La culpabilité et les principes créent un dilemme pour l'Occident dans le conflit israélo-palestinien

Des manifestants se rassemblent en soutien aux Palestiniens de Gaza le long de Steinway Street, à New York, le 18 octobre 2023 (Photo: AFP).
Des manifestants se rassemblent en soutien aux Palestiniens de Gaza le long de Steinway Street, à New York, le 18 octobre 2023 (Photo: AFP).
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Publié le Vendredi 01 décembre 2023

La culpabilité et les principes créent un dilemme pour l'Occident dans le conflit israélo-palestinien

La culpabilité et les principes créent un dilemme pour l'Occident dans le conflit israélo-palestinien
  • L'ordre mondial, régi par un équilibre des pouvoirs, sert avant tout les intérêts des puissants
  • Cette pression croissante a permis d'inscrire la cause palestinienne à l'ordre du jour des gouvernements et d'en faire un véritable sujet

MONTRÉAL: Dans un monde de plus en plus interconnecté, l'Occident se trouve déchiré entre son complexe de culpabilité historique et son engagement à défendre les principes mondiaux. Tout au long de l'histoire, l'Occident a défendu les droits des peuples et des nations et il a établi des règles pour réguler les relations et protéger les droits de l'homme. Cependant, lorsqu'il s'agit de la cause palestinienne, il a renoncé aux principes et aux droits qu'il prétend défendre. En outre, les gouvernements occidentaux ont affiché un soutien absolu à Israël et ont fermé les yeux sur les abus de l'armée israélienne, qui sont qualifiés, dans les milieux occidentaux eux-mêmes, de pires de l'histoire en raison de leur horreur et de leur violation de toutes les règles, les lois, les normes et les valeurs internationales.

Ce renoncement, cette contradiction et cette dualité soulèvent peut-être des questions: ces prises de position sont-elles dues à un complexe de culpabilité historique à l'égard des Juifs, qui ont connu la persécution et l'injustice de la part des Européens à différents moments de l'histoire? S'agit-il d'un choc des civilisations dans lequel les Européens mettent toutes leurs forces au service de leurs projets et de leurs ambitions expansionnistes? Ou bien le réalisme politique impose-t-il l'existence d'Israël et assure-t-il sa supériorité pour sauvegarder l'influence de l'Occident et garantir le flux des intérêts?

L'une des explications possibles du soutien partial à Israël est le complexe de culpabilité de l'Occident. Ce dernier est en lien avec un contexte historique dans lequel les Juifs ont été victimes de persécutions et d'injustices de la part des Européens. Certains gouvernements occidentaux ont même offert des compensations pour les souffrances infligées aux Juifs pendant l'ère nazie. Pourtant, utiliser la culpabilité pour justifier la violation des droits des Palestiniens est contre-productif et moralement injustifiable.

Le recours à la culpabilité pour justifier la violation des droits des Palestiniens est contre-productif et moralement injustifiable

Mohammed al-Sulami

Toutefois, le complexe de culpabilité ne suffit pas à lui seul à interpréter cette position occidentale biaisée. Deux maux ne font pas un bien. Comment se débarrasser d'une culpabilité historique en en créant une plus grande encore à l'encontre de l'ensemble du peuple palestinien – les vrais propriétaires de cette terre –, leurs enfants, leurs femmes, leurs terres, leurs arbres, leurs ressources et leurs composants environnementaux? Et pourquoi d'autres gouvernements, qui n'ont pas de précédents historiques liés à la persécution des Juifs, insistent-ils pour adopter le récit israélien, le soutenir et accorder à Israël le droit absolu de commettre des injustices et des agressions?

Quel complexe de culpabilité pourrait pousser l'Occident et ses gouvernements successifs à suspendre les lois et les normes internationales, à inverser leurs principes et à détruire les réalisations de l'humanité dans le domaine de la protection et de la défense des droits? Les gouvernements occidentaux ont accordé à Israël le droit absolu de faire ce qu'il veut, bien qu'il ne s'agisse pas d'autodéfense au sens général du terme étant donné qu'Israël est une force d'occupation.

Une autre perspective suggère que le soutien de l'Occident à Israël est motivé par le réalisme politique. En s'alignant sur Israël, les gouvernements occidentaux servent leurs projets et leurs ambitions expansionnistes. La crainte d'être qualifié d'antisémite joue également un rôle important dans la position des gouvernements occidentaux compte tenu des implications juridiques d'une telle accusation.

Malgré les critiques croissantes à l'encontre des actions israéliennes, le pays a réussi à tirer parti de son importance stratégique vitale pour l'Occident. En se présentant comme un État démocratique et en jouant la carte de la victime, Israël s'est assuré le soutien des gouvernements occidentaux, des experts influents et des élites. Cela complique encore la situation, parce que les médias occidentaux s'efforcent de contrer le discours israélien dominant et d'influencer l'opinion publique mondiale en faveur de la cause palestinienne.

L'ordre mondial, régi par un équilibre des pouvoirs, sert avant tout les intérêts des puissants. Même les valeurs et les règles démocratiques sont souvent reléguées au second plan par les détenteurs du pouvoir qui donnent la priorité à leur survie et à leurs intérêts. Israël l'a compris très tôt et a investi dans la création de lobbies, le contrôle des médias et l'influence sur les campagnes électorales dans les grandes capitales comme Washington. En conséquence, le soutien inconditionnel aux politiques d'Israël persiste malgré les souffrances des Palestiniens.

En s'alignant sur Israël, les gouvernements occidentaux servent leurs projets et ambitions expansionnistes

Mohammed al-Sulami

Toutefois, une lueur d'espoir se profile à l'horizon. Le soutien à la cause palestinienne gagne du terrain, parallèlement aux actions de plus en plus flagrantes d'Israël. Des protestations et des manifestations dans le monde entier ainsi que des actions telles que l'arrêt de navires à destination d'Israël en signe de rejet de son agression indiquent une opposition croissante à la position biaisée de l'Occident. La montée des récits alternatifs sur les réseaux sociaux et dans l'espace virtuel remet en question le récit israélien vieux de plusieurs décennies.

En outre, les gouvernements occidentaux sont confrontés à de nombreuses critiques en raison de leurs positions, ce qui menace leurs carrières politiques et l'avenir de leurs partis. Les sondages d'opinion réalisés aux États-Unis indiquent des divergences au sein des cercles décisionnels, tandis que des messages divulgués par des diplomates américains révèlent leurs protestations à l'encontre de la position de l'administration Biden sur le conflit. Au niveau régional, les voix arabes et islamiques qui expriment leur mécontentement à l'égard des positions de l'Occident se font de plus en plus fortes. Certains pays ont cessé leurs relations diplomatiques avec Israël et ont engagé des poursuites contre de hauts responsables israéliens devant la Cour pénale internationale.

Cette pression croissante a permis d'inscrire la cause palestinienne à l'ordre du jour des gouvernements et d'en faire un véritable sujet. Il s'agit d'une étape cruciale dans la reconstruction de l'image mondiale du conflit et dans l'élaboration d'une nouvelle politique conforme aux principes et au droit international. Si cet activisme persiste, il a le potentiel de refaçonner la réalité qu'Israël impose depuis plus de sept décennies et de réaffirmer l'existence d'un ordre mondial fondé sur des règles.

En conclusion, le dilemme de l'Occident consiste à gérer son complexe de culpabilité et à protéger ses principes dans le conflit israélo-palestinien. Si la culpabilité historique et le réalisme politique peuvent expliquer en partie les positions occidentales partiales, c'est par un activisme et une pression continus qu'un véritable changement peut être obtenu. Ce n'est qu'à cette condition que l'Occident pourra prouver son engagement en faveur d'un ordre mondial juste, fondé sur des règles.

 

Le Dr Mohammed al-Sulami est le fondateur et le président de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).

X: @mohalsulami

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com