L'armée israélienne dans le plus grand hôpital de Gaza, inquiétudes pour les civils

Des soldats israéliens marchent dans le complexe hospitalier d’Al-Chifa sur cette image fixe tirée d’une vidéo obtenue le 15 novembre 2023. (Forces de défense israéliennes via Reuters)
Des soldats israéliens marchent dans le complexe hospitalier d’Al-Chifa sur cette image fixe tirée d’une vidéo obtenue le 15 novembre 2023. (Forces de défense israéliennes via Reuters)
Le personnel médical examine les dégâts dans les salles enfumées de l'hôpital Al-Chifa suite à un raid israélien le 15 novembre 2023. (Ministère de la Santé de Gaza via Reuters)
Le personnel médical examine les dégâts dans les salles enfumées de l'hôpital Al-Chifa suite à un raid israélien le 15 novembre 2023. (Ministère de la Santé de Gaza via Reuters)
Des médecins déplacent un patient dans les couloirs enfumés de l’hôpital Al-Chifa à la suite d’un raid israélien le 15 novembre 2023. (Ministère de la Santé de Gaza via Reuters)
Des médecins déplacent un patient dans les couloirs enfumés de l’hôpital Al-Chifa à la suite d’un raid israélien le 15 novembre 2023. (Ministère de la Santé de Gaza via Reuters)
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Publié le Mercredi 15 novembre 2023

L'armée israélienne dans le plus grand hôpital de Gaza, inquiétudes pour les civils

  • L'hôpital al-Chifa, un immense complexe depuis plusieurs jours au coeur des combats entre soldats israéliens et combattants islamistes, représente un objectif majeur pour Israël
  • Plusieurs organisations internationales ont exprimé leur inquiétude sur le sort des civils et l'ONU s'est dite «horrifiée»

GAZA: L'armée israélienne est entrée mercredi dans le plus grand hôpital de Gaza où elle a mené des fouilles, visant ce qu'elle présente comme une base stratégique du Hamas lors d'une opération qui suscite l'inquiétude pour les milliers de Palestiniens réfugiés dans ce site.

L'hôpital al-Chifa, un immense complexe depuis plusieurs jours au coeur des combats entre soldats israéliens et combattants islamistes, représente un objectif majeur pour Israël, qui a juré "d'anéantir" le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza, depuis l'attaque sanglante lancée par le mouvement palestinien sur son sol le 7 octobre.

Plusieurs organisations internationales ont exprimé leur inquiétude sur le sort des civils et l'ONU s'est dite "horrifiée".

Les hôpitaux du nord de la bande de Gaza, transformés en camps pour des milliers de Palestiniens fuyant les combats, ne fonctionnent plus pour la plupart, privés d'électricité et faute de carburant pour alimenter les générateurs.

Malgré une première livraison d'essence mercredi via l'Egypte, l'ONU a averti que ses opérations d'aide à Gaza étaient "au bord de l'effondrement".

Tôt mercredi, des dizaines de soldats israéliens, certains encagoulés et tirant en l'air, ont fait irruption dans l'hôpital al-Chifa, dans l'ouest de la ville de Gaza, et ordonné aux hommes de se rendre, selon un journaliste collaborant avec l'AFP sur place.

"Tous les hommes de 16 ans et plus, levez les mains en l'air et sortez des bâtiments vers la cour intérieure pour vous rendre", ont-ils crié en arabe.

Israël a annoncé mener "une opération ciblée et de précision contre le Hamas dans un secteur spécifique de l'hôpital al-Chifa".

Des chars dans l'hôpital

Des soldats ont mené des interrogatoires, de patients et de médecins notamment, fouillant aussi des femmes et des enfants en pleurs. Des chars israéliens, qui encerclaient depuis plusieurs jours l'hôpital, sont entrés à l'intérieur, postés devant différents services dont celui des urgences.

Dans les couloirs, les soldats tiraient en l'air en allant de pièce en pièce, recherchant visiblement des combattants du Hamas.

Israël a précisé avoir envoyé "des équipes médicales parlant arabe et entraînées", afin "qu'aucun tort ne soit causé aux civils utilisés par le Hamas comme boucliers humains".

L'armée a diffusé des images montrant des soldats débarquant d'un blindé ce qu'elle présente comme de l'aide médicale pour la livrer à l'intérieur de l'hôpital.

L'ONU et la communauté internationale doivent intervenir "immédiatement" pour mettre fin à cette opération, a lancé le vice-ministre de la Santé du gouvernement du Hamas, Youssef Abou Rich, présent dans al-Chifa.

