Mouvement contre la réforme des retraites: des gardes à vue «arbitraires» vivement critiquées

Des CRS lors d'une manifestation quelques jours après que le gouvernement a poussé une réforme des retraites au parlement sans vote, en utilisant l'article 49,3 de la constitution, à Paris le 20 mars 2023.
Des CRS lors d'une manifestation quelques jours après que le gouvernement a poussé une réforme des retraites au parlement sans vote, en utilisant l'article 49,3 de la constitution, à Paris le 20 mars 2023.
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Publié le Mardi 21 mars 2023

Mouvement contre la réforme des retraites: des gardes à vue «arbitraires» vivement critiquées

  • Trois pour cent: sur les 292 personnes placées en garde à vue en marge du premier rassemblement spontané jeudi, place de la Concorde, émaillé d'incidents, seules neuf ont été présentées au parquet, notamment pour des rappels à la loi
  • «C'était vraiment toutes sortes de profils: étudiants à l'ENS, médecin, sans-abris, mineurs, syndicalistes, enseignants, des gens qui sortaient d'un colloque et qui ont été nassés»

PARIS: Des manifestants retenus plusieurs heures au commissariat, puis relâchés sans aucune poursuite: avec les rassemblements spontanés contre le 49.3, avocats, magistrats et politiques dénoncent des gardes à vue "arbitraires", y voyant, comme lors d'autres mobilisations ces dernières années, une "répression du mouvement social".

Trois pour cent: sur les 292 personnes placées en garde à vue en marge du premier rassemblement spontané jeudi, place de la Concorde, émaillé d'incidents, seules neuf ont été présentées au parquet, notamment pour des rappels à la loi. 283 procédures ont ainsi été classées sans suite, pour infraction insuffisamment caractérisée ou absence d'infraction.

Le lendemain, 60 personnes ont été placées en garde à vue: 34 procédures ont été classées, 21 ont mené à des mesures alternatives (rappel à la loi, avertissement probatoire...) et cinq à un procès.

"C'était vraiment toutes sortes de profils: étudiants à l'ENS, médecin, sans-abris, mineurs, syndicalistes, enseignants, des gens qui sortaient d'un colloque et qui ont été nassés", décrit pour l'AFP Me Coline Bouillon, l'une des avocates ayant assisté des manifestants.

Les personnes ont été placées en garde à vue pour "participation à un groupement en vue de la préparation de violences", ou "dissimulation du visage" et sont restées 24h ou 48h en garde à vue, a précisé l'avocate, qui parle de "gardes à vue-sanctions", avec des "dossiers irréguliers", "vides en terme de preuve de culpabilité".

Un groupe d'avocats dont elle est membre entend déposer une plainte collective pour "détention arbitraire" et "entrave à la liberté de manifester".

Manifestations: dans quelles conditions un manifestant peut-il être interpellé ?

Les manifestations et rassemblements, déclarés ou non, se multiplient depuis plusieurs semaines dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites. Voici ce que dit la loi sur les motifs d'interpellation possibles de manifestants:

Manifestation déclarée

Dans le cadre d'une manifestation dont le parcours est déclaré en préfecture, un manifestant peut faire l'objet d'une vérification d'identité, qui peut durer au maximum quatre heures.

Par ailleurs, il ne peut être interpellé et placé en garde à vue que s'il est soupçonné d'avoir commis une infraction, comme une violence ou une dégradation.

Les manifestants sont aussi régulièrement placés en garde à vue pour "port d'arme prohibé", "outrage" envers un policier, dissimulation du visage "sans motif légitime", "participation à un attroupement malgré sommation de se disperser" ou encore "participation à un groupement en vue de la préparation de violences, destructions ou dégradations".

Cette dernière infraction, créée en 2010 avec la loi dite Estrosi pour réprimer les violences entre bandes et dans les stades, est largement utilisée lors de manifestations.

Selon Amnesty International France, ces derniers délits sont "beaucoup trop vagues" et "permettent malheureusement trop facilement d'arrêter des gens de manière abusive" - par exemple, posséder des lunettes de piscine a pu être retenu comme un indice d'une "participation à un groupement en vue de commettre des violences", a souligné Fanny Gallois, responsable du programme Libertés au sein de l'ONG.

