Le 49.3, de l’évitement en démocratie

"Pas besoin de lacrymogènes, on pleure déjà", une pancarte brandie par un manifestant mardi soir à Rennes. (AFP).
"Pas besoin de lacrymogènes, on pleure déjà", une pancarte brandie par un manifestant mardi soir à Rennes. (AFP).
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Publié le Mercredi 22 mars 2023

Le 49.3, de l’évitement en démocratie

Le 49.3, de l’évitement en démocratie
  • Depuis des semaines, le peuple de France crie non plus «La patrie est en danger!» mais «La démocratie est en danger!», et que fait l’Exécutif? La sourde oreille
  • Selon un sondage Ifop, établi le 18 mars, la côte de popularité du président Macron est tombée à 28% de satisfaits

En suivant les débats autour du 49.3, dégainé souverainement par le président Macron, je ne sais pas pourquoi m’était revenue cette date de l’histoire de la Révolution française: le 4 septembre 1793, à Paris. Mais quel rapport: c’est le début de la Terreur, non? Presque. Ce jour-là, des milliers de manifestants, à court de vivres, décident d’aller assiéger l’Hôtel de ville de Paris…

Mais rassurez-vous, c’est tout bonnement une question de chiffres: 4-9-1793. Nous ne sommes pas en septembre, encore moins en 1793, mais en mars, et deux cent trente ans après la Terreur. Je ne fais aucun rapport avec la situation actuelle, mais, que voulez-vous, les séquences numériques m’ont toujours fasciné. Aussi, dans «4-9-1793», moi, à mon corps défendant, je ne vois que: «49.3». Sic.

«Injuste, brutal et autoritaire»

Mais tout de même, et plus sérieusement, voilà que, depuis des semaines, le peuple de France crie non plus «La patrie est en danger!» mais «La démocratie est en danger!», et que fait l’Exécutif? La sourde oreille.

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Une capture d'écran d'une chaîne de télévision française. (Photo fournie).

Un journaliste, sur CNews, n’a pas hésité à affirmer, dimanche: «Il y a une sorte de filouterie», chez les ministres de Macron. Filouterie, déni ou autisme: une, deux, trois «qualités» attribuées par la «rue» au gouvernement… Selon un sondage de l'Institut français d'opinion publique (Ifop), établi le 18 mars, la côte de popularité du président Macron est tombée à 28% de satisfaits.

«Il faut remonter à la crise des Gilets jaunes, pour trouver des niveaux d’impopularité comparables»(1). Avec 70% de Français mécontents, ce n’est plus l’Assemblée et le gouvernement qui sont au bord de la dissolution, mais la France!

«Cette réforme est injuste, brutale et autoritaire», dit sur BFM Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT. Sur Tweeter, les commentaires n’ont pas fait dans la dentelle. À en croire certains, les trois qualificatifs s’appliqueraient parfaitement au président. Ainsi, voilà l’action d’Emmanuel Macron réduite à cette seule réforme: «brutale et autoritaire»! Et il n’y a pas que l’opinion et l’opposition à être en colère. Voici ce qu’un député du Modem, parti allié du président, a déclaré: «Il faut un gouvernement qui rebatte les cartes, avec des ministres capables d’écouter le peuple et pas une bande d’arrogants qui expliquent aux Français pourquoi ils sont idiots et pourquoi, eux, ils ont raison (…)!» Si ça, ce n’est pas un rappel à l’ordre!

Des partis politiques, en voie de tribalisation

Et que dire des «unes» de la presse étrangère!... Du Spiegel allemand au New-York Times, en passant par El-Pais de Madrid, La Tribune de Genève et Le Soir de Bruxelles, le ton est entre ébahissement et sarcasme... Pour El-Pais, «Officiellement, le vote est dirigé contre le gouvernement et la réforme des retraites, mais en réalité la vraie cible est Emmanuel Macron…»

Ainsi, le 16 mars, la réponse au «Quitte ou double?», posée sur Arab News en français (2), tomba-t-elle comme un couperet: ce fut le 49.3! Une radicalité (celle du président de la République) répondit à une autre radicalité: celle du mouvement social et des syndicats qui auront été rarement aussi unis! Pour l’Exécutif, et selon des propos rapportés, comme on dit, «Mieux vaut braquer la rue que les agences de notation»!

Outre le risque d’explosion sociale que ce choix du 49.3 «promettait» à la France, on a pu, avant le vote solennel des parlementaires, assister à une opération d’intimidations d’une ampleur jamais enregistrée durant cette Ve République: des élu-e-s menacé-e-s par des grévistes (CGT) s’ils ou elles votent pour la Réforme; mais aussi des député-e-s de droite (LR) menacé-e-s d’exclusion par leur propre parti s’ils ne votaient pas la Réforme… Sans compter les tentatives de rendre à la raison les récalcitrants, par contacts personnalisés, in petto… Voilà qui n’est pas sans rappeler les méthodes en vigueur dans certains pays à parti unique, dans un esprit clanique, tribal même.

Pour Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale, les divisions de la droite seraient «le produit d’un règlement de compte interne entre le chef de LR et son ancien rival dans la course à la présidence du parti». Voire: la même a accusé certains parlementaires d’avoir voulu négocier leur soutien auprès de Matignon, genre: «Je suis prêt à voter la réforme, par contre vous me mettez 170 millions d’euros sur la table» (3)! En toute cohérence, le parti Renaissance avait décidé d’exclure les députés de la majorité qui s'abstiendraient ou voteraient contre la Réforme, comme on l’a appris sur TF1 le 7 mars…

Cela dit, le procédé n’est pas nouveau. En 2017, Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale de l’époque, avait mis en place une règle qui n’est pas sans rappeler la pratique en vigueur sous d’autres cieux où, sur la démocratie, l’on se contente d’un zapping décisif et non d’un simple évitement: «Tout député qui vote contre les textes présentés par la majorité sera exclu du groupe». Certes, c’est la loi du genre. Mais même en France?

61.3 versus 49.3?

Parmi les réfractaires, trois députées du mouvement En commun ont «fait part de leur peu d’enthousiasme à voter le texte»: Barbara Pompili, ancienne ministre (Transition écologique); Stella Dupont, députée (ex-PS, puis Renaissance); et Cécile Rilhac, députée Renaissance).

Lundi 20 mars, deux motions de censure furent donc soumises au vote. Il fallait tenir la dragée haute aux 287 député-e-s de la majorité requise, pour faire tomber le gouvernement. Résultat: 278 voix «pour». 9 voix à peine auront manqué à l’opposition! Ainsi, la Première ministre a sauvé son fauteuil. Pour le moment. Car rien n’est encore acquis. L’opposition dispose encore de deux recours. Les partis initiateurs des deux motions de censure: la «Liste transpartisane» du groupe LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires) et le Rassemblement national (RN), auraient déjà saisi le Conseil constitutionnel. Lequel a le pouvoir de censurer lui-même le texte, en partie ou dans sa totalité, s’il y constate des «incompatibilités» institutionnelles.

Le Conseil dispose d’un mois pour rendre ses conclusions, mais la cheffe du gouvernement a pris les devants en ramenant ce délai à huit jours. Ce qui est en son pouvoir, en vertu de l’article 61.3 de la Constitution.

L’autre recours: le Référendum. Une consultation populaire, dite «Référendum d’initiative partagée» (RIP). Vaste opération, certes, puisqu’il faut réunir, dans un délai de neuf mois, les signatures de plus de 4,5 millions de personnes. Autant dire que la partie est encore loin d’être gagnée… pour l’Exécutif.

(1) Le JDD 
(2) Arab News en français 
(3) Le Monde

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.