Les Français de confession musulmane et les Français d’origine arabe à l’épreuve du modèle français

Détails de l'intérieur de la grande mosquée de Paris. (AFP).
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Publié le Mardi 01 décembre 2020

Les Français de confession musulmane et les Français d’origine arabe à l’épreuve du modèle français

  • À partir du début des années 1980, la société française a pris conscience de la réalité de la présence d’immigrés de culture musulmane sur le territoire national
  • L’un des problèmes de cette nouvelle génération musulmane installée en France et en Europe aujourd’hui est que la modernisation n’apparaît pas comme un processus naturel, mais plutôt comme un modèle imposé

PARIS: La dernière vague terroriste qui a frappé la France cette année, succédant à celle de 2015-2016, ressuscite un débat sur l’adaptation d’une nouvelle génération d’immigrés et son degré d’intégration dans l’Hexagone. La capacité du modèle laïc français à favoriser le respect et la mise œuvre des principes fondateurs de la République, en particulier l’égalité et la fraternité, est également questionnée.

L’année 1983 a symbolisé la nouvelle donne émergente, avec la Marche des beurs et les grèves dans le secteur de l’automobile, dans lequel la main d’œuvre immigrée joue un rôle important. On commence alors à parler de la «deuxième génération».

Les schismes culturels et les inégalités sociales compliquent et retardent sans doute la marche vers l’intégration d’une jeunesse mise à rude épreuve, prise entre le marteau des sirènes religieuses extrémistes et l’enclume du racisme et de la discrimination, en l’absence de mécanismes efficaces pour promouvoir la citoyenneté.

Choc socioculturel

À partir du début des années 1980, la société française prend conscience de la réalité de la présence d’immigrés de culture musulmane sur le territoire national, notamment dans les banlieues de grandes villes baptisées à l’époque «banlieues de l’islam».

Les travailleurs issus de l’immigration qui étaient venus en France dans les années 1970 ayant vocation à rester sur place, le paysage français s’est transformé, et, au fil du temps, l’islam est devenu la deuxième religion du pays après le catholicisme. Ainsi, parallèlement à un choc socioculturel, une méfiance s’est installée entre, d’une part, des Français autochtones et ,d’autre part, de nouveaux Français issus de l’immigration, majoritairement maghrébins.

L’année 1983 a symbolisé la nouvelle donne émergente, avec la Marche des beurs et les grèves dans le secteur de l’automobile, dans laquelle la main d’œuvre immigrée joue un rôle important. On commence alors à parler de la «deuxième génération». L’année1989 constitue une autre date clé, où la «présence musulmane » pose de nouveaux défis, notamment dans le domaine de la laïcité. L’affaire de Creil, dans laquelle trois collégiennes qui refusent d’enlever le foulard islamique en classe dans une école publique sont exclues, pose subitement la question de la manifestation du religieux dans l’espace public.

À cette époque, la gauche est au pouvoir, et le ministre de l’Éducation est le dirigeant socialiste Lionel Jospin. La laïcité, élément structurant de l’identité de la gauche française, qui avait toujours été pensée dans le contexte de l’opposition de l’État à la religion, s’est pour la première fois retrouvée confrontée à la religion musulmane, changeant énormément de choses.

Modèle républicain

Plus globalement, l’affaire de Creil va susciter un intense débat au sein de la société française, et de nouvelles problématiques naissent sur la faculté pour l’islam de s’adapter à notre modèle républicain. L’année 1989 marque ainsi en quelque sorte l’avènement d’une nouvelle ère, marquée par une plus grande présence de l’islam de France, que ce soit médiatiquement ou sociologiquement.

Les lois sur l’interdiction du foulard et d’autres signes religieux dans les écoles et l’espace public, l’interdiction du niqab, ainsi que la création du Conseil du culte musulman de France (CFCM) pour faire de l’islam un acteur à la table de la République ont certes jeté des bases juridiques, mais ne sont pas parvenues à mettre en œuvre un nouveau contrat social. 

Depuis cette période, cet «islam visible» dans une société de plus en plus pluraliste et multiculturelle ne cesse de peser sur le modèle laïc, soit en raison du refus de l’insertion des musulmans dans une société non musulmane et laïque par certains courants, soit en raison de la montée du racisme et de la crainte d’une modification du paysage religieux et social. Les diverses tentatives de l’État jacobin de légiférer pour organiser l’islam par le haut ont tour à tour échoué.Tous ces facteurs n’ont pas abouti à un apaisement social significatif ou à un processus d’intégration accompli.