Manifestation non-déclarée
Un manifestant ne peut pas être arrêté uniquement pour sa participation à une manifestation

qui n'a pas été déclarée, comme les rassemblements spontanés de ces derniers jours.

La Cour de cassation, la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire, l'a rappelé dans un arrêt du 14 juin 2022: "ni l'article R. 644-1 du code pénal, ni aucune autre disposition légale ou réglementaire n'incrimine le seul fait de participer à une manifestation non-déclarée".

La Cour avait annulé un jugement du tribunal de police de Metz du 2 février 2021, qui avait confirmé la contravention de membres d'une "chorale révolutionnaire" qui s'était retrouvée pour chanter sur la voie publique en mai 2020, juste après le premier confinement.

Cet arrêt "vient juste rappeler ce qui est écrit dans le code pénal: il n'existe pas d'interdiction de participation à une manifestation non-déclarée", a expliqué Me Xavier Sauvignet, l'un des avocats de la défense. "Les infractions qui existent sont: participation à une manifestation interdite ou organisation d'une manifestation non-déclarée", a-t-il souligné.

Manifestation interdite

Les manifestations peuvent être interdites, comme cela a été décidé par le préfet de police de Paris, par arrêté et pour trois jours, à la Concorde et sur les Champs-Élysées.

Il faut pour cela que "l'autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public".

Dans ce cas, les manifestants peuvent être verbalisés pour "participation à une manifestation interdite" et se voir infliger une contravention de quatrième classe, soit une amende forfaitaire de 135 euros.

Enfin, l'organisateur d'une manifestation non-déclarée ou interdite peut, lui, être sanctionné.

Dans un communiqué, le Syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche, a lui aussi dénoncé lundi ces nombreux placements en garde à vue, y voyant une "répression du mouvement social".

"Il y a une instrumentalisation du droit pénal par le pouvoir politique, afin de dissuader les manifestants de manifester et d'exercer cette liberté", estime également Me Raphaël Kempf, qui souligne l'absence de "réparation" ou "d'excuse".

Plusieurs politiques de gauche, comme les députés LFI Ugo Bernalicis et Mathilde Panot ou l'adjoint à la maire de Paris David Belliard ont critiqué des "arrestations arbitraires".

«Judiciarisation du maintien de l'ordre»

Cette pratique avait déjà été critiquée pendant le mouvement des "gilets jaunes". "Le nombre +jamais vu+ d'interpellations et de gardes à vue intervenues +de manière préventive+", avait été relevé par le Défenseur des droits dans son rapport 2018, citant le 8 décembre où près de 2.000 personnes avaient été interpellées dans toute la France.

Amnesty International France a en outre publié un rapport sur les "arrestations arbitraires" lors d'un rassemblement le 12 décembre 2020 à Paris contre la loi "sécurité globale" - 142 personnes et près de 80% relâchées sans poursuite.

Depuis une "quinzaine d'années", il y a une "judiciarisation du maintien de l'ordre", relève Fabien Jobard, directeur de recherches au CNRS et spécialiste de ces questions.

Il cite notamment la loi dite Estrosi de 2010 qui crée le délit de "participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations" - initialement votée pour "lutter contre les violences de bandes et dans les stades" mais utilisée depuis en manifestation.

Entre le "schéma répressif" et "préventif", où les arrestations ont lieu en amont des manifestations ou avant que d'importantes violences ou dégradations soient commises, "le curseur est de plus en plus du côté préventif", souligne-t-il.

La posture des forces de l'ordre "s'adapte à la physionomie des manifestations et rassemblements", indique de son côté la préfecture de police de Paris, ajoutant que la consigne est "d'intervenir avec réactivité et fermeté pour mettre un terme à toutes les exactions et tentatives d'exactions".

Des consignes ont-elles été passées pour interpeller massivement ? "Non", affirme un haut gradé de la police, qui ajoute que "lorsque les profils à risques sont interpellés, ils ne sont plus en train d'agiter les autres".

Mais avec ces nombreuses arrestations, la "manœuvre est risquée", ajoute un autre policier spécialiste de ces questions. Selon lui, elles "exposent les effectifs, monopolisent des agents" et "risquent de radicaliser les manifestants".


