À la découverte de Diriyah, une exposition organisée au siège de l’Unesco à Paris

Cet événement, qui invite le public à découvrir le patrimoine et la culture tangibles et immatériels de Diriyah, a été inauguré par Fahad ben Maayouf al-Ruwaily, ambassadeur d’Arabie saoudite en France. (AFP).
Cet événement, qui invite le public à découvrir le patrimoine et la culture tangibles et immatériels de Diriyah, a été inauguré par Fahad ben Maayouf al-Ruwaily, ambassadeur d’Arabie saoudite en France. (AFP).
 Dr Abdallah al-Masry, membre du comité patrimoine et culture de Diriyah. (Photo fournie).
Dr Abdallah al-Masry, membre du comité patrimoine et culture de Diriyah. (Photo fournie).
Selon les organisateurs, «cette exposition multidisciplinaire explore les paysages naturels et bâtis de Diriyah à travers des images, des films, des objets et des œuvres d'art contemporaines commandés à des artistes saoudiens».
Selon les organisateurs, «cette exposition multidisciplinaire explore les paysages naturels et bâtis de Diriyah à travers des images, des films, des objets et des œuvres d'art contemporaines commandés à des artistes saoudiens».
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Publié le Vendredi 23 février 2024

À la découverte de Diriyah, une exposition organisée au siège de l’Unesco à Paris

  • Cette exposition présente, à travers le travail visionnaire d'artistes saoudiens contemporains, une fenêtre sur le monde de Diriyah et d'At-Turaif
  • «Aujourd'hui, nous sommes ici dans la maison de l'Unesco pour transmettre ces histoires et montrer comment At-Turaif, avec tout ce qu'il représente, doit être partagé avec le monde»

PARIS: «Les Testaments terrestres, un regard sur les traces matérielles de Diriyah»: tel est le titre de l’exposition organisée par la Délégation permanente du royaume d'Arabie saoudite auprès de l'Unesco et la Diriyah Gate Development Authority. L’événement se tient du 22 au 29 février dans le hall Ségur, au siège de l’Unesco, à Paris.

Cet événement, qui invite le public à découvrir le patrimoine et de la culture tangibles et immatériels de Diriyah, a été inauguré par Fahad ben Maayouf al-Ruwaily, ambassadeur d’Arabie saoudite en France, en présence de la princesse Tarfa al-Saoud, directrice associée de la conservation et des programmes de la Fondation Diriyah, Krista Pikkat, directrice de l’entité culture et situations d’urgence au sein du secteur de la culture de l’Unesco, et Abdallah al-Masry, archéologue, universitaire et membre du comité patrimoine et culture de Diriyah.

«Nous sommes ravis d'accueillir cet événement sur le riche patrimoine de Diriyah et d'At-Turaif, son site classé au patrimoine mondial de l'Unesco. Cette collaboration est essentielle à notre mission, qui consiste à protéger les sites du patrimoine culturel et à donner vie à leur importance archéologique non seulement pour le peuple saoudien, mais aussi pour la communauté internationale. Cette exposition présente, à travers le travail visionnaire d'artistes saoudiens contemporains, une fenêtre sur le monde de Diriyah et d'At-Turaif. Pour cet échange culturel enrichissant, nous vous exprimons notre sincère gratitude», confie Fahad ben Maayouf al-Ruwaily lors de l’inauguration de l’exposition.

Selon les organisateurs, «cette exposition multidisciplinaire explore les paysages naturels et bâtis de Diriyah à travers des images, des films, des objets et des œuvres d'art contemporaines commandés à des artistes saoudiens». En effet, l’événement combine des vestiges historiques et des objets archéologiques pour offrir une vision plus large de Diriyah et d’At-Turaif, le centre du gouvernement du premier État saoudien et la maison ancestrale de la famille royale saoudienne.

«Les Testaments terrestres, un regard sur les traces matérielles de Diriyah» est une manifestation culturelle qui explore, à travers des fragments archéologiques, des photographies d’archives, des films, de la poésie et des œuvres commandées aux artistes saoudiens Racha al-Rachid, Omar Abdeljawad, Ali Alsumayuin et au collectif Bricklab, l'héritage de Diriyah et de son peuple, avec la terre qui a formé son architecture emblématique comme support partagé.

«Il ne fait aucun doute que de nombreux établissements historiques et préhistoriques existent le long de Diriyah et à proximité de ce site depuis des milliers d'années», explique Abdallah al-Masry.

