Vingt ans après l’invasion américaine, peut-on encore sauver l’Irak?

La police antiémeute prend position à Bagdad alors que des retraités manifestent le 27 février 2023. (AP).
La police antiémeute prend position à Bagdad alors que des retraités manifestent le 27 février 2023. (AP).
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Publié le Mardi 21 mars 2023

Vingt ans après l’invasion américaine, peut-on encore sauver l’Irak?

Vingt ans après l’invasion américaine, peut-on encore sauver l’Irak?
  • Vingt ans après l’invasion américaine, après la mort d’environ 500 000 Irakiens, l’Irak est une nation arabe clé qui demeure brisée et fragmentée
  • L’Irak, avec son immense richesse pétrolière, pourrait aspirer à un modèle social tout aussi florissant que dans le Golfe, s’il relevait les défis de la corruption, des milices et des dysfonctionnements politiques

L’invasion cataclysmique de l’Irak par les États-Unis était fondée sur des mensonges et des motivations frauduleuses, brisant l’équilibre de la région d’une manière qui a encore des conséquences aujourd’hui, en particulier après la destruction de la Syrie voisine qui a suivi.

Pendant des siècles, Bagdad et l’Irak ont constitué le cœur battant de la civilisation et de la culture arabes. Pourtant, vingt ans après l’invasion américaine, et après la mort d’environ 500 000 Irakiens, cette nation arabe clé demeure brisée et fragmentée, malgré ses immenses ressources naturelles.

Cette guerre a notamment fait de l’Irak l’un des pays les plus corrompus de la planète, dont les richesses ont été pillées à hauteur de 300 milliards de dollars (1 dollar = 0,93 euro) depuis 2003. Et les Irakiens sont enlisés dans la pauvreté, le chômage, la pollution de l’environnement, le dysfonctionnement des services publics, la montée en flèche de la toxicomanie et les tensions sectaires.

Ce n’est pas comme si le président George W. Bush et son vice-président Dick Cheney n’avaient pas été prévenus. Les dirigeants arabes étaient parmi les plus prompts à prédire l’issue de l’invasion. «Quiconque pense pouvoir contrôler l’Irak se fait des illusions», avait prévenu feu le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Saoud al-Faisal, à la veille de l’invasion.

Cependant, le monde arabe a également commis une erreur catastrophique en s’éloignant de l’Irak, coupant la nation de son berceau arabe. Des erreurs tout aussi fatidiques sont en train d’être commises avec le Liban et la Syrie. Les Américains ont suivi de manière disproportionnée les conseils d’une petite clique d’Irakiens dont le programme était dangereusement déformé, ce qui a conduit à la dissolution totale de l’armée et de la fonction publique.

Des milliers d’enseignants, de policiers, de médecins et de fonctionnaires de carrière ont été sommairement licenciés en raison d’éventuelles sympathies baasistes. Les escadrons de la mort sectaires ont réutilisé les registres du personnel licencié pour en faire des listes de personnes à abattre.

Les forces paramilitaires chiites qui sont revenues en Irak en 2003 avaient été nourries de slogans «mort à l’Amérique», mais elles ont conclu que la meilleure façon de consolider le pouvoir était de sourire gentiment et de chuchoter à l’oreille des Américains. C’est ainsi que des entités comme le Conseil suprême de la révolution islamique en Irak sont devenues des partenaires de choix des États-Unis, bien que ces groupes d’émigrés soient considérés avec suspicion par la plupart des Irakiens.

Le mandat de Nouri al-Maliki comme Premier ministre a poussé ces tendances à l’extrême; pour lui, la débaasification signifiait essentiellement la purge de tous les sunnites. Les horreurs de la période 2005-2008 sont difficiles à exagérer: des milliers d’Irakiens ont été massacrés chaque mois par les milices chiites et les extrémistes sunnites, ce qui a entraîné des changements démographiques massifs, en particulier à Bagdad.

Les États-Unis ont réussi à démanteler Al-Qaïda en Irak en mobilisant les forces d’éveil sunnites, mais M. Al-Maliki considérait ces forces comme une menace et les a éradiquées sans pitié, créant un vide que Daech était parfaitement configuré pour combler. Les milices responsables de massacres ont été intégrées par M. Al-Maliki dans la coalition paramilitaire Al-Hachd al-Chaabi, une force censée combattre Daech, mais qui, à long terme, a sans doute causé plus de dommages à l’Irak que Daech n’aurait jamais pu le faire.

