Le déclin de l’influence américaine au Moyen-Orient profite à la Chine

La montée en puissance de la Chine au Moyen-Orient peut être appréhendée à travers les partenariats économiques de Pékin avec tous les pays de la région (Photo, AFP).
La montée en puissance de la Chine au Moyen-Orient peut être appréhendée à travers les partenariats économiques de Pékin avec tous les pays de la région (Photo, AFP).
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Publié le Mardi 18 avril 2023

Le déclin de l’influence américaine au Moyen-Orient profite à la Chine

Le déclin de l’influence américaine au Moyen-Orient profite à la Chine
  • Les administrations démocrates et républicaines successives ont terni la crédibilité des États-Unis au Moyen-Orient en raison de leurs politiques changeantes à l'égard de l'Iran
  • Les investissements chinois dans différents pays ont permis à Pékin de passer du soft power à une stratégie géoéconomique et géopolitique

Après la dernière visite de William Burns en Arabie saoudite, il convient de se demander si les États-Unis sont conscients de la situation au Moyen-Orient au-delà de leur angle de vue. Lors de sa visite, le directeur de la CIA aurait déclaré au prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane que les États-Unis se sentaient «pris de court» par le rapprochement de Riyad avec l'Iran et la Syrie – les rivaux de Washington dans la région. Ces remarques sembleraient ironiques, étant donné le rôle de M. Burns dans l'administration Obama et dans la formulation de la nouvelle politique américaine à l'égard de l'Iran, rectifiant les politiques néoconservatrices qui ont conduit Washington à commettre des erreurs en Irak (depuis 2003) et en Afghanistan (de 2001 à 2021).

En 2009, M. Burns avait expliqué que, tout en reconnaissant le poids de l'Iran dans la région, «notre objectif fondamental devrait être de rechercher une base à long terme pour coexister avec l'influence iranienne tout en limitant ses excès; de changer le comportement de l'Iran, mais pas son régime». Cette approche politique préconisée par M. Burns il y a quatorze ans ressemble à l'approche saoudienne à l'égard de l'Iran en 2023. La seule différence est que les États-Unis ont fait preuve d'une naïveté quant à leur capacité à modifier le comportement iranien à travers une politique d'engagement sans aucune contrainte extérieure. Aujourd'hui, l'approche saoudienne à l'égard de l'Iran suppose que l'influence de la Chine sur le processus décisionnel iranien est suffisamment forte pour ouvrir la voie à une politique d'engagement. Néanmoins, l'approche saoudienne ne repose pas uniquement sur la possibilité que l'engagement suffise à modifier les politiques nucléaires, militaires et régionales de l’Iran.

Les administrations démocrates et républicaines successives ont terni la crédibilité des États-Unis au Moyen-Orient en raison de leurs politiques changeantes à l'égard de l'Iran. Le coût économique de la guerre en Ukraine, l'incapacité à résoudre la question palestinienne, le soutien au dénommé printemps arabe et la polarisation intérieure ont davantage entamé la crédibilité des États-Unis dans les pays de la région. Parallèlement, les investissements chinois dans différents pays ont permis à Pékin de passer du soft power à un impact géoéconomique et géopolitique.

La montée en puissance de la Chine au Moyen-Orient doit être appréhendée à travers le prisme des partenariats économiques de Pékin avec tous les pays de la région. Cette approche économique contraste fortement avec la politique américaine qui consiste à projeter une puissance militaire contre des adversaires régionaux faibles, tels que les talibans en 2001 et le régime de Saddam Hussein en 2003. Comme le souligne Robert F. Kennedy Jr. sur Twitter, «la Chine a supplanté l'empire américain en projetant habilement, à la place, une puissance économique. Au cours des dix dernières années, notre pays a dépensé des milliers de milliards pour construire des routes, des ports, des ponts et des aéroports. La Chine a dépensé l'équivalent pour construire autant d'infrastructures dans les pays en développement.»

Les États-Unis ont fait preuve d'une réelle naïveté quant à leur capacité à modifier le comportement de l'Iran à travers une politique d'engagement sans aucune contrainte extérieure

Mohammed al-Sulami

Depuis l'ère Obama (2009-2017), la dimension réactive de la politique américaine au Moyen-Orient a semé la confusion dans l'esprit des partenaires de Washington dans la région. Le manque de soutien des États-Unis à leurs alliés régionaux pendant le dénommé printemps arabe et l'idée d'un rapprochement avec Téhéran dans un contexte de troubles sociaux dans la région ont poussé la majorité de leurs alliés du Golfe à rechercher une nouvelle politique étrangère fondée sur l'autonomie et la diversification. Le déclin régional s'est vu accéléré, d'une part, par l'échec des néoconservateurs à changer la région au moyen de guerres, et d'autre part, par l'approche démocrate consistant à promouvoir l'influence des États-Unis sans accorder la priorité à leurs alliés et partenaires dans la région.

En outre, la politique régionale de Barack Obama, fondée sur une vision critique des États du Golfe, ainsi que les guerres régionales menées sous l'administration de George W. Bush, soutenues par les néoconservateurs, ont affaibli la crédibilité des États-Unis au Moyen-Orient. Au-delà du bellicisme et du sentiment de supériorité morale des États-Unis, il est important de considérer l'impact dévastateur des débats internes américains sur la réputation du pays dans le monde, en particulier au Moyen-Orient.

Depuis la révision de la politique d'Obama sur l'Iran, Washington et ses alliés régionaux ne sont pas parvenus à un consensus sur les questions iraniennes. La région craint désormais que les démocrates ne déterminent une politique régionale contraire à celle de Donald Trump. Dans ce contexte intérieur américain, le climat positif des relations saoudo-américaines sous l'administration Trump s'est refroidi et s'est tendu avec le début de l'administration Biden.

Ces positions partisanes renforcent la perception régionale selon laquelle la politique américaine au Moyen-Orient reflète davantage une polarisation intérieure qu'une réelle volonté de traiter les problèmes et les préoccupations de la région. Cette approche américano-centrée ne convient plus aux pays de la région. Au contraire, compte tenu des erreurs commises par les États-Unis en Afghanistan et en Irak, l'administration Biden devrait demander conseil à ses partenaires régionaux pour renforcer l'influence américaine et regagner une partie du prestige perdu depuis les guerres néoconservatrices.

Il semble donc plus que jamais essentiel que les faucons républicains et les colombes démocrates sortent de leurs débats internes stériles pour élaborer une nouvelle politique régionale en phase avec la transformation socioculturelle de la région. Celle-ci devrait privilégier la stabilité politique et une approche économique gagnant-gagnant, plutôt que les intérêts internes à court terme des factions politiques de Washington. Sinon, la Chine poursuivra son ascension, tant sur le plan géopolitique qu'en soft power.

Mohammed al-Sulami est président de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).

Twitter: @mohalsulami

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com