Mouvement contre la réforme des retraites: des gardes à vue «arbitraires» vivement critiquées

Des CRS lors d'une manifestation quelques jours après que le gouvernement a poussé une réforme des retraites au parlement sans vote, en utilisant l'article 49,3 de la constitution, à Paris le 20 mars 2023.
Des CRS lors d'une manifestation quelques jours après que le gouvernement a poussé une réforme des retraites au parlement sans vote, en utilisant l'article 49,3 de la constitution, à Paris le 20 mars 2023.
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Publié le Mardi 21 mars 2023

Mouvement contre la réforme des retraites: des gardes à vue «arbitraires» vivement critiquées

  • Trois pour cent: sur les 292 personnes placées en garde à vue en marge du premier rassemblement spontané jeudi, place de la Concorde, émaillé d'incidents, seules neuf ont été présentées au parquet, notamment pour des rappels à la loi
  • «C'était vraiment toutes sortes de profils: étudiants à l'ENS, médecin, sans-abris, mineurs, syndicalistes, enseignants, des gens qui sortaient d'un colloque et qui ont été nassés»

PARIS: Des manifestants retenus plusieurs heures au commissariat, puis relâchés sans aucune poursuite: avec les rassemblements spontanés contre le 49.3, avocats, magistrats et politiques dénoncent des gardes à vue "arbitraires", y voyant, comme lors d'autres mobilisations ces dernières années, une "répression du mouvement social".

Trois pour cent: sur les 292 personnes placées en garde à vue en marge du premier rassemblement spontané jeudi, place de la Concorde, émaillé d'incidents, seules neuf ont été présentées au parquet, notamment pour des rappels à la loi. 283 procédures ont ainsi été classées sans suite, pour infraction insuffisamment caractérisée ou absence d'infraction.

Le lendemain, 60 personnes ont été placées en garde à vue: 34 procédures ont été classées, 21 ont mené à des mesures alternatives (rappel à la loi, avertissement probatoire...) et cinq à un procès.

"C'était vraiment toutes sortes de profils: étudiants à l'ENS, médecin, sans-abris, mineurs, syndicalistes, enseignants, des gens qui sortaient d'un colloque et qui ont été nassés", décrit pour l'AFP Me Coline Bouillon, l'une des avocates ayant assisté des manifestants.

Les personnes ont été placées en garde à vue pour "participation à un groupement en vue de la préparation de violences", ou "dissimulation du visage" et sont restées 24h ou 48h en garde à vue, a précisé l'avocate, qui parle de "gardes à vue-sanctions", avec des "dossiers irréguliers", "vides en terme de preuve de culpabilité".

Un groupe d'avocats dont elle est membre entend déposer une plainte collective pour "détention arbitraire" et "entrave à la liberté de manifester".

Manifestations: dans quelles conditions un manifestant peut-il être interpellé ?

Les manifestations et rassemblements, déclarés ou non, se multiplient depuis plusieurs semaines dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites. Voici ce que dit la loi sur les motifs d'interpellation possibles de manifestants:

Manifestation déclarée

Dans le cadre d'une manifestation dont le parcours est déclaré en préfecture, un manifestant peut faire l'objet d'une vérification d'identité, qui peut durer au maximum quatre heures.

Par ailleurs, il ne peut être interpellé et placé en garde à vue que s'il est soupçonné d'avoir commis une infraction, comme une violence ou une dégradation.

Les manifestants sont aussi régulièrement placés en garde à vue pour "port d'arme prohibé", "outrage" envers un policier, dissimulation du visage "sans motif légitime", "participation à un attroupement malgré sommation de se disperser" ou encore "participation à un groupement en vue de la préparation de violences, destructions ou dégradations".

Cette dernière infraction, créée en 2010 avec la loi dite Estrosi pour réprimer les violences entre bandes et dans les stades, est largement utilisée lors de manifestations.

Selon Amnesty International France, ces derniers délits sont "beaucoup trop vagues" et "permettent malheureusement trop facilement d'arrêter des gens de manière abusive" - par exemple, posséder des lunettes de piscine a pu être retenu comme un indice d'une "participation à un groupement en vue de commettre des violences", a souligné Fanny Gallois, responsable du programme Libertés au sein de l'ONG.

