Macron peut sauver le Liban s'il donne du pouvoir aux étudiants

Emmanuel Macron serre dans ses bras une victime de l'explosion lors d'une cérémonie commémorant le centenaire du Liban dans la réserve de cèdres de Jaj, au nord-est de Beyrouth, le 1er septembre 2020 (AFP).
Emmanuel Macron serre dans ses bras une victime de l'explosion lors d'une cérémonie commémorant le centenaire du Liban dans la réserve de cèdres de Jaj, au nord-est de Beyrouth, le 1er septembre 2020 (AFP).
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Publié le Samedi 12 décembre 2020

Macron peut sauver le Liban s'il donne du pouvoir aux étudiants

Macron peut sauver le Liban s'il donne du pouvoir aux étudiants
  • La troisième visite au Liban du président français, Emmanuel Macron, prévue à la fin de l'année 2020, sera-t-elle couronnée de succès?
  • Le dernier rapport publié par la Banque mondiale affirme que le Liban s'enfonce dans une «dépression délibérée»

La troisième visite au Liban du président français, Emmanuel Macron, prévue à la fin de l'année 2020, sera-t-elle couronnée de succès? La date de sa troisième visite depuis l'explosion du port de Beyrouth au mois d’août dernier a été fixée. Toutefois, sa première exigence, la formation d'un nouveau gouvernement technocrate, n'a pas trouvé d'écho. Cette visite, attendue, déterminera s'il est en mesure de soutenir le Liban dans la crise que le pays traverse actuellement.

Pour le moment, «Premier ministre par intérim» pourrait être le nom le plus approprié pour désigner le poste exécutif du gouvernement. Les politiciens de ce petit pays méditerranéen – confronté à un déluge de menaces économiques, sanitaires, sociales et sécuritaires – semblent être encore incapables d'aller de l'avant et d’agir dans l’intérêt de leurs citoyens. Alors que les problèmes continuent de s'accumuler, la crise provoquée par le coronavirus (Covid-19) constitue le problème le moins grave auquel le Liban se trouve confronté; le Hezbollah, ses politiciens subordonnés et les cartels économiques ne se préoccupent pas de cette situation.

Le dernier rapport publié par la Banque mondiale affirme que le Liban s'enfonce dans une «dépression délibérée». Le mot «délibéré» en dit long. En effet, les forces politiques et les élites qui protègent les intérêts du Hezbollah préfèrent laisser le pays se dégrader et disparaître. Pour eux, l'important est de préserver le statu quo ainsi que leur survie, qui est désormais associée – plus que les gens ne le pensent – au régime iranien.


Par ailleurs, cette partie estime que sa survie sera favorisée par la nouvelle administration américaine et par toute négociation que celle-ci mènera à l'avenir avec Téhéran. Par conséquent, la visite de Macron, que le nouveau gouvernement libanais soit ou non formé, sera la dernière en date avant que Joe Biden n’arrive au pouvoir et qu'un nouveau chapitre des relations américano-iraniennes ne soit ouvert.

Si un gouvernement n'est pas formé avant son arrivée, M. Macron devrait rendre visite aux troupes françaises qui font partie de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) dans le sud du pays. C'est peut-être la seule chose qu'il fera, puisqu'il ne rencontrera probablement aucun responsable si un nouveau gouvernement n'est pas constitué. Le chef et commandant de la Finul, le général Stefano Del Col, a récemment présidé une rencontre tripartite spéciale réunissant des officiers de haut rang de l'armée libanaise et de l'armée israélienne, ce qui laisse supposer qu'il souhaite empêcher toute tension ou escalade avant la visite du président français.

On comprend que M. Macron cherche à maintenir son engagement positif et qu’il ne souhaite pas se mettre à dos le Hezbollah. Premièrement, sur le plan régional, la France a tenu à maintenir des relations positives avec l'Iran. Deuxièmement, sur le plan intérieur, le Hezbollah représente la composante la plus organisée et la plus puissante du Liban. Par ailleurs, il est important que les Français comprennent que, dans le Liban d'aujourd'hui, ceux qui dénoncent le Hezbollah le font dans la clandestinité ou de l'extérieur du pays. La dernière attaque perpétrée par les bandits du Hezbollah et d'Amal contre des étudiants après les élections de la semaine dernière en est un exemple flagrant. Ils ne se contentent pas de briser le pays, ils veulent désormais anéantir et faire taire ceux qui représentent son avenir.


