Nouvelle politique chinoise des États-Unis: quelles conséquences pour le Golfe ?

(David MCNEW/GETTY IMAGES NORTH AMERICA/Getty Images via AFP)
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Publié le Mardi 28 juillet 2020

Nouvelle politique chinoise des États-Unis: quelles conséquences pour le Golfe ?

Nouvelle politique chinoise des États-Unis: quelles conséquences pour le Golfe ?
  • Les Etats-Unis adoptent une nouvelle doctrine stratégique face aux menaces de la Chine
  • Le commandant américain McKenzie a comparé la compétition des superpuissances dans le Golfe au chaos du Far West

Les fermetures du consulat chinois à Houston et du consulat américain à Chengdu, la semaine dernière, sont le dernier épisode en date des tensions diplomatiques entre la Chine et les Etats-Unis. Entre les deux grandes puissances, les discussions deviennent presque impossibles. Alors que la guerre des mots se transforme progressivement en actes, comment cette lutte va-t-elle affecter les pays du Golfe ?

Ces dernières semaines, la politique américaine sur la Chine – et dans une moindre mesure sur la Russie - est au cœur des discussions de l’administration américaine. Un changement de doctrine est en cours, dans cette période de transition qui précède l’élection présidentielle américaine, et il devrait se poursuivre dans l’avenir, quelle que soit l’issue du vote. Il apparaît donc fondamental de discuter de ces derniers développements avec les partenaires américains du Golfe pour les préparer à cette nouvelle phase.

Nouvelle doctrine américaine, 50 ans après la visite de Nixon à Pékin

Le secrétaire d'État Mike Pompeo a tracé les grandes lignes de la nouvelle doctrine américaine lors d’un discours prononcé à la Richard Nixon Presidential Library en Californie. Il  a semblé remettre en question la politique chinoise américaine, telle qu’elle existe depuis la visite historique de Nixon à Pékin en 1972. Pendant de longues années, une politique de coexistence pacifique, de coopération économique et de réformes politiques s’est avérée gagnante pour tous. Néanmoins, Pompeo a énoncé une liste de problèmes démontrant que cette politique n’avait pas eu les résultats escomptés. Il mentionné les violations de « règles équitables » par la Chine dans le commerce international, ses atteintes aux droits de l’homme et a réitéré ses accusations de « vol de la propriété intellectuelle » par les Chinois, mentionnant notamment le géant des télécoms chinois Huawei ou les récentes accusations concernant le consulat chinois de Houston, « plaque tournante de l’espionnage et du vol de la propriété intellectuelle. »

Sur le front militaire, Pompeo a déclaré que l’armée chinoise était devenue « plus forte et plus menaçante ». Il a rappelé que les Etats-Unis avaient mis fin ce mois-ci à huit ans de complaisance en matière de droit international dans la mer de Chine méridionale, en intensifiant les efforts militaires pour garantir la liberté de navigation dans la mer du Japon, la mer de Chine méridionale et le détroit de Taiwan. Il a également souligné la création par l’administration d’une «force spatiale» pour affronter la Chine dans l’espace et a appelé Pékin à « adapter ses capacités nucléaires aux réalités stratégiques de notre temps. »

Diplomatiquement, Pompeo a déclaré que son département d'État avait « élaboré un nouvel ensemble de politiques » pour « mettre fin aux déséquilibres qui se sont creusés au fil des décennies ». Le secrétaire d’Etat a également évoqué des pourparlers entre des responsables du Département d'État et leurs homologues chinois  « à tous les niveaux, partout dans le monde… simplement pour exiger l'équité et la réciprocité. »

Les changements esquissés par le secrétaire d’Etat américain semblent être étroitement coordonnés et scénarisés. Son discours est le quatrième d'une série sur la Chine, après ceux prononcés par Robert O'Brien, conseiller à la sécurité nationale, Christopher Wray, directeur du FBI et William Barr, le ministre de la Justice. Cet effort pangouvernemental représente « un objectif très clair et une véritable mission ». Cela ne doit pas être pris à la légère.

Comment cette nouvelle politique va-t-elle affecter le Golfe ?

Le mois dernier, le commandant à la tête du US Central Command (CENTCOM), le général Kenneth F. McKenzie Jr, a fait état d'une « résurgence » de la concurrence des grandes puissances dans le Golfe et dans la zone du CENTCOM de laquelle il a la charge, et qui comprend le Moyen-Orient, l'Afrique de l'Est, le Centre et l’Asie occidentale.

Il a décrit cette zone comme étant une « zone d’engagement nouvellement active entre les Etats-Unis et d’autres grandes puissances alors que nous sommes en concurrence sur la scène mondiale ». Faisant ce constat, McKenzie a déploré que, pendant près de 20 ans, les priorités des États-Unis dans la zone CENTCOM aient avant tout été militaires, aux dépens d’autres actions, permettant à la Chine d’en tirer avantage.

McKenzie a déclaré que le Pentagone réalisait maintenant la nécessité de se tourner « là où se trouvent les plus grandes menaces », principalement vers la Chine, plutôt que dans la zone CENTCOM. Autrement dit, il s’agit que l’armée américaine transfère des ressources du CENTCOM vers le commandement américain indo-pacifique (INDOPACOM), mais aussi vers le commandement européen (EUCOM), pour faire face plus directement aux menaces accrues au niveau militaire dans ces régions.  Les engagements pris à plus long terme par les États-Unis pour leur permettre de rivaliser militairement dans les zones de l'INDOPACOM et de l'EUCOM sont prioritaires aux yeux des Américains.

McKenzie  n’a cependant pas oublié le Golfe. Il a comparé la concurrence des superpuissances dans le Golfe au chaos du Far West, estimant que la Chine utilisait « principalement des moyens économiques » pour y établir une tête de pont, préfigurant d’autres menaces pour la sécurité dans l’avenir. Il a évoqué le dilemme de rassurer les partenaires de la région CENTCOM: même si les États-Unis se concentreront davantage sur l'Asie et l'Europe, ils resteront un partenaire fiable dans la région, a-t-il assuré. Il a à cet égard averti contre l’abandon du Golfe et du reste de la région du CENTCOM,  mais a toutefois fourni très peu de détails sur ce que les États-Unis sont prêts à faire pour « contrer l'empiètement croissant » d'autres puissances concurrentes dans le Golfe. Il a évoqué davantage de ventes militaires américaines dans la région, afin de décourager tout achat d’armes ailleurs, en particulier en Chine et en Russie.

Les États-Unis et leurs partenaires dans la région doivent avoir une discussion sérieuse sur la façon dont la sécurité du Golfe, par exemple, sera affectée par ces nouveaux changements stratégiques. Pompeo, McKenzie et d'autres responsables ont souligné à plusieurs reprises que la sécurité du Golfe et la sécurité énergétique figuraient parmi les objectifs clés de la politique mondiale américaine. Comment ces objectifs sont-ils servis dans le cadre de cette nouvelle doctrine américaine ? Qu’en sera-t-il de politique américano-iranienne dans le cadre de ce changement tactique ? Que devrions-nous penser de la relation de plus en plus croissante entre la Chine et l’Iran ?

Les pays du Conseil de coopération du Golfe sont partenaires à la fois des États-Unis et de la Chine, bien qu'à des niveaux différents et avec des objectifs distincts. Ils pourraient aider à coordonner une politique de sécurité cohérente pour le Golfe, qui évite les affrontements entre les superpuissances dans la région.

Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et la négociation, et un chroniqueur pour Arab News. Twitter: @abuhamad1

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français

Ce texte est la traduction d’un article paru sur ArabNews.com