Les lois sur l’interdiction du foulard et d’autres signes religieux dans les écoles et l’espace public, l’interdiction du niqab, ainsi que la création du Conseil du culte musulman de France (CFCM) pour faire de l’islam un acteur à la table de la République ont certes jeté des bases juridiques, mais ne sont pas parvenues à mettre en œuvre un nouveau contrat social ou à élaborer un code de conduite de la vie commune.

L’installation tardive de l’islam dans les contrées de l’Europe chrétienne, judéo-chrétienne ou laïque, ne cesse de poser des problèmes particuliers et feu l’islamologue Mohammed Arkoun n’avait pas tort de le faire remarquer. «L'Occident croyait en avoir fini avec la question religieuse, au plan philosophique, juridique ou culturel. L’arrivée des musulmans en Europe occidentale lui a montré qu'il n'en était rien», expliquait-il.

Fossé culturel et querelle entre les religions

Ce rappel historique montre que deux visions s’affrontent: celle qu’ont majoritairement de jeunes maghrébins de la France et qui résulte notamment d'une réaction à la longue histoire du jeu des puissances européennes dans la région, et, en face, celle d’une partie de l’establishment français et de Français de souche, marquée par le fossé culturel et la querelle entre les religions.

Dans son essai L’Orient imaginaire, Thierry Hentsch estime à juste titre que «l’Orient, et tout particulièrement l’Orient méditerranéen, sert à la conscience occidentale de lieu de référence». Cette approche s’applique aussi au monde arabe, qui se positionne souvent par rapport à l’Occident européen. En partant de ce constat, l’ignorance et la non-reconnaissance de l’autre donnent lieu à des perceptions biaisées par des préjugés et des craintes.

L’un des grands problèmes de cette nouvelle génération musulmane installée en France et en Europe aujourd’hui tient à ce que la modernisation n’apparaît pas comme un processus naturel, mais plutôt comme un modèle imposé. Elle est donc vécue comme une perte d’identité par certains cercles religieux. Les notions de citoyen et d’État de droit sont toujours confuses pour ces nouveaux venus ou nouveaux citoyens.

La séparation entre la religion et l’État établie par la loi de 1905, alors que l’islam n’apparaît officiellement sur le territoire de la métropole qu’en 1926, à l’occasion de la fondation de la Grande Mosquée de Paris, explique en partie la montée de l’islamisme politique et d’autres courants radicaux ou rétrogrades au sein de la population de confession musulmane. Le christianisme en France a pour sa part connu un cheminement différent.

Mais cette nouvelle génération musulmane qui ne vit pas un islam adapté à la réalité française ne se rend pas compte que la civilisation européenne actuelle doit beaucoup à l’époque de la présence musulmane en Andalousie, avec le rayonnement de Cordoue et de ses villes sœurs. Le mouvement de la traduction et de l’interaction culturelle qui s’est développé dans ce qui est aujourd’hui une région d’Espagne, a semé les germes du progrès européen.

Panne d’intégration ou repli identitaire

En septembre 2019, trente ans après l’affaire des foulards de Creil, un sondage a été réalisé par l’Ifop afin de suivre les évolutions de fond de la société française, en interrogeant la population de confession ou de culture musulmane. Le premier enseignement que l’on peut en tirer est que le public de croyants se conforme aux injonctions de la religion à laquelle il est rattaché spirituellement et culturellement.

On voit que l’empreinte de la religion sur cette population ne s’est pas effacée, bien au contraire. Comme le poids de cette population musulmane a augmenté et que l’observation de préceptes religieux par la jeunesse musulmane se répand et s’accélère, des acteurs économiques ont répondu à cette demande, favorisant l’émergence d’un marché encourageant en retour le respect du halal. Cette dynamique a été portée par beaucoup d’acteurs,d’associations et de mosquées fondées par des pays d’où sont issus les immigrés, ou par des associations liées à des courants idéologiques (Frères musulmans, Tabligh, entre autres). Cela démontre une panne de l’intégration pour accéder à la citoyenneté en raison de la ghettoïsation d’un côté et du repli religieux et identitaire de l’autre.