La guerre à Gaza est "une guerre contre l'existence des Palestiniens", a déclaré le président palestinien Mahmoud Abbas.

Environ 2 300 personnes selon l'ONU, dont des patients, des soignants et des déplacés de guerre sont massés à l'intérieur d'al-Chifa. Les médecins et des ONG internationales affirment que ces civils ne peuvent pas sortir, piégés par les combats qui font rage aux alentours.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a rappelé que "les patients, le personnel médical et les civils doivent être protégés à tout moment". L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a indiqué avoir une nouvelle fois perdu le contact avec le personnel de santé de l'hôpital.

La guerre a été déclenchée le 7 octobre par une attaque du Hamas sur le sol israélien, d'une ampleur et d'une violence jamais vues depuis la création d'Israël en 1948.

Environ 1 200 personnes ont été tuées dans cette attaque, en grande majorité des civils, selon les autorités israéliennes.

L'armée estime que quelque 240 otages ont été enlevés par le Hamas. Elle a annoncé mercredi que 48 soldats avaient été tués à Gaza depuis le début de la guerre.

En représailles à l'attaque, Israël pilonne sans relâche le petit territoire palestinien assiégé et a lancé une opération terrestre le 27 octobre contre le Hamas.

Dans la bande de Gaza, les bombardements israéliens ont tué 11 320 personnes, majoritairement des civils, parmi lesquels 4 650 enfants, selon le ministère de la Santé du Hamas.

«Feu vert» à Israël

Dans la nuit, l'armée israélienne a dit avoir "fait savoir aux autorités compétentes de Gaza que toutes les activités militaires au sein de l'hôpital devaient cesser dans les 12 heures" mais que cela "n'avait malheureusement pas été le cas".

Israël estime que l'hôpital al-Chifa abrite des infrastructures stratégiques du Hamas, notamment dans des tunnels sous le complexe. Le Hamas dément de telles allégations.

La Maison Blanche a elle aussi assuré mardi que le Hamas et son allié le Djihad islamique, tous deux classés "terroristes" par les Etats-Unis, l'Union européenne et Israël, avaient "un centre de commandement et de contrôle depuis l'hôpital al-Chifa".

Le Hamas a rejeté ces accusations, les qualifiant de "feu vert" à Israël "pour commettre de nouveaux massacres".

Le directeur d'al-Chifa, le docteur Mohammed Abou Salmiya, avait raconté mardi à l'AFP que "des corps jonchaient les allées du complexe hospitalier" et que les chambres frigorifiées des morgues n'étaient plus alimentées en électricité.

Mardi soir, le Croissant-rouge palestinien avait annoncé avoir évacué un autre grand hôpital de la bande de Gaza, al-Quds, "assiégé depuis plus de dix jours" et qui a cessé de fonctionner faute de carburant.

En Israël, la pression s'accentue sur le gouvernement pour qu'il obtienne la libération des otages.

Le Forum des familles d'otages et disparus a réclamé mardi soir que le gouvernement approuve un accord "pour ramener à la maison tous les otages de Gaza", pendant qu'une centaine de proches d'otages entamaient une marche depuis Tel-Aviv vers le bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahu à Jérusalem.

Coupure des communications

Dans le centre de la bande de Gaza, une nouvelle frappe a visé mercredi un bâtiment à Deir al-Balah.

"Nous avons entendu une forte explosion, nous nous sommes précipités et nous n'avons trouvé que des restes de femmes et d'enfants", a raconté à l'AFP un habitant de la ville, Awni al-Douggi.

Dans le territoire, soumis depuis le 9 octobre par Israël à un siège complet, la population est privée de livraisons d'eau, d'électricité, de nourriture et de médicaments.

L'aide internationale y arrive au compte-gouttes depuis l'Egypte. Mercredi, un peu plus de 23 000 litres de carburant sont entrés depuis l'Egypte, pour la première fois depuis le début de la guerre.

Ce carburant n'est "pas du tout suffisant", selon l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), et à la demande d'Israël, servira "seulement pour le transport de l'aide" et non "pour faire fonctionner l'approvisionnement en eau ou les hôpitaux".

La compagnie palestinienne des télécommunications Paltel a annoncé de son côté "une suspension de tous les services de télécommunications sous quelques heures", faute de carburant pour faire fonctionner les générateurs alimentant ses principaux serveurs.