«L’objectif de cette exposition consiste à mettre en valeur la tradition des constructions de Diriyah. Il est important de reconnaître que ces traditions et ces techniques de construction anciennes utilisant la terre restent d’actualité. En effet, ce sont des matériaux durables qui résistent à l’humidité et à la chaleur, garantissant le bien-être des êtres humains. Aujourd’hui, dans cette exposition, on observe le dialogue et la connexion entre ces images anciennes et ces œuvres modernes. On découvre la beauté et la solidité des matériaux», nous explique Krista Pikkat.

Symbole vivant des traditions

L’expérience des «Testaments terrestres» raconte l’histoire de Wadi Hanifah, la source verdoyante de Diriyah, et d’At-Turaif, un site qui constitue l’emblème de l’héritage fondateur du royaume d’Arabie saoudite. À ce jour, At-Turaif demeure un symbole vivant des traditions, des valeurs et des formes matérielles qui définissent la culture et le patrimoine najdi.

«Je tiens à exprimer ma plus profonde gratitude à nos partenaires de l'Unesco pour leur soutien et leur collaboration dans la réalisation de cette exposition sur le district d'At-Turaif, le cœur de Diriyah, qui retrace son patrimoine archéologique, historique, culturel et terrestre», indique Abdallah al-Masry.

«La ville de Diriyah, dont les premières colonies remontent au XVe siècle après J.-C., bénéficie d'un emplacement physique unique sur un plateau qui surplombe Wadi Hanifa, l'un des lits de rivières asséchés qui parsèment le paysage de l'Arabie», explique Abdallah al-Masry à Arab News en français.

«Il ne fait aucun doute que de nombreux établissements historiques et préhistoriques existent le long de Diriyah et à proximité de ce site depuis des milliers d'années. Cependant, c’est la vision clairvoyante et audacieuse des premiers occupants d'At-Turaif, les ancêtres du clan Al-Saoud et de leurs dirigeants, qui ont réussi à unir la région, qui deviendra le royaume d'Arabie saoudite.»

Abdallah al-Masry ajoute que «pour les citoyens saoudiens, Diriyah est un symbole vivant de continuité dans de multiples sphères de leur vie, à commencer par l'appartenance nationale, la stabilité et une forte unité sociale combinées à une diversité culturelle régionale dynamique».

«Mémoire collective»

«L'histoire de Diriyah, de sa terre et de son peuple Al-Awja [le peuple de Diriyah], dont la vie dans le wadi [«oued»] a lentement façonné, de génération en génération, notre mémoire collective. Ce sont des histoires de générosité, de parenté, de résilience, d'honneur, de durabilité et de solidarité qui continuent de nous inspirer aujourd'hui», fait savoir la princesse Tarfa al-Saoud à Arab News en français.

«Aujourd'hui, nous sommes ici dans la maison de l'Unesco pour transmettre ces histoires et montrer comment At-Turaif, avec tout ce qu'il représente, doit être partagé avec le monde. Nous sommes là pour partager des expériences humaines et des valeurs universelles, et les célébrer ensemble», conclut-elle.


Avec ses tapisseries interactives exposées à Paris, Chloé Bensahel fait chanter les plantes

L'artiste franco-américaine Chloé Bensahel pose lors d'une séance photo, dans le cadre de son exposition au Musée du Palais de Tokyo à Paris le 24 avril 2024 (Photo, AFP).
L'artiste franco-américaine Chloé Bensahel pose lors d'une séance photo, dans le cadre de son exposition au Musée du Palais de Tokyo à Paris le 24 avril 2024 (Photo, AFP).
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  • En les caressant du plat de sa main, le visiteur se fait magicien
  • Au contact du corps humain et comme irriguées par un réseau sanguin ou neuronal, les tapisseries s'illuminent tandis que des chants byzantins résonnent

PARIS: Ses tapisseries s'éclairent et chantent lorsqu'on les touche: exposée à Paris, l'artiste franco-américaine Chloé Bensahel tisse des oeuvres hybrides, faisant appel aux plantes comme aux nouvelles technologies.

Au Palais de Tokyo, où cette trentenaire expose pour la première fois en solo jusqu'au 30 juin, trois grandes tapisseries aux motifs géométriques et aux couleurs naturelles, tissées en fils de laine, coton, soie et fibres végétales, sont disposées en cercle dans un espace compartimenté par des voilages noirs.

En les caressant du plat de sa main, le visiteur se fait magicien: au contact du corps humain et comme irriguées par un réseau sanguin ou neuronal, les tapisseries s'illuminent tandis que des chants byzantins résonnent.

