Les autorités iraniennes sont incapables de lutter contre la vague de suicide

La police asperge de gaz lacrymogène les étudiants qui manifestent dans les rues devant l’Université de Téhéran (Photo, AP).
La police asperge de gaz lacrymogène les étudiants qui manifestent dans les rues devant l’Université de Téhéran (Photo, AP).
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Publié le Jeudi 04 janvier 2024

Les autorités iraniennes sont incapables de lutter contre la vague de suicide

Les autorités iraniennes sont incapables de lutter contre la vague de suicide
  • En Iran, des enfants âgés d’à peine 15 ans se suicident – une tendance affligeante qui suscite de sérieuses inquiétudes
  • Les réponses des autorités indiquent un manque de sérieux dans le règlement de ce problème

Le suicide n’est pas un phénomène qui «refait surface». Il existe dans différents pays, dont l’Iran. Néanmoins, les nouvelles concernant les suicides dans la province d’Ilam, à l’ouest de l’Iran, sont alarmantes. Plusieurs élèves auraient mis fin à leur vie dans un district, tandis que dans un autre, certains travailleurs se sont suicidés – le tout dans un intervalle de temps assez court.

Dans la région sud de la province d’Ilam se trouve Abdanan, une ville d’environ 50 000 habitants. En moins de deux mois, on a assisté au suicide tragique de cinq élèves – hommes et femmes. Il est frappant de constater que quatre de ces élèves résidaient dans le même quartier, fréquentaient le même lycée, appartenaient à la même catégorie d’âge et avaient recouru au même moyen de suicide. Cette série d’événements pénibles fait naître un sentiment de terreur et d’anxiété accrue au sein de la communauté.

Les inquiétudes concernant le bien-être mental des autres élèves se sont intensifiées, doublées d’une crainte dominante quant à la possibilité que des incidents similaires se produisent dans les jours et semaines à venir. En effet, il ne s’agit pas d’un événement isolé à Abdanan, puisque plus de 120 suicides avaient été recensés l’année précédente. De plus, entre les mois d’avril et d’octobre, onze autres élèves ont mis fin à leur vie.

Malgré l’aggravation du phénomène, Ali Darwichi, directeur de l’éducation dans la province, a tenté d’en minimiser l’incidence. Il soutient que les suicides n’ont pas eu lieu dans l’enceinte du lycée et que certaines des élèves impliquées avaient déjà terminé leurs études secondaires. Il a rejeté les allégations selon lesquelles il y aurait un nombre élevé de suicides dans la région, les qualifiant de fausses.

Cependant, le mystère demeure entier quant aux véritables raisons du suicide des élèves de cette ville, qui ont participé en masse aux manifestations publiques lors du soulèvement «femmes, vie, liberté» à l’automne 2022. Diverses raisons peuvent cependant être attribuées à ce phénomène. On peut citer, à titre d’exemple, le conflit générationnel entre les plus jeunes et les plus âgés, le désir de certaines jeunes filles de mener une vie plus libérale face à l’opposition des familles conservatrices, ainsi que les problèmes et les pressions familiales en lien avec les résultats scolaires et la peur d’échouer.

De plus, l’influence potentielle de jeux en ligne comme Blue Whale et Mary, tous deux extrêmement sanglants, ne peut être négligée. Cela vient s’ajouter à ce que l’on pourrait qualifier d’«incitation au suicide». Cependant, aucune de ces causes n’a été évoquée dans les propos des familles des victimes. Ce qui est sûr, c’est qu’il existe des problèmes liés à la santé mentale des élèves qui ont mis fin à leurs jours.

La semaine dernière, deux employés d’une installation pétrochimique du district de Chavar ont tenté de se suicider en signe de protestation après avoir été licenciés. Il y a eu au moins six suicides dans la même usine en moins de deux ans. Les travailleurs de cet établissement ont constamment protesté contre les licenciements, les réductions de salaire, les mauvaises conditions de vie et la non-prolongation ou la réduction de la durée de leurs contrats. Malheureusement, les autorités ont non seulement fait fi de leurs demandes, mais en 2018, le tribunal révolutionnaire de la province a condamné quinze travailleurs protestataires de l’établissement à quinze ans de prison et 1 100 coups de fouet pour troubles à l’ordre public.