Depuis le 5 novembre, environ 200 000 Palestiniens, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha), ont fui le nord de la bande de Gaza, transformé en champ de ruines, après l'ouverture par Israël de "couloirs" d'évacuation.

D'après l'Ocha, 1,65 des 2,4 millions d'habitants du territoire ont été déplacés par la guerre. Une grande partie d'entre eux se sont réfugiés dans le sud, près de la frontière égyptienne, mais plusieurs centaines de milliers d'autres sont restés au milieu des combats dans le nord.


Survivants traumatisés et «conditions indignes»: récit de la première mission de l'ONU à El-Facher

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  • Tombée aux mains des Forces de soutien rapide (FSR) en octobre après 500 jours de siège, la ville est "le fantôme d'elle-même"
  • A sa demande, elle s'y est rendue sans escorte armée, avec une poignée de collègues

PORT-SOUDAN: Des survivants traumatisés vivant des "conditions indignes", sans eau ni assainissement: pour la première fois depuis le siège par les paramilitaires d'El-Facher dans l'ouest du Soudan, une équipe de l'ONU a pu se rendre sur place.

Tombée aux mains des Forces de soutien rapide (FSR) en octobre après 500 jours de siège, la ville est "le fantôme d'elle-même", "une scène de crime", a résumé dans un entretien lundi avec l'AFP la coordinatrice humanitaire Denise Brown, qui n'a été autorisée à passer que "quelques heures" sur place.

A sa demande, elle s'y est rendue sans escorte armée, avec une poignée de collègues.

"De larges parties de la ville sont détruites", raconte Mme Brown: El-Facher est devenue "l'un des épicentres de la souffrance humaine" dans la guerre qui oppose depuis avril 2023 l'armée régulière aux paramilitaires.

Accès "âprement négocié" 

Fin octobre, les FSR se sont emparées du dernier bastion de l'armée au Darfour lors d'une offensive sanglante marquée par des exécutions, pillages et viols.

Depuis, ils ont imposé un black-out sur la ville, l'isolant du monde. A l'exception de vidéos d'exactions publiées par les combattants eux-mêmes, suscitant l'indignation internationale, très peu d'informations ont filtré.

Plus de 107.000 personnes ont fui, selon l'Organisation mondiale pour les migrations (OIM).

Vendredi, l'équipe onusienne a pu pénétrer dans la ville après avoir "négocié âprement", explique la responsable canadienne, chargée pour le Soudan du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (Ocha).

Elle décrit des survivants "traumatisés vivant sous bâches plastiques", dans des conditions qu'elle qualifie "d'indignes et dangereuses".

Impossible de donner des chiffres à ce stade sur combien sont restés sur place. "Nous n'avons pas encore assez d'informations", dit-elle, alors que la ville comptait avant la guerre plus d'un million d'habitants.

L'équipe pouvait se déplacer librement vers les sites sélectionnés: l'hôpital saoudien, des abris de déplacés et cinq bureaux abandonnés de l'ONU.

Le complexe hospitalier, l'un des derniers en ville, "tient encore debout" avec du personnel médical sur place, mais il est à court d'antibiotiques et d'équipements, et quasi vide de patients.

"Partie émergée de l'iceberg" 

Privée d'aide humanitaire, El-Facher s'est retrouvée à court de tout pendant les 18 mois de siège.

Pour survivre, les habitants se sont résolus à manger de la nourriture pour animaux. En novembre, l'ONU y a confirmé l'état de famine.

"Un petit marché" subsiste avec de minuscules paquets de riz, des tomates, oignons et patates, quelques biscuits: "les gens n'ont pas les moyens d'acheter davantage", a-t-elle décrypté.

L'équipe "n'a pu voir aucun des détenus, et nous croyons qu'il y en a", a précisé la responsable onusienne.

"Nous n'avons vu que la partie émergée de l'iceberg", a-t-elle admis, "soucieuse" d'éviter les zones jonchées de munitions non explosées et de mines, dans un conflit qui a déjà tué 128 travailleurs humanitaires.

Les analyses d'images satellites et les témoignages recueillis par l'AFP font régulièrement état d'exactions sommaires et de fosses communes dans la ville, mais la responsable a préféré réserver ses observations aux experts des droits humains de l'ONU, qui préparent un rapport sur les atrocités à El-Facher.

La guerre au Soudan a fait plusieurs dizaines de milliers de morts, déraciné 11 millions de personnes et provoqué ce que l'ONU qualifie de "pire crise humanitaire au monde".