"Elles font partie d’un groupe d’œuvres que je produis en continu qui s’appellent les +Transplants+, des tapisseries faites à base de plantes invasives comme l’ortie ou le mûrier qui sont des espèces ramenées de voyages coloniaux du 19ème siècle", explique à l'AFP l'artiste, diplômée de la Parsons School of Design de New York et qui a aussi fait ses classes auprès de Sheila Hicks.

Sheila Hicks, «mentor»

Cette figure mondiale de la tapisserie moderne a été son "mentor", dit la jeune femme. Elle lui a notamment permis de "rencontrer des tisserands japonais" et d'apprendre les techniques de tissage au Japon, approfondies par des résidences en Australie, à San Francisco et Paris.

Qu'il s'agisse de soie du XIXème siècle tissée en basse-lisse (technique traditionnelle de tissage à l'horizontal, ndlr), d'une chemise ou de chaussettes brodées au fil d'or, l'artiste performeuse, adepte de la danse et des textes sacrés, donne vie à ses supports en les mélangeant "à du fil conducteur".

"Ce qui m’intéressait, c’était de créer des textes performatifs qu’on incarne. Les plantes ont des histoires qu’elles racontent mais les corps aussi et l’idée de faire une tapisserie interactive est vraiment venue de l’envie de faire un texte qui se raconte par le corps et d’insérer le corps dans l’expérience de l’œuvre", explique-t-elle.

A base de cuivre, le fil conducteur est inclus "dans la tapisserie reliée à un système informatique qui envoie une fréquence en permanence interférant avec le corps humain, conducteur lui aussi et qui déclenche le dispositif sonore", détaille-t-elle.

C'est en 2019 qu'elle a rencontré des ingénieurs de Google et découvert ce système, en résidence à la manufacture des Gobelins à Paris.

Invisible 

Côté son, elle travaille avec des compositeurs - la chorale La Tempête et la compositrice américaine Caroline Shaw - après avoir au départ "installé des électrodes sur des plantes pour capter leurs fréquences et les traduire en fréquences sonores" avec des instruments de musique.

Elle explique: "j’ai voulu remonter dans l’histoire des plantes qui sont sur notre territoire pour imaginer ce qu’elles avaient à raconter".

Se servant du monde botanique comme allégorie du monde humain, l'artiste, aux racines nord-africaine, française et américaine, raconte "des histoires de migration, d'hybridation culturelle et de résilience".

"L’idée de la tapisserie interactive, c’est souvent de matérialiser quelque chose qui est invisible: c’est en touchant qu’on découvre un message secret ou codé. Les plantes, c'est pareil, elles parlent entre elles un langage que nous ne percevons pas car dans cette ère de +l’anthropocène+ on pense qu’on est maître du monde naturel", s'amuse cette "hypersensible" dont le "rapport au texte (est) clairement influencé par (son) judaïsme", de son propre aveu.

Pensionnaire de la villa Albertine, des résidences d'artistes pour promouvoir la langue française au Etats-Unis, et en résidence actuellement au MIT de Boston, elle poursuit ses recherches afin d'imaginer "un textile qui bouge et change de forme" grâce "à des muscles artificiels qui lui permettent de se rétracter et de se détendre", dit-elle.


Le mouton géant du Tadjikistan, allié de l'environnement

Le berger Bakhtior Sharipov s'occupe de son troupeau de moutons Hissar dans un champ près de la ville de Hissar, dans l'ouest du Tadjikistan (Photo, AFP).
Le berger Bakhtior Sharipov s'occupe de son troupeau de moutons Hissar dans un champ près de la ville de Hissar, dans l'ouest du Tadjikistan (Photo, AFP).
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  • Quelque 250 moutons au physique inhabituel profitent des premiers jours du printemps pour paître
  • Dans son centre biotechnologique près de Douchanbé, le scientifique Ibrokhim Bobokalonov conserve la semence des meilleurs spécimens

HISSAR: A flanc de collines au Tadjikistan, le berger Bakhtior Charipov surveille son troupeau de moutons de Hissar. Cette race d'ovinés, considérée comme la plus grosse au monde, gagne en popularité en Asie centrale, grâce à sa rentabilité et son adaptation au changement climatique.

Sous la garde du jeune homme, quelque 250 moutons au physique inhabituel profitent des premiers jours du printemps pour paître. L'énorme boule de graisse sur l'arrière-train, qui les caractérise, se balance au rythme de leurs déplacements dans ces pâturages des contreforts des monts Hissar, région berceau de l'espèce, à l'ouest de la capitale Douchanbé.