Manifestation non-déclarée
Un manifestant ne peut pas être arrêté uniquement pour sa participation à une manifestation

qui n'a pas été déclarée, comme les rassemblements spontanés de ces derniers jours.

La Cour de cassation, la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire, l'a rappelé dans un arrêt du 14 juin 2022: "ni l'article R. 644-1 du code pénal, ni aucune autre disposition légale ou réglementaire n'incrimine le seul fait de participer à une manifestation non-déclarée".

La Cour avait annulé un jugement du tribunal de police de Metz du 2 février 2021, qui avait confirmé la contravention de membres d'une "chorale révolutionnaire" qui s'était retrouvée pour chanter sur la voie publique en mai 2020, juste après le premier confinement.

Cet arrêt "vient juste rappeler ce qui est écrit dans le code pénal: il n'existe pas d'interdiction de participation à une manifestation non-déclarée", a expliqué Me Xavier Sauvignet, l'un des avocats de la défense. "Les infractions qui existent sont: participation à une manifestation interdite ou organisation d'une manifestation non-déclarée", a-t-il souligné.

Manifestation interdite

Les manifestations peuvent être interdites, comme cela a été décidé par le préfet de police de Paris, par arrêté et pour trois jours, à la Concorde et sur les Champs-Élysées.

Il faut pour cela que "l'autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public".

Dans ce cas, les manifestants peuvent être verbalisés pour "participation à une manifestation interdite" et se voir infliger une contravention de quatrième classe, soit une amende forfaitaire de 135 euros.

Enfin, l'organisateur d'une manifestation non-déclarée ou interdite peut, lui, être sanctionné.

Dans un communiqué, le Syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche, a lui aussi dénoncé lundi ces nombreux placements en garde à vue, y voyant une "répression du mouvement social".

"Il y a une instrumentalisation du droit pénal par le pouvoir politique, afin de dissuader les manifestants de manifester et d'exercer cette liberté", estime également Me Raphaël Kempf, qui souligne l'absence de "réparation" ou "d'excuse".

Plusieurs politiques de gauche, comme les députés LFI Ugo Bernalicis et Mathilde Panot ou l'adjoint à la maire de Paris David Belliard ont critiqué des "arrestations arbitraires".

«Judiciarisation du maintien de l'ordre»

Cette pratique avait déjà été critiquée pendant le mouvement des "gilets jaunes". "Le nombre +jamais vu+ d'interpellations et de gardes à vue intervenues +de manière préventive+", avait été relevé par le Défenseur des droits dans son rapport 2018, citant le 8 décembre où près de 2.000 personnes avaient été interpellées dans toute la France.

Amnesty International France a en outre publié un rapport sur les "arrestations arbitraires" lors d'un rassemblement le 12 décembre 2020 à Paris contre la loi "sécurité globale" - 142 personnes et près de 80% relâchées sans poursuite.

Depuis une "quinzaine d'années", il y a une "judiciarisation du maintien de l'ordre", relève Fabien Jobard, directeur de recherches au CNRS et spécialiste de ces questions.

Il cite notamment la loi dite Estrosi de 2010 qui crée le délit de "participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations" - initialement votée pour "lutter contre les violences de bandes et dans les stades" mais utilisée depuis en manifestation.

Entre le "schéma répressif" et "préventif", où les arrestations ont lieu en amont des manifestations ou avant que d'importantes violences ou dégradations soient commises, "le curseur est de plus en plus du côté préventif", souligne-t-il.

La posture des forces de l'ordre "s'adapte à la physionomie des manifestations et rassemblements", indique de son côté la préfecture de police de Paris, ajoutant que la consigne est "d'intervenir avec réactivité et fermeté pour mettre un terme à toutes les exactions et tentatives d'exactions".

Des consignes ont-elles été passées pour interpeller massivement ? "Non", affirme un haut gradé de la police, qui ajoute que "lorsque les profils à risques sont interpellés, ils ne sont plus en train d'agiter les autres".

Mais avec ces nombreuses arrestations, la "manœuvre est risquée", ajoute un autre policier spécialiste de ces questions. Selon lui, elles "exposent les effectifs, monopolisent des agents" et "risquent de radicaliser les manifestants".