 


Trois morts dans des manifestations des alaouites syriens contre le bombardement d'une mosquée

Des membres des forces de sécurité syriennes déployés lors de manifestations de la communauté alaouite à Lattaquié, dimanche. (Reuters)
Des membres des forces de sécurité syriennes déployés lors de manifestations de la communauté alaouite à Lattaquié, dimanche. (Reuters)
 Les alaouites syriens sont descendus dans la rue dimanche dans la ville côtière de Lattaquié pour protester contre l'attentat à la bombe contre une mosquée qui a tué huit personnes à Homs deux jours auparavant. (REUTERS)
Les alaouites syriens sont descendus dans la rue dimanche dans la ville côtière de Lattaquié pour protester contre l'attentat à la bombe contre une mosquée qui a tué huit personnes à Homs deux jours auparavant. (REUTERS)
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  • Des membres du régime de Bashar Assad ont attaqué les forces de sécurité et les civils, rapportent les médias d'État
  • Selon les autorités sanitaires, des dizaines de personnes ont été soignées pour des blessures causées par des coups de feu, des couteaux et des pierres

LATTAKIEH: Trois personnes ont été tuées et des dizaines d'autres blessées lors des manifestations des Alaouites de Syrie dans la ville côtière de Lattaquié dimanche.

Les responsables de la sécurité ont déclaré que les restes du régime de Bashar Assad ont attaqué les forces de sécurité et les civils lors des manifestations, a rapporté l'agence de presse nationale syrienne SANA.

Les autorités sanitaires régionales ont déclaré que 60 personnes avaient été blessées et que les hôpitaux traitaient les victimes pour des blessures causées par des coups de feu, des couteaux et des pierres.

Deux ambulances ont été attaquées alors qu'elles intervenaient sur les lieux des incidents.

Le colonel Abdulaziz Al-Ahmad, chef de la sécurité intérieure à Lattaquié, a déclaré que des "éléments liés aux vestiges du régime déchu" participant aux manifestations ont attaqué le personnel de la sécurité intérieure, faisant plusieurs blessés et endommageant des véhicules.

Les manifestations ont eu lieu en réponse à l'attentat à la bombe contre une mosquée qui a tué huit personnes dans un quartier alaouite de la ville de Homs deux jours auparavant.

M. Assad a été chassé du pouvoir il y a un an, après qu'une offensive des forces d'opposition a mis fin à la guerre civile qui a décimé le pays.

Le nouveau président, Ahmad Al-Sharaa, s'efforce de stabiliser le pays, mais il y a eu des flambées de violence sectaire.

Les représentants du gouvernement affirment que les groupes restés fidèles au régime d'Assad, qui était dominé par la minorité alaouite, ont tenté d'inciter à la violence en utilisant les manifestations civiles comme couverture pour cibler le personnel de sécurité et endommager les biens publics.

Le colonel Al-Ahmad a déclaré que des individus armés et masqués affiliés à des groupes connus sous le nom de "Saraya Deraa Al-Sahel" et "Saraya Al-Jawad" étaient présents lors des manifestations de dimanche. Ces groupes ont déjà perpétré des assassinats ciblés et posé des explosifs le long d'axes routiers importants.

Des milliers de personnes ont participé aux manifestations de dimanche organisées par une autorité religieuse en réponse à l'attaque de la mosquée, a rapporté l'AFP.

Les forces syriennes ont ensuite été déployées pour disperser les partisans du gouvernement, selon un correspondant de l'AFP.

Les manifestations de dimanche ont été organisées à l'appel du chef spirituel alaouite Ghazal Ghazal, qui a exhorté samedi la population à "montrer au monde que la communauté alaouite ne peut être humiliée ou marginalisée" après l'attentat à la bombe de Homs.

L'attentat de vendredi a été revendiqué par un groupe extrémiste connu sous le nom de Saraya Ansar Al-Sunna.

Il s'agit de la dernière attaque en date contre cette minorité religieuse, qui est la cible de violences depuis la chute, en décembre 2024, de M. Assad, lui-même alaouite.


Le pari israélien sur le Somaliland : quels risques pour la région?