En outre, après le premier suicide d’un travailleur, l’entreprise n’a pas uniquement failli à ses promesses mais a également pris des mesures contre certains travailleurs protestataires en leur interdisant l’accès aux locaux de l’entreprise et en les licenciant. Bien que les deux tentatives de suicide les plus récentes aient eu lieu au sein de l’établissement, le service des relations publiques de l’entreprise pétrochimique a réfuté tout lien entre les suicides et l’établissement.

«Ce qui est sûr, c’est qu’il existe des problèmes liés à la santé mentale des élèves qui ont mis fin à leurs jours.»

Dr Mohammed al-Sulami

L’entreprise nie avoir licencié qui que ce soit, affirmant que les deux individus étaient associés à une entreprise sous-traitante plutôt que directement employés. La déclaration de l’entreprise met en évidence un problème fondamental: face à une main-d’œuvre importante et à un chômage élevé dans la province, les gestionnaires d’installations choisissent d’embaucher des jeunes sans emploi par l’intermédiaire d’entrepreneurs, en leur offrant des contrats temporaires et des salaires minimes. Une fois leurs contrats expirés, leurs services prennent fin et de nouveaux travailleurs sont embauchés – une stratégie visant à contourner les responsabilités associées aux contrats de travail permanents.

Les provinces occidentales de l’Iran, dirigées par Ilam, dépassent les autres régions en termes de taux de suicide. Le sociologue Ali Moussa-Nejad souligne qu’Ilam, qui se classe parmi les trois provinces les plus touchées par l’extrême pauvreté, enregistre le taux de suicide le plus élevé depuis près de trois décennies.

Les chiffres officiels, bien que largement considérés comme nettement inférieurs aux chiffres réels, indiquent que le taux de suicide en Iran entre 2016 et 2020 était de 5,1 cas pour 100 000 habitants. Cependant, ce chiffre est passé à 7,4 cas pour 100 000 habitants en 2022. Hamid Pervi, vice-président de la Société scientifique pour la prévention du suicide, révèle que le taux de suicide à Ilam a grimpé à 17,3 cas pour 100 000 habitants, ce qui constitue un chiffre nettement supérieur à la moyenne nationale et une statistique alarmante.

Plutôt que de s’attaquer aux causes profondes du suicide et d’œuvrer à l’élimination ou à l’atténuation du phénomène, les autorités ont, comme d’habitude, choisi de dissimuler le problème et tenté de minimiser ou de manipuler les statistiques. Cette tendance reflète l’approche adoptée face à d’autres problèmes de société, comme le divorce, la toxicomanie et les relations illicites, en censurant par ailleurs les discussions à ces sujets dans les médias.

Les journalistes qui couvrent ces phénomènes sociaux sont souvent arrêtés pour diverses raisons – troubles à l’ordre public, diffusion de fausses informations et mise en péril de la sécurité psychologique des citoyens. Cette répression a malheureusement contribué à une aggravation du problème, entraînant une augmentation du nombre de cas de suicide – une tendance inquiétante, comme le souligne Hassan Mousavi Chelak, président de l’Association iranienne des travailleurs sociaux. Il souligne l’écart important entre les chiffres officiels et le nombre réel de suicides.

Le suicide n’est plus limité à un groupe démographique spécifique en Iran. Des rapports récents mettent en lumière des cas de jeunes hommes et femmes qui ont été libérés peu après avoir participé aux manifestations de l’année précédente et se sont suicidés. Il est inquiétant de constater que treize médecins en phase de spécialisation ont mis fin à leur vie dans la même année, ce qui illustre la nature omniprésente de ce problème dans divers segments de la société.

Alors que la majorité des suicides dans le monde touchent les personnes âgées de 18 à 35 ans, en Iran, des enfants âgés d’à peine 15 ans se suicident – une tendance affligeante qui suscite de sérieuses inquiétudes. Toutefois, les réponses des autorités indiquent un manque de sérieux dans le règlement de ce problème. Il est probable que leur sous-estimation vienne de la crainte du régime de révéler son incompétence et son incapacité à résoudre efficacement les problèmes et défis sociaux complexes.

Le Dr Mohammed al-Sulami est le fondateur et le président de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).

Twitter: @mohalsulami 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com