Récemment Arabnews en français s’est associé à l’institut britannique de sondages en ligne, YouGov, pour donner, à travers une enquête, la parole aux Français d’origine arabe. Réalisée entre le 8 et le 14 septembre 2020, cette enquête repose sur un échantillon représentatif de 958 Français originaires des pays arabes, habitant dans toute la France. Alors qu’une vague de violence inspirée d’un islam radical secoue les villes et la culture françaises, créant un sentiment d’insécurité et de peur, l’islamophobie est grandissante.

L’enquête confirme leur désir d’appartenir à une France démocratique et laïque. La majorité des personnes interrogées sont éduquées et ont un emploi. Les Français d’origine arabe connaissent bien, dans l’ensemble, le système français et son histoire. Ils adhèrent aux valeurs fondamentales de la République française. Les Français d’origine arabe se sont largement adaptés au mode de vie en France, mais ils ne se sentent pas acceptés, et même stigmatisés.

Le pari d’un processus de sécularisation et d’une «sortie de la religion» qui aurait également concerné la population immigrée et ces jeunes d’origine arabe s’est dissipée, avec l’affaire Rushdie, la montée des idées de l’islamisme politique, et la poursuite des flux migratoires.

La religion comme leur origine n’ont pas d’impact sur leur sentiment d’appartenance à la société française. Mais la consonance de leur nom a un impact sur leur carrière. La moitié des personnes interrogées estime que ni leur race ni leur origine ni leur religion n’ont eu d’impact sur leur sentiment d’appartenance à la société française et sur leur carrière professionnelle. Leurs réponses soulignent aussi un sentiment d’exclusion qui, pour 51 % d’entre eux, n’est pas liée à la couleur de peau mais plutôt à l’origine ethnique de leur nom (36 %) et qui, en revanche, a un impact négatif sur leurs perspectives de carrière. Ce sentiment d’exclusion est exacerbé chez les femmes qui estiment que leur pays d’origine (46 % contre 33 % des hommes) ainsi que leur religion (66 % contre 52 % des hommes) provoquent une perception négative auprès de leurs compatriotes.

Cette nouvelle génération considère que les demandes concrètes qui lui sont faites pour s’adapter à la laïcité représentent une atteinte à son identité. Ces jeunes musulmans ou ces jeunes maghrébins considèrent «qu’un élève de confession musulmane devrait pouvoir manger halal dans les cantines scolaires, et qu’une jeune fille devrait avoir la possibilité de porter le voile à l’école ou de ne pas aller à la piscine».

Ainsi, le pari d’un processus de sécularisation et d’une «sortie de la religion» qui aurait également concerné la population immigrée et ces jeunes d’origine arabe s’est dissipée, avec l’affaire Rushdie, la montée des idées de l’islamisme politique, et la poursuite des flux migratoires, provoquant une influence culturelle et sociale plus grande des pays d’origine amplifiant le repli identitaire.

Séparation entre l'Église et l'État

La révolution française a brisé les liens entre la religion et l’État. Mais Napoléon Bonaparte les a rétablis sous la forme du Concordat, et il aura fallu attendre 1905 pour instaurer la séparation entre l'Église et l'État. En effet, sur le plan du droit, l'État n'interfère pas dans la vie des religions. Mais, pour le penseur Théo Klein, récemment disparu, «cela n'empêche pas la persistance de l'influence de l'Église catholique, par exemple à travers le calendrier qui reste catholique et les fêtes qui le sont aussi pour la plupart. L’État, qui se veut laïc, est souvent amené à refuser aux autres religions ce qu’il donne aux laïcs ou aux catholiques». Ces évolutions ont creusé une fracture culturelle et sociale en France.

Dans un contexte de menace terroriste et de risques de rupture véhiculés par l’islamophobie dans un climat délétère, les différents regards d’un côté ou de l’autre sont influencés par la conjonction d'éléments d'ordre historique, politique, religieux, culturel et économique.

Pour la France, la lutte sans merci contre le terrorisme et les phénomènes de radicalisation religieuse – politique de racisme ou de populisme à outrance – représente une priorité nationale. Il en va de la défense de la cohésion nationale et de la stabilité. Dans ce cadre, l’adaptation du modèle laïc français afin qu’il devienne positif et ouvert devrait aller de pair avec les efforts des élites musulmanes pour une meilleure intégration et un respect des obligations de la citoyenneté.