France-Maghreb: l’ère de l’incertitude

Le président français Emmanuel Macron boit un thé à l'intérieur de la discothèque Maghreb Shopin, label mythique de la musique rai, appartenant à Boualem Benhaoua lors de sa visite à Oran le 27 août 2022, alors en visite de trois jours en Algérie afin de rétablir les liens avec l'ancienne colonie française. (AFP).
Le président français Emmanuel Macron boit un thé à l'intérieur de la discothèque Maghreb Shopin, label mythique de la musique rai, appartenant à Boualem Benhaoua lors de sa visite à Oran le 27 août 2022, alors en visite de trois jours en Algérie afin de rétablir les liens avec l'ancienne colonie française. (AFP).
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  • Depuis son premier mandat, entamé en 2017, Emmanuel Macron s'est montré déterminé à réchauffer les relations franco-algériennes
  • La tâche d'Emmanuel Macron n’est pas aisée, car les mesures qu’il annonce sont accueillies par un sentiment d’incompréhension

PARIS: Situation en Libye, panne de la démocratie en Tunisie, installation d’un climat lourd entre l’Algérie et le Maroc: le Maghreb vit une phase critique. Cet état des lieux provoque un immobilisme politique et économique très préjudiciable au Maghreb. Un coup de froid s’est abattu sur les relations entre la France et le Maghreb. Dans ce climat incertain, l’Élysée tente un délicat jeu d’équilibre qui s’apparentera à une gageure si la diplomatie française ne prend pas soin de ses positions dans le cadre de la reconfiguration géopolitique en cours.

Paris-Alger: une relation ambivalente et délicate 

Depuis son premier mandat, entamé en 2017, Emmanuel Macron s'est montré déterminé à réchauffer les relations franco-algériennes. Toutefois, ce rapprochement reste fragile et semé d’embûches, comme l’ont récemment montré plusieurs polémiques. La problématique de l’immigration pèse toujours sur le lien bilatéral. À la fin de mai dernier est apparu le spectre d’une abrogation unilatérale de l’accord franco-algérien de 1968 sur l’immigration, qui est perçu comme le déclencheur potentiel d’une grave crise et, au-delà de la Méditerranée, comme un geste intentionnel pour priver les Algériens de leurs privilèges en France.

La réaction algérienne, particulièrement vive, s’est manifestée avant une prise de décision officielle qui s’est positionnée contre les conclusions de la note de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) sur cet accord franco-algérien. Ce dernier régit l'entrée et le séjour des Algériens en France. Les rapports entre Paris et Alger sont souvent traversés par divers faits et nourris par différents signes de tensions. Des deux côtés, en effet, il y a des partisans de la normalisation, et les réticents. De surcroît, les interlocuteurs français remarquent qu’une «ligne dure» antifrançaise joue la surenchère à Alger et plaide pour un «rapprochement avec la Russie afin de contrer la France en Afrique».

En février dernier, le rapatriement en France à partir de la Tunisie de l’activiste franco-algérienne Amira Bouraoui a provoqué un incident diplomatique lorsqu’Alger a fustigé une «exfiltration illégale» et a rappelé son ambassadeur. Cette brouille a été probablement l’une des causes du report de la visite du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, initialement prévue les 2 et 3 mai, vers la deuxième moitié du mois de juin.

Cependant, malgré les efforts destinés à aplanir la question mémorielle avec la commission mixte des deux parties, il ne faut pas exclure le fait que les mesures françaises pour restreindre l’immigration pourraient reporter ou perturber la visite présidentielle algérienne.

Situation en Libye, panne de la démocratie en Tunisie, installation d’un climat lourd entre l’Algérie et le Maroc: le Maghreb vit une phase critique.

La tâche du président Macron n’est pas aisée, car les mesures qu’il annonce sont accueillies par un sentiment d’incompréhension. En outre, les liens entre Paris et Rabat restent intimement liés à la politique de Paris envers l'Algérie, ce qui exige une approche globale et équilibrée.

Les griefs de Rabat à l’encontre de Paris

D’un point de vue historique, le partenariat franco-marocain a résisté à de nombreuses épreuves. Toutefois, la tension qui marque depuis 2020 les liens entre Paris et Rabat ne pourrait guère être plus vive.

