Face à la nouvelle tragédie soudanaise, ce n’est pas le moment de quitter Khartoum

De la fumée s'élevant d'un bâtiment à côté d'une voiture endommagée dans une rue de Khartoum, le 23 avril 2023 (Photo, AFP).
De la fumée s'élevant d'un bâtiment à côté d'une voiture endommagée dans une rue de Khartoum, le 23 avril 2023 (Photo, AFP).
Short Url
Publié le Vendredi 28 avril 2023

Face à la nouvelle tragédie soudanaise, ce n’est pas le moment de quitter Khartoum

Face à la nouvelle tragédie soudanaise, ce n’est pas le moment de quitter Khartoum
  • Le Soudan, devenu indépendant en 1956 après un long condominium égypto-britannique, a connu de nombreuses crises
  • Ni les États-Unis, ni l'Europe, ni les pays arabes, ni bien sûr l'Union africaine n'ont intérêt à laisser s'installer dans la Corne de l'Afrique une nouvelle guerre dévastatrice

Après la guerre qui a ruiné le Yémen et le ruine encore aujourd'hui, après le conflit qui a ravagé l'Éthiopie ces dernières années, voilà qu'une nouvelle tragédie humanitaire s'annonce au Soudan. Ce sont trois pays presque voisins, quoique très différents les uns des autres, mais qui ont en commun d'être profondément divisés pour des raisons historiques, ethniques ou religieuses, et parfois les trois ensemble.

Le Soudan, devenu indépendant en 1956 après un long condominium égypto-britannique, a connu de nombreuses crises: une longue et cruelle dictature sous la férule d’Omar el-Bechir après un coup d'État militaire en 1989, une interminable guerre civile au Darfour, la sécession des provinces du Sud, avant que le régime s'effondre en 2019 sous la pression de l'armée. Depuis le 15 avril, il sombre une nouvelle fois dans le chaos parce que les militaires se déchirent pour la conquête du pouvoir, semant la panique et le malheur dans la population.

Pour autant, l'information qui a d'abord tenu la vedette en provenance de Khartoum, la capitale, c'est la fermeture générale des ambassades et la fuite accélérée des ressortissants étrangers. Les médias internationaux ne parlaient que de cela. Les images diffusées, c'étaient des colonnes de véhicules quittant la capitale en catastrophe vers l'Égypte. Les États qui en ont les moyens ont organisé, avec le concours de l'ONU, l'évacuation de leurs ressortissants, en négociant avec les forces militaires sur place des facilités et des garanties de sécurité. C'est ce qu'ont fait, entre autres, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Italie.

La France a, de son côté, affrété des moyens aériens pour organiser plusieurs vols vers Djibouti en vue d'évacuer ses diplomates et ses ressortissants, soit près de 400 personnes. Tout cela est bien compréhensible et parfaitement légitime, mais on devine ce que peuvent penser les malheureux Soudanais abandonnés à eux-mêmes en pleine tragédie. La cavale des ambassadeurs manque un peu de dignité.

Le fait est que ce conflit est une affaire qui se règle entre l'armée officielle, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan, et la milice des Forces spéciales (FSR), des paramilitaires dirigés par le général Mohamed Hamdan Dogolo, dit «Hemeti». Après la chute d'Omar el-Bechir et l'échec des tentatives en vue d'instaurer un gouvernement associant des personnalités civiles et militaires, les deux généraux s'étaient associés en 2021 pour écarter les notables civils et pour prendre le pouvoir ensemble, Hemeti devenant le numéro deux du régime dirigé par le général Burhan.

C'est une affaire entre militaires, mais, comme toujours, ce sont les populations civiles qui en paieront le prix, qui sera sûrement très élevé.

Hervé de Charette

Cela ne pouvait évidemment pas durer. Hemeti a rompu l'accord et déclenché les hostilités. L'affrontement sera donc violent et ira jusqu'au bout. Il faut s'attendre au pire. Déjà, les dégâts sont considérables et les victimes se comptent par milliers. C'est une affaire entre militaires, mais, comme toujours, ce sont les populations civiles qui en paieront le prix, qui sera sûrement très élevé. Le Soudan est un pays très pauvre où près d'un tiers de ses 45 millions d'habitants souffrent de la faim. Il aurait davantage besoin d'une aide humanitaire internationale que d'une «guerre civile entre militaires», Soudanais contre Soudanais, dont on peut penser qu'elle sera cruelle et dévastatrice. La fuite des résidents étrangers montre bien ce à quoi s'attend la communauté internationale. 

Enfin, il est à craindre que le conflit s'internationalise. En 2021, l'Égypte et la Russie avaient soutenu le putsch des généraux, tandis que les Occidentaux l'avaient condamné. Cette fois, la situation est différente. Il semble bien que la Russie soit derrière la rébellion de Hemeti. Il se murmure même que la milice Wagner, déjà présente au Darfour, pourrait intervenir à Khartoum en appui de Hemeti. Au contraire, les Occidentaux devraient s'associer à l'Égypte pour soutenir le chef de l'armée, le général Burhan, qui a pour lui ès qualités une certaine légitimité. Ce qui sera probablement déterminant, c'est l'attitude des pays du Golfe, qui ont une certaine influence au Soudan et peuvent contribuer au silence des armes.

Ce n'est donc pas le moment de quitter Khartoum. Ni les États-Unis, ni l'Europe, ni les pays arabes, ni bien sûr l'Union africaine n'ont intérêt à laisser s'installer dans la Corne de l'Afrique une nouvelle guerre dévastatrice dont on peut craindre qu'elle tourne aussi mal que les deux précédentes, au Yémen et en Éthiopie. Il est donc urgent de tout faire pour l'empêcher de s'enkyster dans ce malheureux pays.

 

Hervé de Charette a été ministre des Affaires étrangères et ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député du Maine-et-Loire.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.