Éducation Nationale : plus de 3.600 actes racistes et antisémites recencsé à l'école l'an dernier

Anne Genetet, ministre de l’Éducation, quitte le gouvernement à la suite de la réunion hebdomadaire du cabinet à l’Élysée, le 1er octobre 2024. (Photo AFP)
Anne Genetet, ministre de l’Éducation, quitte le gouvernement à la suite de la réunion hebdomadaire du cabinet à l’Élysée, le 1er octobre 2024. (Photo AFP)
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  • .670 actes à caractère antisémite (insultes et violences verbales ou physiques, inscriptions antisémites...) et 1.960 actes racistes ont été signalés sur l'ensemble de l'année scolaire 2023-2024
  • Sur un an, les actes antisémites ont été multipliés par plus de quatre et les actes racistes par près de deux.

PARIS : Plus de 3.600 actes racistes et antisémites ont été recensés à l'école sur l'année scolaire 2023-2024, multipliés par près de trois sur un an, après l'attaque sans précédent du Hamas en Israël le 7 octobre 2023, selon des chiffres communiqués jeudi par le ministère de l'Education nationale.

Selon le ministère, confirmant des chiffres donnés par RMC, 1.670 actes à caractère antisémite (insultes et violences verbales ou physiques, inscriptions antisémites...) et 1.960 actes racistes ont été signalés sur l'ensemble de l'année scolaire dernière pour le premier degré (écoles maternelles et élémentaires) et le second degré (collèges et lycées).

"Le déclenchement du conflit israélo-palestinien du 7 octobre 2023 et son impact en France est évidemment à prendre en compte dans l'explication de ces chiffres, qui sont en forte hausse par rapport à l'année précédente", a précisé le ministère à la presse.

La nouvelle ministre de l'Education nationale, Anne Genetet, qui rencontrait jeudi matin les recteurs d'académies, leur a demandé "la plus grande vigilance et une remontée la plus précise des actes antisémites - et plus largement des actes ou discours de haine - ainsi que des sanctions justes et proportionnées, en complément des actions de sensibilisation et prévention prévues par les enseignants", a encore indiqué le ministère.

Sur un an, les actes antisémites ont été multipliés par plus de quatre et les actes racistes par près de deux. Lors de l'année scolaire 2022-2023, 400 actes antisémites et 870 actes racistes avait été signalés, selon les chiffres communiqués par le ministère.

Au total, comparé aux 1.270 actes recensés en 2022-23, le nombre d'actes racistes et antisémites signalés a donc presque triplé l'an dernier.

En mai, le ministère de l'Education nationale avait fait état de 1.434 actes racistes et antisémites après le 7 octobre, mais ces chiffres portaient seulement sur la période allant de décembre à mars, a-t-il précisé jeudi.

Le ministère avait alors indiqué que, selon ses remontées, le conflit israélo-palestinien pouvait expliquer "une partie" de ces faits, "en raison des tensions qu’il provoque et de l'atmosphère qui en découle, les insultes étant majoritaires dans les faits recensés".


La réclusion criminelle à perpétuité a été requise contre le jihadiste Peter Cherif.

Portrait-robot réalisé le 16 septembre 2024 montre le Français Peter Cherif, associé présumé des frères Kouachi qui ont perpétré l'attentat contre Charlie Hebdo en 2015, debout lors de son procès devant la cour d'assises spéciale de Paris, à Paris. (Photo par Benoit PEYRUCQ / AFP)
Portrait-robot réalisé le 16 septembre 2024 montre le Français Peter Cherif, associé présumé des frères Kouachi qui ont perpétré l'attentat contre Charlie Hebdo en 2015, debout lors de son procès devant la cour d'assises spéciale de Paris, à Paris. (Photo par Benoit PEYRUCQ / AFP)
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  • La réclusion criminelle à perpétuité a été requise contre le jihadiste Peter Cherif, jugé devant la cour d'assises spéciale de Paris.
  • L'accusé de 42 ans est jugé depuis le 16 septembre pour association de malfaiteurs terroriste criminelle entre 2011 et 2018, période de sa présence au Yémen au sein d'Al-Qaïda dans la Péninsule arabique (Aqpa).