Ainsi, si je pouvais adresser un message au président français avant sa visite au Liban, je lui dirais que, lors de ses précédentes visites, il a bien entendu rencontré des symboles comme Fayrouz, incarnation de la poésie, à laquelle les Libanais aspirent, mais il a aussi rencontré les symboles de la corruption et de l'hypocrisie, que la classe politique incarne. Cette fois-ci, il doit rencontrer la réalité et l'avenir. Il faut qu'il rencontre les étudiants libanais. Il doit s’entretenir avec eux pour écouter ce qu'ils ont à dire, pour les guider et les protéger. Ils sont le dernier espoir pour le pays.


Malheureusement, on voit de jeunes Libanais talentueux quitter le pays en quête d'un avenir meilleur, tandis que ceux qui y reviennent fuient la justice dans les pays qui les ont accueillis. Voilà une nouvelle indication inquiétante, qui montre que le Liban est devenu un no man's land isolé.

Malheureusement, on ne peut pas beaucoup espérer d'un nouveau gouvernement, quelle que soit sa forme, et même si l'Iran concède une modeste victoire à Macron dans la perspective de ses négociations, attendues, avec la nouvelle administration américaine. Personne ne pourra lancer une réforme au Liban, car cela suppose de dévoiler et de bloquer tous les intérêts du Hezbollah et de l'Iran. La corruption politique et le cartel des banques ne sont que la partie visible de l'iceberg. Ils dissimulent les activités de l'Iran, tant dans le pays que dans la région et même dans le monde, plus particulièrement en Irak, en Syrie, en Afrique et en Amérique du Sud. Une réforme permettrait de dévoiler les véritables tentacules de cette organisation criminelle iranienne, qui permet au Hezbollah de recevoir des millions de dollars alors que les Libanais meurent de faim.


Cela entraînera une réponse violente et plus destructrice. Que pourront faire les technocrates s'ils sont menacés de mort? Rien. De plus, «technocrate» est un mot vide de sens au Liban. N'oublions pas que la plupart des politiciens accusés de corruption n'étaient pas des politiciens par le passé, mais des technocrates issus du monde des banques et de l'économie.

Il faut un gouvernement politique qui comporte une nouvelle génération de politiciens capables de réformer et de désinfecter le pays, tout comme nous nous désinfectons aujourd'hui nos mains pour nous protéger de la Covid-19. Nous devons libérer le gouvernement de tous les anciens titulaires. Nous avons besoin d'un gouvernement qui possède une vision et la volonté de se battre pour réaliser cette vision. Le Liban ne peut pas évoluer tant que les mêmes clans gouvernent le pays de la même manière, comme s'il leur appartenait.

Le président français doit rencontrer les étudiants libanais pour écouter ce qu'ils ont à dire, pour les guider et les protéger. Ils sont le dernier espoir pour le pays.
 

                                                           Khaled Abu Zahr

Le Liban a besoin d'une vision et d'un nouveau leadership. Sans doute ne peut-on trouver ce leadership que parmi ceux qui sont prêts à se battre pour le pays et qui en sont l'avenir: les étudiants libanais. Ils sont en mesure de créer un mouvement à partir des protestations qui ont commencé voici un peu plus d'un an. Un mouvement capable de rompre les divisions politiques traditionnelles et de donner la parole aux jeunes du pays, comme l’a fait le mouvement En Marche, qui a conduit Macron au pouvoir en France.


Le temps est venu de donner du pouvoir aux étudiants qui refusent de compromettre l'avenir du Liban, qui ont le courage de penser qu'ils peuvent changer le pays, et qui ne se soucient pas des menaces ni des actes de violence parce qu'ils sont guidés par une conviction solide. Toutefois, leur vision a besoin d'être affinée. Cette vision doit uniquement faire du Liban un pays où prévalent la liberté de croyance et la libre entreprise. Ce qui permettra au président français de réussir, c'est le soutien qu'il apportera à cette jeunesse, et non la mise en place d'un nouveau gouvernement défaillant.

Khaled Abou Zahr est le PDG d’Eurabia, une entreprise de médias et de technologie. Il fait également partie de la rédaction d’Al-Watan al-Arabi.

NDLR:  Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com