Les manifestations de masse successives dans le sud du pays ont été réprimées par les paramilitaires du Hachd avec une violence brutale et des assassinats de journalistes et d’activistes. En revanche, les régions sunnites sont relativement calmes ces derniers temps, en grande partie parce que ces communautés pauvres sont désormais tellement marginalisées dans les affaires politiques que leur voix ne se fait plus entendre.

«Le système politique irakien n’a rien de récupérable ou de réparable. Lorsqu’on parle aux Irakiens aujourd’hui, on constate un véritable manque d’espoir et le sentiment que rien ne s’améliorera jamais.»

Baria Alamuddin

Les milices Hachd sont devenues encore plus corrompues en s’impliquant massivement dans les activités économiques, récoltant des milliards de dollars grâce aux points de contrôle illégaux, à la contrebande de pétrole, à l’extorsion d’entreprises et à la prostitution. La toxicomanie était pratiquement inconnue en Irak avant 2003, mais elle a maintenant atteint des niveaux épidémiques car ces milices inondent le pays de stupéfiants illégaux.

Bien que ces milices aient été totalement rejetées par les Irakiens lors des précédentes élections, elles ont imposé leur choix de gouvernement à l’électorat. En plus de subvertir toutes les branches de l’administration politique centrale, elles découpent le pays en fiefs mafieux.

Quelles seront les conséquences de l’accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite pour l’Irak? On m’a dit que l’Irak figurait en tête des priorités de Riyad au cours des négociations, dont certains des premiers rounds se sont déroulés à Bagdad. Ces dernières années, les États arabes déploient de sérieux efforts pour renouer avec l’Irak, notamment avec le retour des ambassadeurs, d’ambitieux projets d’électricité, des investissements majeurs, l’encouragement du commerce panarabe et la facilitation des voyages et du tourisme pour rouvrir l’Irak au monde arabe, en s’inspirant du modèle de la récente Coupe du Golfe arabe de football, qui a connu un grand succès à Bassorah.

Les Irakiens n’ont qu’à regarder, de l’autre côté de leur frontière méridionale, pour voir comment les États du Golfe prospèrent, alors même que l’économie mondiale s’effondre. L’Irak, avec son immense richesse pétrolière, pourrait aspirer à un modèle social tout aussi florissant, s’il parvenait à relever les défis de la corruption, de la domination des milices et des dysfonctionnements politiques.

Le fait que l’Irak existe toujours en tant qu’État unitaire et qu’il organise des élections tous les deux ans a été interprété par certains observateurs distants comme une preuve que les résultats de l’invasion de 2003 n’étaient pas si mauvais que cela. Toutefois, l’Irak de 2023 est un volcan fumant. Le pays a frôlé la guerre civile en 2022, lorsque des milices rivales se sont affrontées dans le centre de Bagdad. Les deux camps disposant de dizaines de milliers de miliciens, une seule erreur aurait pu déclencher un carnage.

Le système politique irakien n’a rien de récupérable ou de réparable. Lorsqu’on parle aux Irakiens aujourd’hui, on constate un véritable manque d’espoir et le sentiment que rien ne s’améliorera jamais. Le danger pour les factions politiques irakiennes est qu’elles ont tellement détruit la confiance dans leur système de gouvernement que les citoyens ne croient plus en la possibilité d’une réforme par le biais du vote ou de la participation civique, et chercheront plutôt des moyens plus radicaux d’éliminer les forces qui ont ravagé l’Irak.

Le monde arabe doit soutenir énergiquement le peuple irakien pour qu’il retrouve la dignité et la prospérité qui lui reviennent de droit. Nous ne devrions pas relâcher nos efforts tant que l’Irak, le Liban, la Syrie et le Yémen n’auront pas été entièrement ramenés au bercail arabe et n’auront pas reçu l’aide d’urgence dont ils ont besoin pour retrouver leur prospérité et leur splendeur d’antan.

Si cette aspiration venait à se concrétiser – et je suis convaincue qu’elle se concrétisera un jour – cela transformerait la stature mondiale et le rôle central de l’ensemble du monde arabe, qui redeviendrait ainsi une région puissante à ne pas sous-estimer.

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com