France: les députés rejettent l'emblématique taxe Zucman, au grand dam de la gauche

Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
Des députés du Rassemblement national applaudissent lors de l'examen des textes par la "niche parlementaire" du groupe d'extrême droite Rassemblement national, à l'Assemblée nationale, la chambre basse du parlement français, à Paris, le 30 octobre 2025. (AFP)
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  • L’Assemblée nationale a refusé la proposition de taxe de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros (228 voix contre 172), symbole des tensions entre gauche et droite sur la justice fiscale
  • Le Premier ministre Sébastien Lecornu tente d’éviter une censure et de sauver le budget 2026 en multipliant les concessions à la gauche

PARIS: Les députés français ont rejeté vendredi l'emblématique taxe Zucman sur la taxation des ultra-riches, au grand dam de la gauche, à laquelle le Premier ministre Sébastien Lecornu a tenté de donner des gages pour parvenir à faire voter un budget.

Les parlementaires sont engagés dans de difficiles débats pour arriver à un compromis sur ce sujet qui relève du casse-tête dans un paysage politique très fragmenté, sans majorité nette à l'Assemblée nationale depuis la dissolution décidée en juin 2024 par Emmanuel Macron.

Défendue par la gauche, la taxe Zucman, qui visait à instaurer un impôt minimum de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, a été rejetée par 228 députés contre 172.

Cette proposition, qui cristallisait les débats budgétaires, s'inspire des travaux du discret économiste Gabriel Zucman, chantre de la justice fiscale pour la gauche et adversaire des entreprises pour la droite et les libéraux, jusqu'au patron de LVMH, qui le qualifie de "pseudo universitaire".

Les députés ont également rejeté une version de compromis de cette taxe, proposée par les socialistes.

"Vous faites, par votre intransigeance, je le crains, le mauvais chemin", a dénoncé le socialiste Boris Vallaud. Le chef des députés PS a appelé dans la foulée à voter le rétablissement de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) supprimé en 2017.

De son côté, la droite s'est réjouie: "On est contre les augmentations d'impôts qui vont tuer de l'emploi et tuer de l'activité économique", a réagi le chef des députés Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez.

Le Premier ministre Lecornu a réfuté l'existence d'un "impôt miracle pour rétablir la justice fiscale", et demandé à ses ministres de réunir les représentants de groupes politiques pour tenter de trouver une voie d'atterrissage et s'accorder sur un budget pour 2026.

Minoritaire, le quatrième gouvernement en moins d'un an et demi, le sixième depuis la réélection de M. Macron en mai 2022, a promis de laisser le dernier mot au Parlement. Mais la recherche d'un compromis reste très difficile entre un camp présidentiel fracturé, une gauche traversée de tensions et une extrême droite favorable à une union des droites.

- Le PS maintient la pression -

La pression est forte entre des délais très courts et l'inquiétude croissante sur la situation des finances publiques de la deuxième économie de l'UE dont la dette atteint 115% du PIB.

Tout en insistant sur la nécessité de réaliser d'importantes économies, le Premier ministre doit donc accepter des concessions, au risque de ne pas parvenir à doter l'Etat français d'un budget dans les temps ou de tomber comme ses prédécesseurs.

Pour convaincre les socialistes de ne pas le renverser, Sébastien Lecornu a déjà accepté de suspendre la réforme des retraites adoptée au forceps en 2023, une mesure approuvée vendredi en commission parlementaire.

Face à la colère froide de la gauche après les votes de vendredi, il s'est dit prêt en outre à renoncer au gel des pensions de retraite et des minimas sociaux, des mesures parmi les plus contestées de cette séquence budgétaire et dont la suppression était dans le même temps votée en commission des Affaires sociales.

Le gouvernement comptait faire jusqu'à 3,6 milliards d'économies sur ces sujets, et pourrait compenser cela, au moins en partie, par une hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) sur le patrimoine.

Pour Sébastien Lecornu, il s'agit d'échapper à une censure du PS, qui maintient son étreinte et l'appelle à "encore rechercher le compromis" sous peine de devoir "repartir aux élections". A ce stade, "il n'y a pas de possibilité de voter ce budget", a lancé le patron des socialistes, Olivier Faure.

Si le Parlement ne se prononce pas dans les délais, le gouvernement peut exécuter le budget par ordonnance. Une loi spéciale peut aussi être votée permettant à l'Etat de continuer à percevoir les impôts existants l'an prochain, tandis que ses dépenses seraient gelées, en attendant le vote d'un réel budget.