"Ils pèsent en moyenne 135 kilos. C'est la fin de l'hiver donc ils sont moins lourds, mais ils grossiront vite", explique à l'AFP Bakhtior, 18 ans, accompagné de son chien blanc César, berger d'Asie centrale aussi imposant que ses moutons.

Avec environ deux millions de têtes, ces moutons sont l'une des fiertés du Tadjikistan, où l'approvisionnement en viande et les pâturages de qualité sont insuffisants.

"Les moutons de Hissar prennent rapidement du poids, même quand ils ont peu d'eau et d'herbe à disposition", poursuit-il.

Témoin du statut dont jouissent ces moutons, un monument couleur doré représentant trois spécimens s'élève au bord de la route menant à la vallée éponyme, parmi les dizaines d'affiches à la gloire du président Emomali Rakhmon, au pouvoir depuis 1992.

«Améliorer la situation écologique»

"Les fermiers élèvent des moutons de Hissar pour leur rentabilité économique", résume pour l'AFP Charofjon Rakhimov, membre de l'Académie tadjike des sciences agricoles.

"Le Hissar est une race unique, d'abord pour son poids: les béliers peuvent dépasser les 210 kilos, avec un rendement élevé en viande et en graisse, environ les deux-tiers du poids total", supérieur aux autres races ovines qui mangent plus et produisent moins de viande, poursuit M. Rakhimov.

"De plus, ces moutons ne restent jamais au même endroit et contribuent ainsi à améliorer la situation écologique des sols. Leur transhumance -- ils peuvent parcourir jusqu'à 500 km grâce à leur musculature-- réduit la dégradation des pâturages", explique cet agronome.

Car la dégradation des terres arables, sous l'effet combiné du réchauffement climatique et du surpâturage, est l'un des principaux défis environnementaux pour l'Asie centrale.

D'après un rapport de novembre 2023 des Nations unies, 20% de la région est déjà touchée par ce phénomène en pleine accélération, soit environ 800.000 kilomètres carrés, l'équivalent de la superficie de la Turquie.

Et plus de 18 millions d'habitants d'Asie centrale, soit un quart de la population, sont concernés. La dégradation des terres, et la poussière qu'elle génère, alimente les maladies cardio-respiratoires et les problèmes socio-économiques, des fermiers préférant quitter leurs terres aux rendements en baisse et émigrer.

Dans ce contexte, maintenir une productivité élevée est primordial.

Mouton à 40.000 dollars 

Dans son centre biotechnologique près de Douchanbé, le scientifique Ibrokhim Bobokalonov conserve la semence des meilleurs spécimens de la race et veille à leur bon développement.

"La demande de moutons de Hissar augmente non seulement au Tadjikistan, mais aussi au Kazakhstan, Kirghizstan, en Russie, Turquie, Azerbaïdjan, Chine et même aux États-Unis", assure M. Bobokalonov.

Le Hissar est même devenu source de rivalité entre les pays de la région : le Tadjikistan a récemment accusé ses voisins d'usurper la race pour la croiser avec d'autres variétés locales et créer des moutons encore plus lourds, atteignant des prix astronomiques.

Lors d'un concours agricole au Kazakhstan l'an dernier, un mouton de Hissar a atteint les 230 kilos, un record selon Guinness, un autre a été vendu pour 40.000$ en 2021, tandis qu'au Kirghizstan, certains spécimens dépassent les 210 kilos.

Alors pour le Tadjikistan, hors de question de se laisser doubler.

"Voici Micha, il pèse 152 kilos et vaut 15.000 dollars", se félicite M. Bobokalonov devant un mouton allongé sur la balance, pattes liées. Une somme équivalente à six ans du salaire mensuel moyen au Tadjikistan.

"J'espère que d'ici le concours cet été, il pèsera 220-230 kilos. Juste en le nourrissant de produits naturels, sans dopage, il peut prendre environ 800 grammes par jour", assure cet homme jovial.

Allié de l'environnement, le Hissar est aussi apprécié pour ses qualités gustatives, dans une région où le mouton constitue un ingrédient culinaire essentiel. "Avec ce mouton, on peut cuisiner n'importe quel plat national tadjik", résume Oumedjon Youldachev, acheteur sur le marché de Hissar.