PARIS : La réclusion criminelle à perpétuité a été requise contre le jihadiste Peter Cherif, jugé devant la cour d'assises spéciale de Paris pour le rôle qu'il a pu jouer au Yémen auprès de Chérif Kouachi, l'un des assaillants du journal Charlie Hebdo en 2015, et pour la séquestration de trois humanitaires en 2011.

"Nous vous demandons qu'à la perpétuité Peter Cherif soit reclus", a déclaré l'avocate générale Aurélie Valente, en demandant que cette peine soit assortie d'une période de sûreté de 22 ans.

A l'issue d'un réquisitoire à deux voix, rendu avec son collègue Benjamin Chambre, elle a demandé à la cour d'assises spéciale de reconnaître Peter Cherif "coupable" de l'ensemble des charges qui lui sont reprochées.

L'accusé de 42 ans est jugé depuis le 16 septembre pour association de malfaiteurs terroriste criminelle entre 2011 et 2018, période de sa présence au Yémen au sein d'Al-Qaïda dans la Péninsule arabique (Aqpa).

Il lui est reproché d'avoir rejoint les rangs de cette organisation jihadiste et, dans ce cadre, d'avoir participé à la formation de son ami d'enfance Chérif Kouachi à l'attentat commis le 7 janvier 2015 au journal satirique Charlie Hebdo, dans lequel 12 personnes ont été assassinées. L'attaque a été revendiquée par Aqpa.

Il comparaît aussi pour la séquestration en bande organisée en 2011, pendant plus de cinq mois, de trois ressortissants français, membres de l'ONG Triangle génération humanitaire.

Pendant plus de quatre heures, les deux représentants du ministère public ont dressé le portrait d'un "jihadiste intégral" qui fut "la pierre angulaire de la préparation des attentats des frères Kouachi" en janvier 2015 et qui "n'a entamé aucune remise en cause".

"Son jihad, il n'en sortira pas", a asséné l'avocate générale, estimant que sa dangerosité était "toujours maximale".


Lucie Peytermann, journaliste à l’AFP, primée pour ses enquêtes sur les enfants harkis privés de sépulture

Des tombes de harkis, au cimetière de la commune à Bias, près de Villeneuve-sur-Lot (Photo, AFP).
Des tombes de harkis, au cimetière de la commune à Bias, près de Villeneuve-sur-Lot (Photo, AFP).
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  • Ce prix est décerné par la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les Harkis.
  • "En réalisant cette enquête, j'ai d'abord voulu faire connaître cette tragédie méconnue des enfants et bébés harkis, morts dans ces camps indignes et traumatisantes", a déclaré Lucie Peytermann en recevant son prix

PARIS : La journaliste de l'AFP Lucie Peytermann a reçu mercredi le prix "général François Meyer" pour sa série d'enquêtes et de reportages sur les cimetières de fortune d'enfants harkis en France, qui ont poussé les autorités à entreprendre des fouilles en vue de leur offrir une sépulture digne.

Ce prix est décerné par la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les Harkis (CNIH), ces Français musulmans recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962), abandonnés par la France à la fin du conflit.

Des dizaines de milliers d'entre eux et leurs familles ont fui les massacres de représailles en Algérie et ont été parqués en France dans des "camps de transit et de reclassement" gérés par l'armée française, aux conditions de vie déplorables.

"En réalisant cette enquête, j'ai d'abord voulu faire connaître cette tragédie méconnue des enfants et bébés harkis, morts dans ces camps indignes et traumatisantes", a déclaré Lucie Peytermann en recevant son prix des mains de la présidente de la CNIH Françoise Dumas et de l'académicien Jean-Marie Rouart, président du jury.

En 2020, une enquête de Lucie Peytermann avait révélé l'existence d'un cimetière de fortune sur l'ancien camp de Saint-Maurice-l'Ardoise (Gard), ce qui avait conduit en mars 2023 à des fouilles menées par l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap).

Fin septembre, une stèle y a été inaugurée portant le nom d'une trentaine d'enfants harkis enterrés là.

"Il faut maintenant que les fouilles soient enfin menées au cimetière de fortune de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), où, selon les statistiques que j'ai pu compiler, 101 enfants sont décédés, dont 86 avaient moins d'un an", a-t-elle souligné. A l'automne 2023, le gouvernement avait annoncé le prochain lancement de ces fouilles.