France: le cimentier Lafarge jugé à partir de mardi pour financement du terrorisme

Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie. (AFP)
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  • Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires
  • Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales

PARIS: Une multinationale en procès, dans une affaire inédite: le groupe français Lafarge et d'anciens hauts responsables comparaissent à partir de mardi à Paris, soupçonnés d'avoir payé des groupes jihadistes, dont l'État islamique (EI), en Syrie jusqu'en 2014 dans le but d'y maintenir l'activité d'une cimenterie.

Aux côtés de Lafarge, avalé en 2015 par le groupe suisse Holcim, seront jugés au tribunal correctionnel de Paris l'ancien PDG du cimentier, Bruno Lafont, cinq ex-responsables de la chaîne opérationnelle ou de la chaîne de sûreté et deux intermédiaires syriens, dont l'un est visé par un mandat d'arrêt international et devrait donc être absent au procès.

Dans ce dossier, ils devront répondre de financement d'entreprise terroriste et, pour certains, de non-respect de sanctions financières internationales.

Le groupe français est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes rebelles jihadistes dont certains, comme l'EI et Jabhat al-Nosra, ont été classés comme "terroristes", afin de maintenir l'activité d'une cimenterie à Jalabiya, dans le nord du pays.

La société avait investi 680 millions d'euros dans ce site, dont la construction a été achevée en 2010.

Plaintes 

Alors que les autres multinationales avaient quitté le pays en 2012, Lafarge n'a évacué cette année-là que ses employés de nationalité étrangère, et maintenu l'activité de ses salariés syriens jusqu'en septembre 2014, date à laquelle l'EI a pris le contrôle de l'usine.

Dans ce laps de temps, LCS aurait rémunéré des intermédiaires pour s'approvisionner en matières premières auprès de l'EI et d'autres groupes, et pour que ces derniers facilitent la circulation des employés et des marchandises.

L'information judiciaire avait été ouverte à Paris en 2017 après plusieurs révélations médiatiques et deux plaintes en 2016, une du ministère de l'Économie pour violation d'embargo, et l'autre de plusieurs associations et de onze anciens salariés de LCS pour financement du terrorisme.

Le nouveau groupe, issu de la fusion de 2015, qui a toujours pris soin de dire qu'il n'avait rien à voir avec les faits antérieurs à cette opération, avait entretemps lancé une enquête interne.

Confiée aux cabinets d'avocats américain Baker McKenzie et français Darrois, elle avait conclu en 2017 à des "violations du code de conduite des affaires de Lafarge".

Et en octobre 2022, Lafarge SA avait plaidé coupable aux États-Unis d'avoir versé à l'EI et Jabhat Al-Nosra près de 6 millions de dollars, et accepté d'y payer une sanction financière de 778 millions de dollars.

Une décision dénoncée par plusieurs prévenus du dossier français, à commencer par Bruno Lafont, qui conteste avoir été informé des paiements aux groupes terroristes.

Plus de 200 parties civiles 

Selon ses avocats, ce plaider-coupable, sur lequel s'appuient en partie les juges d'instruction français dans leur ordonnance, "est une atteinte criante à la présomption d'innocence, qui jette en pâture les anciens cadres de Lafarge" et avait "pour objectif de préserver les intérêts économiques d'un grand groupe".

Pour la défense de l'ex-PDG, le procès qui s'ouvre permettra d'"éclaircir" plusieurs "zones d'ombre du dossier", comme le rôle des services de renseignement français.

Les magistrats instructeurs ont estimé que si des remontées d'informations avaient eu lieu entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets sur la situation autour du site, cela ne démontrait "absolument pas la validation par l'Etat français des pratiques de financement d'entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie".

Au total, 241 parties civiles se sont à ce jour constituées dans ce dossier. "Plus de dix ans après les faits, les anciens salariés syriens pourront enfin témoigner de ce qu'ils ont enduré: les passages de check-points, les enlèvements et la menace permanente planant sur leurs vies", souligne Anna Kiefer, de l'ONG Sherpa.

Lafarge encourt jusqu'à 1,125 million d'euros d'amende pour le financement du terrorisme. Pour la violation d'embargo, l'amende encourue est nettement plus lourde, allant jusqu'à 10 fois le montant de l'infraction qui sera retenu in fine par la justice.