Même si l’entourage de l’Élysée refuse de parler d'une crise diplomatique avec le Maroc, les relations entre les deux pays sont très dégradées. Il est certain que la question épineuse des visas n’est pas la principale cause d’une escalade d’une telle ampleur qu’elle a provoqué le report de la visite officielle d'Emmanuel Macron au Maroc. Tout indique que la position française à l’égard du Sahara occidental et de l’amélioration des liens entre Paris et Alger sont les principales raisons du mécontentement marocain. 

Ces liens franco-marocains, déjà tendus, ont été violemment ébranlés par le problème des visas. En effet, pendant l'automne 2021, la France avait annoncé sa volonté de réduire de manière drastique le nombre de visas accordés aux voyageurs marocains (ce dernier a été divisé par deux, comme celui des Algériens ; dans le même temps, celui des Tunisiens a baissé d'un tiers). C’est là pour Paris une manière d’accentuer la pression sur ces trois pays réticents à accueillir leurs ressortissants en situation irrégulière et visés par des expulsions du territoire français. Pour le Maroc, il s’agit d’une forme de «chantage» inacceptable et un frein à la libre circulation. Cette question de flux migratoires demeure la pomme de la discorde en dépit de la visite de la ministre française Catherine Colonna en décembre 2022.

Pour le moment, l’entourage du roi marocain attribue à la France la responsabilité de la dégradation du lien bilatéral au «positionnement proalgérien de l’Élysée»!

La France, accusée de jouer «la carte algérienne», ne parvient pourtant pas non plus à ouvrir un nouveau chapitre serein avec Alger, en réalité. Et les relations françaises avec la Tunisie et la Libye ne sont pas meilleures.

Bien que l’Hexagone plaide contre l’effondrement économique de la Tunisie (en matière d’aide économique pour maîtriser les flux migratoires), une position que la France partage avec l’Italie, ni le pouvoir tunisien ni les oppositions et les démocrates n’apprécient cette position française très prudente – celle d’une ancienne puissance coloniale qui se trouve fragilisée au Maghreb, et plus largement en Afrique francophone.

On le voit, les liens franco-maghrébins sont décidément incertains.


Affaire Rami Adwan: l'ambassadeur pourrait devenir persona non grata en France

C’est une affaire qui couvait depuis des mois et qui a fini par éclater au grand jour par le biais du site d’investigation français Mediapart. (Photo compte Twitter de l'ambassade du Liban en France).
C’est une affaire qui couvait depuis des mois et qui a fini par éclater au grand jour par le biais du site d’investigation français Mediapart. (Photo compte Twitter de l'ambassade du Liban en France).
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  • Au regard de la gravité des faits attribués à l’ambassadeur, le Quai d’Orsay a demandé aux autorités libanaises de lever son immunité diplomatique «afin de faciliter le travail de la justice française»
  • Pour l’ambassadeur du Liban en France, Rami Adwan, en poste depuis 2017, un sombre compte à rebours est enclenché

PARIS: C’est une affaire qui couvait depuis des mois et qui a fini par éclater au grand jour par le biais du site d’investigation français Mediapart.

Pour l’ambassadeur du Liban en France, Rami Adwan, en poste depuis 2017, un sombre compte à rebours est enclenché. En juillet dernier, de nombreuses rumeurs circulaient déjà au sujet d’une plainte déposée par une employée de l’ambassade, accusant M. Adwan d’agression sexuelle. Elles ont depuis été reléguées au second plan dans l’agitation médiatique.

C’était sans compter avec la pugnacité des journalistes de Mediapart qui ont récemment publié une enquête détaillée relatant les déboires non pas d’une, mais de deux employées de l’ambassade avec leur supérieur hiérarchique. À la suite de ces révélations, ces événements sont devenus en quelque sorte une affaire d'État. Le ministère français des Affaires étrangères s’est sérieusement penché sur la question, et il a publié vendredi dernier en soirée un communiqué à ce sujet.

La gravité des faits commis par Rami Adwan

Au regard de la gravité des faits attribués à l’ambassadeur, le Quai d’Orsay a demandé aux autorités libanaises de lever son immunité diplomatique «afin de faciliter le travail de la justice française». Rami Adwan a utilisé l'immunité qui lui est accordée en tant que diplomate, conformément à la Convention de Vienne, afin d'échapper à la justice.

Une telle ligne de défense pourrait être efficace s’il s’agissait d’un citoyen quelconque, mais non d’un ambassadeur dont les fonctions consistent à traiter avec les hautes sphères de la république française.

