ne voterait "aucune" des motions de censures déposées, pour ne pas "rajouter du chaos au chaos", une poignée de députés de son camp ont annoncé qu'ils voteraient au moins la motion transpartisane présentée par un groupe indépendant.

Comme Eric Ciotti, d'autres parlementaires pro-réforme ont été pris pour cible par des opposants, alors que dès jeudi soir, la patronne des députés de la majorité présidentielle (parti Renaissance) Aurore Bergé avait demandé au ministre de l'Intérieur de "mobiliser les services de l'Etat" pour la "protection des parlementaires".

Vers l'arrêt de raffineries 

Les syndicats ont appelé à intensifier la mobilisation durant le week-end, face à ce qu'ils qualifient de "déni de démocratie".

"L'Assemblée a besoin d'avoir une caisse de résonance dans la rue. On doit être là pour montrer qu'on est en désaccord profond avec cette réforme", expliquait une manifestante, Léa Botté, 29 ans, à Lille (nord).

Le syndicat CGT a annoncé samedi que la plus grande raffinerie du pays, située en Normandie (nord-ouest) et exploitée par TotalEnergies, avait commencé à être mise à l'arrêt, une première depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites.

Très lourde techniquement, l'opération prendra plusieurs jours et ne devrait pas provoquer de pénuries de carburant immédiates, mais elle pourrait faire tâche d'huile. Au moins deux autres raffineries sur les sept du pays pourraient être mises à l'arrêt au plus tard lundi, a prévenu la CGT.

Le ministre français de l'Industrie Roland Lescure a laissé entendre samedi que le gouvernement pourrait répliquer en procédant à des réquisitions d'agents, comme pour le ramassage des déchets à Paris, où environ 10.000 tonnes d'ordures jonchent toujours les trottoirs, selon la mairie.


Retraites: amélioration de la circulation à Rennes après d'importants blocages

 Les blocages provoqués lundi par des manifestants opposés à la réforme des retraites et qui ont causé d'importantes perturbations du trafic à Rennes ont été levés en fin de matinée. (AFP).
Les blocages provoqués lundi par des manifestants opposés à la réforme des retraites et qui ont causé d'importantes perturbations du trafic à Rennes ont été levés en fin de matinée. (AFP).
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  • Dans la matinée, des images diffusées sur les réseaux sociaux montraient d'importants feux et des colonnes de fumée sur la chaussée du périphérique et des perturbations ont affecté également la circulation de certaines lignes de bus
  • Des perturbations en raison de manifestations ont également eu lieu ailleurs en Bretagne, comme dans le Morbihan sur la RN 165

RENNES: Les blocages provoqués lundi par des manifestants opposés à la réforme des retraites et qui ont causé d'importantes perturbations du trafic à Rennes ont été levés en fin de matinée, a-t-on appris auprès de la préfecture.

"A 11H30, la situation s'améliore à Rennes. Tous les points de blocage sont levés", a indiqué la préfecture d'Ille-et-Vilaine à l'AFP.

En raison de dégradations sur la chaussée, la vitesse sur une partie du périphérique restait limitée à 70km/h, selon la préfecture.

Une opération "ville morte" a été lancée pour ce lundi à Rennes sur les réseaux sociaux, notamment étudiants, alors que Rennes connaît de très nombreuses manifestations et aussi des dégradations, voire des violences, depuis le début de la contestation contre l'impopulaire réforme des retraites.

Dans la matinée, des images diffusées sur les réseaux sociaux montraient d'importants feux et des colonnes de fumée sur la chaussée du périphérique et des perturbations ont affecté également la circulation de certaines lignes de bus de la capitale bretonne, selon le gestionnaire du réseau Star.

Au sud de la ville, le dépôt pétrolier de Vern-sur-Seiche "est bloqué", selon Eric Sellini, responsable national de la CGT Chimie.

"Il travaille en liaison avec la raffinerie de Donges (près de Saint-Nazaire, ndlr). C'est un gros dépôt qui alimente une grosse partie de la Bretagne et l'ouest des Pays-de-Loire, un peu la Normandie, la Basse-Normandie", a-t-il détaillé à l’AFP.

Selon le site de TotalEnergies, ce dépôt "approvisionne l'Ouest en essence sans plomb 95 et 98, en gazole et en fioul domestique".

"On est arrivé à 04H45, on est à peu près une soixantaine, la plupart des routiers savent pourquoi on est là. On est aussi avec la CGT cheminots, on a structuré note action ensemble, on ne bougera pas", a déclaré Céline Cussac, responsable syndicale FO présente sur place.

Des perturbations en raison de manifestations ont également eu lieu ailleurs en Bretagne, comme dans le Morbihan sur la RN 165, important axe de communication qui relie Brest à Nantes.

"Faisant suite à des manifestations sociales et dans la nécessité d'effectuer des réparations urgentes, la RN 165 est coupée dans les deux sens de circulation à hauteur de Lanester. La durée de ces coupures est estimée à 4 heures", a indiqué Bison Futé qui a mis en place des déviations. La préfecture du Morbihan a précisé qu'une centaine de manifestants ont été présents sur les voies dans la matinée.

mas-ngu/mb/mpm

© Agence France-Presse


Grève des raffineries: la moitié des stations-service des Bouches-du-Rhône manquent de carburants

Cette photographie prise le 20 mars 2023 montre une file d'attente dans une station-service Elan à Marseille, dans le sud de la France. (AFP),
Cette photographie prise le 20 mars 2023 montre une file d'attente dans une station-service Elan à Marseille, dans le sud de la France. (AFP),
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  • Lundi, à 10H30, environ 8% des stations-service de France étaient à court d'essence ou de gazole, mais plusieurs départements connaissaient une situation beaucoup plus préoccupante, imputée par un syndicat professionnel à un effet de "panique"
  • L'arrêt de la plus grande raffinerie de France, en Normandie (TotalEnergies), et celui éventuel de deux autres raffineries en Normandie et près de Marseille, pourraient accentuer la pénurie

PARIS: De nombreuses stations-service étaient affectées lundi dans le sud-est de la France par des pénuries de carburants, sur fond de grèves des expéditions dans les raffineries contre la réforme des retraites, alors que la situation semblait globalement stable dans le reste du pays, selon des données publiques analysées par l'AFP.

Lundi, à 10H30, environ 8% des stations-service de France étaient à court d'essence ou de gazole, mais plusieurs départements connaissaient une situation beaucoup plus préoccupante, imputée par un syndicat professionnel à un effet de "panique", lié aux déclarations de leaders syndicaux appelant à faire le plein.

Dans les Bouches-du-Rhône, 50% des stations-service étaient affectées, des pourcentages à deux chiffres qu'on retrouvait dans les départements voisins du Gard (40,9%), du Vaucluse (33,33%), du Var (23,24%) et des Alpes-de-Haute-Provence (22,22%).

Autre foyer d'"emballement" des pénuries, la Loire-Atlantique (29,05% des stations touchées), où la raffinerie de Donges, à l'arrêt pour des problèmes techniques, a cessé ses expéditions de carburants depuis de nombreux jours.

L'arrêt de la plus grande raffinerie de France, en Normandie (TotalEnergies), et celui éventuel de deux autres raffineries en Normandie et près de Marseille, pourraient accentuer la pénurie.

Au niveau national, la situation n'est "pas dramatique", assure Francis Pousse, président du syndicat professionnel Mobilians qui représente 5.800 stations sur près de 10.000 en France, et note que le phénomène est "essentiellement concentré dans la région Paca".

"Pour l'instant", il s'agirait selon lui d'un épiphénomène, "sauf bien entendu la région Paca. Des remontées que j'ai de chacun de mes représentants de région, il n'y a pas de panique", a-t-il ajouté, soulignant ainsi une différence avec le conflit engagé à l'automne par les raffineries pour les salaires.

"Du produit on en a, on en a dans les dépôts", assure M. Pousse, même si "tant que vous avez cet effet d'emballement", les stations sont "plus dures à réapprovisionner".

La France compte 200 dépôts pétroliers et les pétroliers ont anticipé pour éviter la pénurie géante d'octobre dernier, causée par un conflit sur les salaires chez TotalEnergies et Esso.

M. Pousse souligne que 50% des carburants consommés en France sont importés.

Autre facteur pouvant expliquer ce bond des stations touchées par rapport à la fin de la semaine dernière, "on récolte ce matin l'absence de quasiment deux journées de livraisons, puisque dimanche il n'y en a pas, samedi, quand il y en a, ce n'est que le matin", rappelle M. Pousse.

Afin de juguler les achats de précaution, la préfecture du Vaucluse a décidé lundi de limiter les ventes de carburants dans les stations-services du département, jusqu'à jeudi inclus. Elle espère éviter ainsi ces scènes observées à Marseille, où dans une station-service manquant de certains carburants, un camion de ravitaillement est arrivé sous escorte policière.


Sur les piquets de grève autour de Paris, des éboueurs « déterminés » contre la réforme des retraites

En début de carrière, un chauffeur de benne gagne autour de 1.450 euros et peut espérer la finir avec 2.200 euros, indiquent des chauffeurs. (AFP).
En début de carrière, un chauffeur de benne gagne autour de 1.450 euros et peut espérer la finir avec 2.200 euros, indiquent des chauffeurs. (AFP).
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  • Sur le site d'incinération d'Ivry-sur-Seine, au sud-est de Paris, une trentaine de personnes, grévistes et leurs soutiens, étaient rassemblées tôt lundi matin autour d'un feu de bois
  • Lundi, deux motions de censure déposées contre le gouvernement d'Elisabeth Borne vont être soumises au vote des députées

IVRY-SUR-SEINE: "Marqués au corps par le travail", éboueurs et agents de propreté de la Ville de Paris restent mobilisés lundi contre le projet de réforme des retraites en France, cramponnés depuis deux semaines à leurs piquets de grève en région parisienne.

Sur le site d'incinération d'Ivry-sur-Seine, au sud-est de Paris, une trentaine de personnes, grévistes et leurs soutiens, étaient rassemblées tôt lundi matin autour d'un feu de bois, manteaux d'hiver sur le dos, buvant des cafés brûlants.

Eboueur parisien et responsable syndical de 53 ans, dont vingt-et-un de métier, Karim Kerkoudi a passé la nuit sur place. "Le jeu en vaut la chandelle", assure-t-il, "déterminé".

Si la réforme est votée, éboueurs et agents d'assainissement partiront à la retraite à 59 ans au lieu de 57.

"Chaque jour, je me lève à 4h45 pour aller porter, à deux, entre six et 16 tonnes d'ordures. J'ai des tendinites aux deux coudes. La douleur aux lombaires, on n'en parle même plus. On est marqué au corps par le travail", soupire Karim Kerkoudi.

Sur son téléphone, il montre une photo de lui le nez en sang. "Ce jour-là, je me suis pris un bac dans le visage, il était trop lourd et s'est décroché du camion. Une autre fois, je me suis brûlé le contour des yeux à cause d'un sac mal fermé qui contenait des liquides irritants", énumère-t-il.

Avant d'ajouter que, selon ses calculs, il devra "déjà travailler jusqu'à 67 ans pour une retraite à taux plein".

Lundi, deux motions de censure déposées contre le gouvernement d'Elisabeth Borne vont être soumises au vote des députées. Si elles n'obtiennent pas la majorité absolue, la réforme des retraites sera définitivement adoptée, en dépit de la contestation.

A l'entrée du site d'Ivry, Gursel Durmaz, 55 ans, filtre les arrivées. Seuls les grévistes et leurs soutiens peuvent rejoindre le piquet. "On n'est pas là pour mettre le bordel. On est là pour ne pas travailler jusqu'à la mort", explique, posté derrière la grille, cet éboueur syndiqué.

Près du feu, sous une tonnelle blanche, une table est encombrée de café et de pains au chocolat en sachet. Derrière un rideau, quelques lits de camp et des duvets.

« Stress permanent »

Au garage de Romainville, à l'est de Paris, la grève a été reconduite lundi matin pour une quinzième journée.

Etre chauffeur de camion-benne de la Ville de Paris est un "stress permanent", confie Abdu, dix-sept ans de boîte, qui préfère taire son patronyme par "peur" de sa hiérarchie.

"Circulation, cycliste à contre-sens et automobilistes impatients" sont son lot quotidien. "Il n'y pas un jour où on se fait pas insulter. On intériorise, on garde notre calme", explique-t-il. Certains collègues ont développé de l'"hypertension" et des "problèmes de dos".

Devant le site, un barrage filtrant a été mis en place après une réquisition des forces de l'ordre. Sur les 80 camions, seuls une dizaine sont sortis du garage pour opérer à Paris.

"Je comprends le ras-le-bol du Parisien mais il faut comprendre pourquoi on lutte", dit ce père de six enfants qui a commencé à travaillé à l'âge de 14 ans.

"Vous me voyez conduire un camion à 64 ans !", s'emporte sous couvert d'anonymat un de ses collègues, qui confie en avoir "ras-le-bol de voir régresser les conditions de travail et d'avoir un salaire qui ne bouge pas".

En début de carrière, un chauffeur de benne gagne autour de 1.450 euros et peut espérer la finir avec 2.200 euros, indiquent des chauffeurs.

A 53 ans, Ahmed se dit lui déjà "usé" après trois ans service. Cet ancien chauffeur de bus qui refuse de donner son nom a décidé de "chercher un boulot ailleurs", "mieux payé" et sans qu'on lui "balance des bras d'honneur sur la route et des insultes".

Autour du feu qui crépite à Ivry, les éboueurs se préparent à reconduire la mobilisation. Motion de censure ou pas, ils ne sont plus "à une nuit blanche près".