Un autre volet de ce dossier est toujours à l'instruction, le groupe ayant aussi été inculpé pour complicité de crimes contre l'humanité en Syrie et en Irak.


Gérald Darmanin visé par une plainte d'avocats pour son soutien implicite à Sarkozy

Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent". (AFP)
Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent". (AFP)
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  • Le garde des Sceaux a rencontré mercredi à la prison de la Santé à Paris l'ancien président de la République, un de ses mentors en politique
  • Mais la plainte des avocats est née bien avant, juste après des déclarations de M. Darmanin sur France Inter le 20 octobre, à la veille de l'incarcération de M. Sarkozy

PARIS: Ils accusent Gérald Darmanin de "prendre position": un collectif d'avocats a porté plainte auprès de la Cour de justice de la République (CJR) contre le ministre de la Justice pour son soutien implicite à Nicolas Sarkozy, à qui il a rendu visite en prison.

Le garde des Sceaux a rencontré mercredi à la prison de la Santé à Paris l'ancien président de la République, un de ses mentors en politique.

Mais la plainte des avocats est née bien avant, juste après des déclarations de M. Darmanin sur France Inter le 20 octobre, à la veille de l'incarcération de M. Sarkozy.

En confiant ce jour-là sa "tristesse" après la condamnation de M. Sarkozy et en annonçant lui rendre prochainement visite en prison, ce qu'il a fait depuis, M. Darmanin a "nécessairement pris position dans une entreprise dont il a un pouvoir d'administration", stipule la plainte que l'AFP a pu consulter.

M. Darmanin indiquait qu'il irait "voir en prison" M. Sarkozy pour s'inquiéter "de ses conditions de sécurité". Et d'ajouter: "J'ai beaucoup de tristesse pour le président Sarkozy", "l'homme que je suis, j'ai été son collaborateur, ne peut pas être insensible à la détresse d'un homme".

Ce collectif d'une trentaine d'avocats se dit dans sa plainte, portée par Me Jérôme Karsenti, "particulièrement indigné par les déclarations du garde des Sceaux" faisant part "publiquement de sa compassion à l'égard de M. Sarkozy en soulignant les liens personnels qu'ils entretiennent".

En "s'exprimant publiquement quant à sa volonté de rendre visite à M. Sarkozy en détention" ainsi "qu'en lui apportant implicitement son soutien", M. Darmanin a "nécessairement pris position" dans une entreprise dont il a aussi "un pouvoir de surveillance en tant que supérieur hiérarchique du parquet", déroulent les plaignants.

Juridiquement, ce collectif d'avocats porte plainte contre M. Darmanin pour "prise illégale d'intérêts", via une jurisprudence considérant que "l'intérêt" peut "être moral et plus précisément amical".

"Préjudice" 

"Il ne fait pas de doute que cet intérêt est de nature à compromettre l'impartialité et l'objectivité de M. Darmanin qui, en tant que ministre de la Justice, ne peut prendre position de cette manière dans une affaire pendante", argumentent les avocats.

Condamné le 25 septembre à cinq ans d'emprisonnement dans le dossier libyen pour association de malfaiteurs, l'ancien président a depuis déposé une demande de remise en liberté, que la justice doit examiner dans les prochaines semaines, avant son procès en appel en 2026.

Les propos de M. Darmanin sur France Inter avaient déjà ému la magistrature. Le plus haut procureur de France, Rémy Heitz, y avait vu un "risque d'obstacle à la sérénité" et donc "d'atteinte à l'indépendance des magistrats".

"S'assurer de la sécurité d'un ancien président de la République en prison, fait sans précédent, n'atteint en rien à l'indépendance des magistrats mais relève du devoir de vigilance du chef d'administration que je suis", s'était déjà défendu M. Darmanin sur X.

Pour le collectif d'avocats, "les déclarations" du ministre de la Justice, "suivies" de sa "visite rendue à la prison de la Santé", sont "susceptibles de mettre à mal la confiance que les justiciables ont dans la justice et leurs auxiliaires", que sont notamment les avocats.

Les "agissements" de M. Darmanin leur causent "ainsi un préjudice d'exercice et d'image qui rend nécessaire le dépôt de cette plainte auprès de la commission des requêtes" de la CJR, peut-on encore lire dans la plainte.

La CJR est la seule juridiction habilitée à poursuivre et juger les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions.