Iran: une attaque meurtrière contre un commissariat de police révèle des tensions ethniques croissantes

Les forces de sécurité iraniennes (Reuters)
Les forces de sécurité iraniennes (Reuters)
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Publié le Vendredi 29 décembre 2023

Iran: une attaque meurtrière contre un commissariat de police révèle des tensions ethniques croissantes

Iran: une attaque meurtrière contre un commissariat de police révèle des tensions ethniques croissantes
  • Certains analystes iraniens estiment que la dernière attaque armée est le fruit du rapprochement entre l’Iran et le Pakistan
  • La mise en œuvre d’un plan commun entre l’Iran et le Pakistan contre le groupe militant l’aurait contraint à réagir

Selon les médias d’État iraniens et les organisations du Baloutchistan, un groupe armé – militant sunnite, Jaich al-Adl – a lancé, au début du mois, une attaque meurtrière contre un commissariat de police à Rask, une petite ville du Sistan-Baloutchistan, qui a tué au moins onze policiers. Depuis les années 2000, cette province du sud-est est le théâtre d’affrontements fréquents entre les forces de sécurité et des militants sunnites, ainsi que des trafiquants de drogue. Jusqu’en 2012, le principal groupe armé du Baloutchistan se faisait appeler Jundullah avant d’adopter son nom actuel, Jaich al-Adl. Ces affrontements interviennent dans un contexte de marginalisation économique et sectaire de la région.

Certains analystes iraniens estiment que la dernière attaque armée est le fruit du rapprochement entre l’Iran et le Pakistan. Selon cette théorie, la nouvelle dynamique régionale a provoqué la colère des talibans. La mise en œuvre d’un plan commun entre l’Iran et le Pakistan contre le groupe militant l’a contraint à réagir. Les médias et responsables iraniens pensent que les forces armées du Baloutchistan attaquent l’Iran depuis les zones frontalières du Pakistan, tandis que le siège du groupe, ainsi que ses centres de commandement et de logistique se trouvent en Afghanistan. Les talibans affirment que des militants du Baloutchistan entrent en Iran depuis le territoire pakistanais afin de mettre en péril les relations entre Téhéran et Islamabad.

Les responsables iraniens pointent du doigt les «partisans étrangers» du groupe militant. La cible semble être les talibans eux-mêmes. Les responsables iraniens ont également imputé l’attaque terroriste à Israël et, de façon plus générale, aux «ennemis de l’Iran». Le lendemain de l’incident du 15 décembre, les autorités judiciaires iraniennes ont ordonné l’exécution d’un homme dont l’identité n’a pas été révélée dans la province du Sistan-Baloutchistan. Il est accusé notamment de coopération avec le Mossad pour aider les milices antirégime. Jaich al-Adl a déjà mené des attaques à l’aide d’engins explosifs improvisés en Iran. Ses combattants étaient probablement derrière l’attaque du 17 décembre contre un véhicule de la brigade des forces spéciales du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), près de Zahedan, la capitale de la province du Sistan-Baloutchistan. Les médias iraniens rapportent qu’il n’y a eu ni blessés ni dégâts importants.

Au niveau politique, Jaich al-Adl soutient l’égalité des droits et de meilleures conditions de vie pour le peuple du Baloutchistan. Le général Hossein Salami, commandant du CGRI, a menacé les responsables de l’attaque de Rask le 15 décembre, y compris «les acteurs étrangers qui ont donné l’ordre». Lors des funérailles des policiers, le ministre iranien de l’Intérieur, Ahmad Vahidi, affirme que les organisations terroristes actives en Iran sont soutenues par Israël. Après cet incident, les autorités iraniennes ont également exhorté le Pakistan à prendre de nouvelles mesures contre les groupes qui franchissent fréquemment les frontières pour commettre des actes terroristes en Iran.

Au niveau international, Amir Saeid Iravani, ambassadeur et représentant permanent de l’Iran auprès de l’ONU, a salué, dans un article sur X, la condamnation par le Conseil de sécurité de l’attaque contre le siège de la police.

La répression étatique est un facteur clé de la multiplication des récentes attaques.

Dr Mohammed al-Sulami

Ces perspectives régionales et internationales ne doivent pas empêcher la mise au point d’une analyse globale en fonction des dimensions locales et internes du contexte dans lequel cette attaque s’est produite. La province du Sistan-Baloutchistan est une région pauvre, frontalière de l’Afghanistan et du Pakistan, avec une importante population sunnite appartenant au groupe ethnique baloutche qui subit la pression des dirigeants religieux chiites iraniens. On estime que les Iraniens sunnites représentent 15 à 20% des 88 millions d’habitants de l’Iran.

En juillet 2023, Jaich al-Adl a attaqué un commissariat de police à Zahedan, affirmant que le quartier général était impliqué dans le massacre d’environ 90 personnes le 30 septembre 2022, un incident connu sous le nom de «vendredi noir». Le leader sunnite de la ville, Molavi Abdel Hamid, a critiqué à plusieurs reprises le gouvernement iranien dirigé par les chiites, demandant la tolérance envers les minorités religieuses, l’égalité des droits pour les femmes et la fin de la répression. Dans son sermon du vendredi, après l’incident, Hamid dit: «Nous devons veiller à ce que la sécurité de la province et notre sûreté ne soient pas compromises.»

La peine de mort aurait également été appliquée beaucoup plus fréquemment au Sistan-Baloutchistan que dans les autres provinces depuis le début du mouvement de protestation en Iran en septembre 2022. Le 9 décembre, le rapporteur spécial de l’ONU sur l’Iran a qualifié de «choquante» l’ampleur des meurtres et des brutalités contre la minorité baloutche. Il semble que les citoyens baloutches soient ciblés et exécutés de manière disproportionnée simplement en raison de leur appartenance à un groupe ethnique.

Cette répression gouvernementale est également un facteur clé de la multiplication des attentats dans la province ces derniers mois. Les violences d’État dirigées contre les manifestants baloutches, qui organisent des manifestations tous les vendredis depuis l’automne 2022, pourraient conduire à une radicalisation des forces politiques locales. En effet, l’incapacité de l’État iranien à garantir un niveau de développement économique minimal en raison de son objectif sectaire de contrôle de la vie religieuse des citoyens baloutches pourrait transformer la crise de légitimité des institutions nationales en une véritable crise d’autorité.

Parallèlement, la question de présenter toute protestation en Iran comme un mouvement «séparatiste» se pose également, poussant ainsi les forces politiques baloutches défendant la diversité religieuse, culturelle et ethnique aux excès, compte tenu de l’impossibilité d’un dialogue de confiance avec les autorités nationales.

Enfin, les dirigeants politiques iraniens font porter la responsabilité des problèmes internes aux «États ou acteurs étrangers». Aux yeux de la plupart des manifestants et dissidents baloutches, cette stratégie, consistant à chercher un bouc émissaire pour justifier les dysfonctionnements de la gouvernance interne, confirme l’impossibilité de réformer les institutions de l’État iranien pour les rendre plus tolérantes à l’égard des minorités ethniques et sectaires.

 

Le Dr Mohammed al-Sulami est le fondateur et le président de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).

X: @mohalsulami 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com