Israël a officiellement reconnu le Somaliland le 26 décembre, brisant ainsi des décennies de consensus international sur l'intégrité territoriale de la Somalie. (Fourni)
Israël a officiellement reconnu le Somaliland le 26 décembre, brisant ainsi des décennies de consensus international sur l'intégrité territoriale de la Somalie. (Fourni)
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  • La situation stratégique du Somaliland près du Bab Al-Mandab fait craindre qu'une présence sécuritaire israélienne ne transforme la mer Rouge en poudrière
  • Les critiques soutiennent que la décision ravive la stratégie israélienne de "périphérie", encourageant la fragmentation des États arabes et musulmans pour un avantage stratégique

RIYAD: Les observateurs régionaux chevronnés ne seront peut-être pas surpris d'apprendre qu'Israël est devenu le premier et le seul État membre des Nations unies à reconnaître officiellement la République du Somaliland comme une nation indépendante et souveraine.

Le 26 décembre, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre des affaires étrangères Gideon Sa'ar ont signé une déclaration commune de reconnaissance mutuelle avec le président du Somaliland, Abdirahman Mohamed Abdullahi.

Pour une région qui a existé dans un état de flou diplomatique depuis qu'elle a déclaré son indépendance de la Somalie en 1991, ce développement est, comme l'a décrit M. Abdullahi, "un moment historique". Mais sous la surface se cache un pari géopolitique calculé et à fort enjeu.

Si plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, l'Éthiopie, la Turquie et les Émirats arabes unis, ont ouvert des bureaux de liaison dans la capitale, Hargeisa, aucun n'a voulu franchir le Rubicon de la reconnaissance officielle de l'État.


Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, assisté du ministre des affaires étrangères Gideon Sa'ar, signe le document reconnaissant officiellement la région séparatiste du Somaliland, le 26 décembre 2025. (AFP)
La décision d'Israël de rompre ce consensus international vieux de plusieurs décennies constitue une rupture délibérée avec le statu quo.

En prenant cette mesure, Israël s'est positionné comme le principal bienfaiteur d'un État qui cherche depuis longtemps à s'asseoir à la table internationale. Comme l'a déclaré à Arab News Dya-Eddine Said Bamakhrama, ambassadeur de Djibouti en Arabie saoudite, une telle décision est profondément perturbatrice.

"Une déclaration unilatérale de séparation n'est ni un acte purement juridique ni un acte politique isolé. Au contraire, elle entraîne de profondes conséquences structurelles, au premier rang desquelles l'aggravation des divisions internes et des rivalités entre les citoyens d'une même nation, l'érosion du tissu social et politique de l'État et l'ouverture de la porte à des conflits prolongés", a-t-il déclaré.

Les critiques affirment qu'Israël fait depuis longtemps pression pour un nouveau découpage de la région sous diverses formes.

La reconnaissance du Somaliland est considérée par beaucoup dans le monde arabe comme la poursuite d'une stratégie visant à affaiblir les États arabes et musulmans centralisés en encourageant les mouvements sécessionnistes périphériques.
Dans le contexte somalien, cette voie est perçue non pas comme un geste humanitaire, mais comme une méthode visant à saper les accords nationaux conclus dans le cadre d'une Somalie fédérale.

Selon l'ambassadeur Bamakhrama, la communauté internationale s'est toujours opposée à de telles initiatives afin de donner la priorité à la stabilité régionale plutôt qu'aux "tendances séparatistes dont l'histoire a maintes fois démontré les dangers et les coûts élevés".

En ignorant ce précédent, Israël est accusé d'utiliser la reconnaissance comme un outil pour fragmenter la cohésion régionale.

Par le passé, Israël a souvent justifié son soutien à des acteurs non étatiques ou à des groupes séparatistes en prétextant la protection de minorités vulnérables, comme les Druzes au Levant ou les Maronites au Liban.

Cette "doctrine de la périphérie" avait un double objectif : elle créait des alliés régionaux et soutenait la revendication d'Israël en tant qu'État juif en validant l'idée d'autodétermination ethnique ou religieuse.

Toutefois, dans le cas du Somaliland, les gants ne sont plus du tout de mise. Il ne s'agit pas ici de protéger une minorité religieuse, puisque le Somaliland est un territoire à forte majorité musulmane. Il s'agit plutôt d'un raisonnement purement géopolitique.

Israël semble rechercher une profondeur stratégique dans une région où il a toujours été isolé. M. Netanyahu a explicitement lié cette initiative à "l'esprit des accords d'Abraham", indiquant que les principaux moteurs sont la sécurité, le contrôle maritime et la collecte de renseignements plutôt que la démographie interne de la Corne de l'Afrique.

La première grande victoire d'Israël dans cette manœuvre est l'élargissement de son orbite diplomatique. On pourrait faire valoir que le refus du gouvernement fédéral de Mogadiscio d'adhérer aux accords d'Abraham constituait une barrière artificielle.