Son avocat, Karim Beylouni, a pour sa part contesté toute accusation d’agression, admettant toutefois que son client a eu avec les deux plaignantes «des relations amoureuses émaillées de disputes et de ruptures». Une telle ligne de défense pourrait être efficace s’il s’agissait d’un citoyen quelconque, mais non d’un ambassadeur dont les fonctions consistent à traiter avec les hautes sphères de la république française. D’ailleurs, il n’a probablement pas opté pour la meilleure stratégie en se réfugiant derrière son immunité diplomatique, particulièrement dans un pays où d’importants politiciens, des personnalités médiatiques, des acteurs majeurs de l'industrie cinématographique et des sportifs de haut niveau ont vacillé à la suite d’accusations de délits sexuels ou de violences envers des femmes.

Les jours de l’ambassadeur du Liban en France semblent donc comptés, d’autant qu’une demande officielle a été adressée par la France lundi 5 juin pour la levée de son immunité diplomatique.

La décision du Liban de dépêcher à Paris une équipe d’enquêteurs dirigée par le secrétaire général de son ministère des Affaires étrangères, Hani Chmaytelli, est perçue positivement par les autorités françaises.

Une source officielle a estimé que la décision du Liban de dépêcher à Paris une équipe d’enquêteurs dirigée par le secrétaire général de son ministère des Affaires étrangères, Hani Chmaytelli, est perçue positivement par les autorités françaises.

Toutefois, ces dernières estiment qu'il est toujours nécessaire de lever l'immunité de l'ambassadeur. Si le Liban choisit de ne pas répondre favorablement à cette demande, les sources indiquent que M. Adwan sera considéré comme indésirable sur le territoire français.

C’est en quelque sorte l’affaire de trop pour le Liban déjà englué dans des scandales et des crises en tout genre, et qui a besoin d’une diplomatie immaculée pour plaider le moment venu sa cause auprès des puissances internationales.

Les révélations de Mediapart

Selon le site, la première plainte pour viol et violences volontaires est déposée au mois de juin 2022, par une jeune femme âgée de 31 ans, employée à l’ambassade à l’époque comme rédactrice. La plaignante déclare avoir été violée en mai 2020, dans l’appartement privé de l’ambassadeur. Elle affirme avoir exprimé en vain son refus d'avoir des rapports sexuels, pleurant et implorant.

Toujours selon Mediapart, la même plaignante explique avoir été frappée par Rami Adwan lors d'une dispute dans son bureau, et qu’elle n’a pas porté plainte pour ne pas briser la vie d’un père de famille. Elle l’accuse par ailleurs d’avoir exercé sur elle «des violences physiques et psychologiques».

La deuxième plainte a été déposée en février dernier par une jeune femme de 28 ans qui dénonce une série d’agressions physiques de la part de l’ambassadeur, la plupart du temps après avoir refusé un rapport sexuel. Cette jeune femme, employée à l’ambassade en 2018 en tant que stagiaire, admet avoir noué une relation intime avec M. Adwan avant de constater la violence de son caractère.

Ce dernier, indique-t-elle, a tenté de la renverser avec sa voiture lors d’une dispute en marge du Forum pour la paix à Caen, et de l’asphyxier chez elle en enfonçant son visage dans le matelas de son lit.


Projet de loi Justice: le gouvernement accusé de vouloir transformer les téléphones en «mouchards»

L'article 3 du projet de loi du garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti prévoit d'autoriser le déclenchement à distance des micros et caméras des téléphones, ordinateurs et autres appareils connectés, à l’insu des personnes visées. (AFP)
L'article 3 du projet de loi du garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti prévoit d'autoriser le déclenchement à distance des micros et caméras des téléphones, ordinateurs et autres appareils connectés, à l’insu des personnes visées. (AFP)
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  • Le projet de loi prévoit d'autoriser le déclenchement à distance des caméras ou micros des téléphones dans certaines enquêtes
  • Au coeur du débat l'éternelle question de «l'équilibre» entre les nécessités de l'enquête et les atteintes aux droits et aux libertés

PARIS: "Super plus" pour les enquêteurs, "ligne rouge" pour ses détracteurs: le projet de loi Justice, examiné à partir de mardi au Sénat, prévoit d'autoriser le déclenchement à distance des caméras ou micros des téléphones dans certaines enquêtes, une disposition qui ne fait pas l'unanimité.

