La reprise économique de la Chine se fait lentement mais sûrement

Des méthodes employées par une économie pour se remettre d’un choc dépend la robustesse de sa reprise (fournie)
Des méthodes employées par une économie pour se remettre d’un choc dépend la robustesse de sa reprise (fournie)
Short Url
Publié le Vendredi 01 janvier 2021

La reprise économique de la Chine se fait lentement mais sûrement

La reprise économique de la Chine se fait lentement mais sûrement
  • La reprise repose encore une fois sur un vaste plan de relance, jumelé à des mesures pour endiguer le virus. Mais une grande partie des dépenses provient du secteur public
  • Des chiffres récents indiquent que le redressement repose sur des investissements dans les infrastructures et le logement, alors que la consommation reste morne, loin des tendances prépandémiques

Après le choc de la Covid-19 au printemps 2020, l’économie chinoise retrouve la voie de la reprise économique. Les taux de croissance négatifs dans l’investissement, la production et la consommation sont repassés positifs. Certains indicateurs, comme les exportations, dépassent même les attentes, avec un taux de croissance de plus de 10% enregistré au troisième trimestre.

Des méthodes employées par une économie pour se remettre d’un choc dépend la robustesse de sa reprise. En 2009, le gouvernement chinois, au lendemain de la crise financière globale, a créé un boom du crédit avec un plan de relance de 4 billions de yuans (611 milliards de dollars), ce qui a gonflé le secteur bancaire parallèle et fait grimper la dette à des niveaux inquiétants.

h

Bien entendu, la réactivité de la Chine a préservé l’économie et maintenu des taux de croissance impressionnants. Mais quand les investissements ont commencé à se déverser dans les projets d’infrastructure, de logement, ainsi que dans les bilans des grandes entreprises publiques, ils ont entraîné des perturbations bien pires que celles qui ont été enregistrées avant la crise. La croissance globale de la productivité en est restée estropiée pendant une décennie.

Aujourd’hui, la reprise en Chine repose encore une fois sur un vaste plan de relance, jumelé à des mesures pour endiguer le virus et reprendre les autres activités économiques. Mais une grande partie des dépenses provient du secteur public plutôt que des entreprises privées. De plus, des chiffres récemment publiés indiquent que le redressement postcrise repose sur des investissements dans les infrastructures et le logement, alors que la croissance de la consommation reste morne et loin des tendances prépandémiques.

Si les gens se sentent en sécurité et vivent leurs vies normalement, le secteur des services cherche encore son souffle. Prudents, les Chinois épargnent plus et sortent moins. Ce qui est dramatique pour la Chine l’est pour les autres pays, car elle donne un aperçu des tendances qui attendent les autres économies.

À cela s’ajoutent trois autres préoccupations. Premièrement, les chiffres d’exportations qui ont dépassé les attentes cette année pourraient manquer à l’appel l’année prochaine. En 2020, la Chine joué le rôle de «fournisseur de dernier recours» international, car ses usines ont continué à tourner contrairement aux autres pays. Sachant qu’une partie de la croissance chinoise actuelle est due aux exportations de produits essentiels liés à la pandémie, tels que les masques à titre d’exemple, les statistiques commerciales positives ne reflètent pas une véritable reprise de la demande mondiale, mais plutôt un déplacement des lieux de production. Ce processus risque de s’inverser une fois les usines rouvertes dans les autres parties du monde, et les chaînes d’approvisionnement rétablies.

Deuxièmement, la reprise a déclenché une détérioration structurelle plus large, après des années de réorientation économique des exportations et des investissements vers la consommation. Il y a eu des progrès à cet égard ces dernières années, mais l’équilibre est maintenant retourné vers l’investissement et le commerce, l’offre étant le moteur de la demande dans le processus de reprise.

La reprise macroéconomique de la Chine cache donc des défis microéconomiques. Au troisième trimestre de 2020, la croissance des revenus ne s’était pas redressée, et le revenu disponible des ménages se contractait. La demande de travailleurs migrants a été particulièrement affectée et ne montre aucun signe de reprise. Le taux de participation de la main-d’œuvre s’est maintenu à la baisse depuis sa chute au début de la pandémie.

La Chine vit une décennie plus sage que lorsqu’elle a fait face à son premier défi économique majeur de l’ère post-1978.

Keyu Jin

Troisièmement, les risques financiers se profilent, et cette fois ils proviennent de l’économie réelle. Les bilans des entreprises seront nettement pires avec le temps, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. Au cours du premier semestre de 2020, l’écart entre les emprunts des entreprises et l’épargne a atteint des sommets sans précédent, atteignant plus de 10 billions de yuans. Il prendrait au moins un à deux ans pour être résorbé, même dans des circonstances normales. Si les flux de trésorerie restent déprimés pendant une période prolongée, les risques de créances irrécouvrables augmenteront, en particulier dans les secteurs des transports, des voyages et de la restauration. Ces dettes constitueront des menaces importantes pour les institutions financières, car la qualité des actifs bancaires (et donc des portefeuilles de prêts) se détériore.

Heureusement, bien que les mesures de relance à court terme du gouvernement aient ralenti les progrès des réformes à plus long terme, sa frénésie postpandémique de dépenses est plus ciblée que la dernière fois, et donc peu susceptible d’alimenter une nouvelle bulle de crédit. L’une des caractéristiques les plus notables de ce paquet est l’accent mis sur les investissements dans l’innovation. Au nom de la construction d’une «nouvelle infrastructure», le gouvernement redirige les ressources des projets traditionnels vers les centres de données, les applications d’intelligence artificielle et les bornes de recharge pour véhicules électriques, augmentant de près de 10% les investissements dans la fabrication et les services de haute technologie au cours de l’année.

Cela suggère que nous devons nous attendre à un engagement continu en faveur de l’ouverture de l’économie, en particulier dans les services financiers. Les décideurs chinois reconnaissent que le système financier national doit devenir plus compétitif et plus étroitement intégré aux institutions et entreprises occidentales dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes.

Enfin, la récente décision de la Chine de renoncer à un objectif de croissance national est une évolution bienvenue. Avec moins de pression sur les gouvernements locaux pour générer des chiffres élevés de produit intérieur brut, ils peuvent plutôt se concentrer sur la création d’emplois, l’amélioration des moyens de subsistance, le renforcement de la sécurité alimentaire et énergétique et la création d’opportunités pour les petites et moyennes entreprises.

La Chine vit une décennie plus sage que lorsqu’elle a fait face à son premier défi économique majeur de l’ère post-1978 de «réforme et d’ouverture». Ayant mûri et étant devenue plus patiente, elle se montre moins impétueuse à réaliser des gains à court terme et plus investie dans la création d’opportunités pour ses travailleurs à long terme. Le rétablissement peut être lent, mais il suivra un chemin plus fluide et plus sûr que celui qui fut emprunté la dernière fois.

 

Keyu Jin est professeur d’économie à la London School of Economics et jeune leader du Forum économique mondial

Copyright : Project Syndicate, 2020.

NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com