Des habitants brandissent des drapeaux du Somaliland alors qu'ils se rassemblent dans le centre-ville d'Hargeisa le 26 décembre 2025, pour célébrer l'annonce d'Israël reconnaissant le statut d'État du Somaliland. (AFP)
La preuve de cette affirmation, du point de vue israélien, est que le Somaliland - un territoire comptant près de six millions d'habitants et doté de ses propres institutions démocratiques - était désireux d'adhérer à l'accord.

M. Abdullahi a déclaré que le Somaliland rejoindrait les accords d'Abraham en tant que "pas vers la paix régionale et mondiale". Toutefois, cette paix s'accompagne d'une contrepartie évidente : la reconnaissance officielle.

Israël peut désormais affirmer que le "modèle du Somaliland" prouve que de nombreuses autres entités arabes et musulmanes sont disposées à normaliser leurs relations si leurs intérêts politiques ou territoriaux spécifiques sont satisfaits.

Cela remet en question la position unifiée de la Ligue arabe et de l'Organisation de la coopération islamique, qui maintiennent que la normalisation doit être liée à la résolution du conflit palestinien.


Le deuxième gain majeur pour Israël est la possibilité d'une présence militaire dans la Corne de l'Afrique. La position stratégique du Somaliland dans le golfe d'Aden, près du détroit de Bab Al-Mandab, en fait un lieu privilégié pour la surveillance du trafic maritime.

Il s'agit d'une bombe à retardement étant donné que de l'autre côté de cette mer étroite se trouve le Yémen, où le mouvement Houthi - dont le slogan est "Mort à Israël" - contrôle un territoire important.

Israël peut prétendre qu'une présence militaire ou de renseignement au Somaliland renforcera la sécurité régionale en contrant les menaces des Houthis sur la navigation. Toutefois, les voisins de la région craignent que cette présence n'attise les tensions.

L'ambassadeur Bamakhrama a prévenu qu'une présence militaire israélienne "transformerait effectivement la région en une poudrière".


"Si Israël décidait d'établir une base militaire dans un endroit géopolitiquement sensible, cela serait perçu à Tel-Aviv comme un gain stratégique dirigé contre les États arabes bordant la mer Rouge, à savoir l'Égypte, l'Arabie saoudite, la Somalie, le Yémen, le Soudan et Djibouti", a-t-il déclaré.

La mer Rouge est un "corridor maritime international vital" et toute modification de son équilibre géopolitique aurait des "répercussions bien au-delà de la région", a-t-il ajouté.

Cette reconnaissance constitue également une violation flagrante du droit international et du principe d'intégrité territoriale inscrit dans la Charte des Nations unies.

Si les partisans de la reconnaissance font état d'exceptions telles que le Sud-Soudan ou le Kosovo, il n'en reste pas moins que ces cas impliquaient des circonstances très différentes, notamment des conflits génocidaires prolongés et de vastes transitions sous l'égide des Nations unies.

En revanche, l'Union africaine a toujours affirmé que le Somaliland faisait partie intégrante de la Somalie.
 

La réaction a été rapide et sévère. La Ligue arabe, le Conseil de coopération du Golfe et l'OCI ont tous décrié cette décision. Même le président américain Donald Trump, qui a pourtant joué un rôle dans les accords d'Abraham, n'a pas approuvé la décision d'Israël.

Lorsqu'on lui a demandé si Washington suivrait le mouvement, M. Trump a répondu par un "non" catégorique, ajoutant : "Est-ce que quelqu'un sait vraiment ce qu'est le Somaliland ?"

Ce manque de soutien de la part de Washington souligne l'isolement de la position d'Israël. L'OCI et les ministres des affaires étrangères de 21 pays ont publié une déclaration commune mettant en garde contre de "graves répercussions" et rejetant tout lien potentiel entre cette reconnaissance et les projets de déplacement des Palestiniens de Gaza vers la région africaine.

La reconnaissance du Somaliland par Israël semble être un pari calculé visant à échanger des normes diplomatiques contre un avantage stratégique.

Alors que Hargeisa célèbre une étape longtemps attendue, le reste du monde y voit un dangereux précédent qui menace de déstabiliser l'un des couloirs les plus instables du monde.

Comme le dit l'ambassadeur Bamakhrama, l'établissement de tels liens "ferait d'Israël le premier et le seul État à rompre avec le consensus international" - une décision qui donne la priorité à des "calculs stratégiques étroits" plutôt qu'à la stabilité du système international.