"Quand tu poses une caméra ou une balise (GPS), tu prends des risques. Il faut rentrer dans un véhicule ou dans un domicile, arriver à le bonne heure, il ne faut pas que le mec te tombe dessus, ou un voisin", décrit un enquêteur de la police judiciaire. Et "si tu te fais cramer sous une voiture en train de mettre un truc, ton enquête elle est morte".

Pour limiter les "risques" pris par les enquêteurs, "s'adapter aux évolutions de la délinquance", l'article 3 du projet de loi du garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti prévoit d'autoriser le déclenchement à distance des micros et caméras des téléphones, ordinateurs et autres appareils connectés, à l’insu des personnes visées.

Déjà utilisée par les services de renseignements, cette technique (dont le fonctionnement est couvert "par le secret défense", selon la Chancellerie) sera autorisée dans les affaires de terrorisme, et de délinquance et criminalité organisées.

Un spectre "très large", prévient Sarah Pibarot, secrétaire nationale au Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche): meurtre "en bande organisée", cambriolages en "équipes", trafic de stupéfiants...

"Le jeune mineur qui fait le guet en bas d'un point de deal" pourrait être visé, détaille-t-elle, alors que l'Observatoire des libertés et du numérique (OLN) rappelle que certaines des infractions concernées "ont déjà été utilisées pour poursuivre des actions militantes" (d'écologistes, d'aide à l'entrée de migrants).

Une "surenchère sécuritaire du gouvernement" permettant de transformer tout objet connecté en potentiel "mouchard", dénonce l'OLN.

Au coeur du débat, résume Sarah Pibarot, l'éternelle question de "l'équilibre" entre les nécessités de l'enquête et les atteintes aux droits et aux libertés.

Avec cette disposition "hautement problématique", il y a "rupture" de cet équilibre, juge la magistrate, parlant de "ligne rouge".

«Toujours plus loin»

Dans un communiqué, le conseil de l'ordre des avocats parisiens s'est de son côté ému d'"une atteinte particulièrement grave au respect de la vie privée", qui "ne saurait être justifiée par la protection de l'ordre public".

La Chancellerie promet que cette disposition, qui prévoit aussi la possibilité d'un déclenchement à distance à des fins de géolocalisation, sera encadrée de "garanties": les enquêteurs devront motiver la requête, qui sera approuvée par un juge, et des recours seront possibles.

Seront par ailleurs exclues les "personnes protégées" (avocats, magistrats, parlementaires).

"C'était une vraie demande depuis plusieurs années" pour répondre "à la modernisation de la criminalité organisée", se réjouit Marion Cackel, présidente de l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI).

Dans la grande criminalité, "plus personne ne s'appelle +en clair+", via une ligne téléphonique classique, explique-t-elle. Or, "les interceptions téléphoniques ne fonctionnent pas" pour les appels passés via les messageries cryptées, type WhatsApp ou Telegram.

"Aujourd'hui, vous avez des micros intégrés partout, via tous les objets connectés: dans votre voiture, sur votre téléphone", avec une montre ou un frigo "connectés", énumère un commissaire de police judiciaire. Plutôt que de "violer le domicile ou le véhicule de quelqu'un" pour le sonoriser, c'est moins "disproportionné" et "beaucoup plus simple de pouvoir activer un micro à distance", estime-t-il.

Son collègue y voit un "super plus" pour faciliter la vie des enquêteurs, mais ne s'attend pas non plus à une "solution miracle": "les voyous vont s'adapter, ils reprendront des téléphones qui n'ont ni caméras, ni quoique ce soit", imagine-t-il.

"Quand on introduit un nouveau moyen d'enquête, il s'étend", met en garde Sarah Pibarot, du SM. Exemple avec les perquisitions de nuit, d'abord uniquement autorisées dans les affaires de terrorisme, puis élargies à la criminalité organisée. Et que ce projet de loi prévoit d'étendre à nouveau, à tous les crimes d'atteintes aux personnes.

"On va toujours plus loin", dit-elle. "Le droit à la vie privée disparaît progressivement, c'est un glissement qu'on observe depuis des années".