Quasi-oublié, le plus grand aigle d'Europe lutte pour sa survie

Un spécimen de Gypaète barbu observé au parc "Les Aigles du Léman", la plus grande volière et centre de réintroduction de rapaces au monde, à Sciez, en Haute-Savoie, le 28 mars 2024 (Photo, AFP).
Un spécimen de Gypaète barbu observé au parc "Les Aigles du Léman", la plus grande volière et centre de réintroduction de rapaces au monde, à Sciez, en Haute-Savoie, le 28 mars 2024 (Photo, AFP).
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  • Le parc animalier qu'il a fondé il y a près de 30 ans accueille 350 rapaces de tout poil, du hibou jusqu'au condor des Andes, ainsi que 28 pygargues à queue blanche, aussi appelés aigles pêcheurs
  • Jadis omniprésent en Europe et connu sous le nom d'orfraie, le pygargue, plus grand aigle d'Europe avec jusqu'à 2,5 mètres d'envergure, a disparu du territoire métropolitain

SCIEZ: Deux boules de duvet gris-blanc de 65 grammes: des poussins de pygargues à queue blanche sont nés fin mars au centre des Aigles du Léman où l'on travaille d'arrache-pied à réintroduire en France cette espèce "extraordinaire", toujours sous la menace des braconniers.

La caméra zoome sur le nid numéro 6 où l'on voit maman aigle déchirer une lanière de viande de lapin pour nourrir ses deux petits: "La délicatesse qu'ils ont avec la taille de leur bec ! Je peux passer des heures à les regarder", s'extasie Jacques-Olivier Travers depuis la salle de contrôle d'où il surveille ses volières.

Le parc animalier qu'il a fondé il y a près de 30 ans accueille 350 rapaces de tout poil, du hibou jusqu'au condor des Andes, ainsi que 28 pygargues à queue blanche, aussi appelés aigles pêcheurs, dont 10 couples reproducteurs.

C'est la troisième couvée consécutive que le centre se prépare à relâcher à la fin de l'été dans le cadre d'un programme privé visant à réintroduire 85 pygargues d'ici 2030, soutenu par un célèbre joaillier suisse. Deux autres programmes similaires sont en cours en Espagne et en Grande-Bretagne.

Jadis omniprésent en Europe et connu sous le nom d'orfraie (d'où l'expression "pousser des cris d'orfraie"), le pygargue, plus grand aigle d'Europe avec jusqu'à 2,5 mètres d'envergure, a disparu du territoire métropolitain en 1892 lorsque le dernier couple a été abattu près de Thonon-les-Bains.

L'oiseau-emblème de l'Allemagne, de l'Autriche et de la Pologne compte actuellement moins d'une trentaine de représentants en France, réapparus depuis une dizaine d'années, bien moins que l'aigle royal qui pour sa part n'a jamais été éradiqué.

Bien qu'il ait fait de son mieux pour préparer les mentalités à l'avance, "la partie la plus difficile c’est de faire accepter l’idée de remettre un top-prédateur dans la nature", a constaté M. Travers.

Partout où il l'a pu, il a fait voler son "ambassadeur" Fletcher, un superbe pygargue dressé par ses soins: de Dubaï à l'Elysée ou à la Tour Eiffel, à ski ou en parapente, les deux compères ont enchaîné les démonstrations pour plaider leur cause auprès d'un public le plus large possible. "Grâce à lui, les gens ont redécouvert cette espèce", quasi-oubliée, se réjouit le quinquagénaire, passionné d'oiseaux depuis l'enfance.

Perché très à son aise sur son bras ganté de cuir, l'imposant Fletcher, plumage sombre et oeil sévère cerclé de jaune, accepte une friandise avant de laisser échapper un cri strident: "On se connaît par cœur, on est un vieux couple", rigole son maître.

«Partager l'espace»

Malgré ces efforts de sensibilisation, le péril reste grand pour les jeunes pygargues, âgés de quelques mois lorsqu'ils quittent la sécurité du centre et qui atteindront la maturité sexuelle à 5 ans seulement.

La plupart semble très bien s'adapter à leur environnement, vivant de la pêche et ne dédaignant pas non plus cormorans ou marmottes.

Mais la principale menace demeure l'Homme. En l'espace d'un an, trois des 14 juvéniles relâchés depuis 2022 par le centre ont été tués par balles. Le dernier cas remonte à février dans le massif de l'Oisans (Isère).

"Ça nous met hors de nous. Il dormait sur une corniche et ne gênait personne. Il l'ont tiré au gros calibre, l'oiseau est explosé", souligne M. Travers, qui admet avoir "sous-estimé" les risques liés à la chasse et la difficulté de faire accepter le retour des grands prédateurs.

"Le loup, les vautours sont revenus très vite, en très grand nombre, c’est une bonne nouvelle pour les naturalistes mais c’est allé un peu trop vite pour les mentalités humaines", estime-t-il. Les aigles abattus sont "malheureusement des victimes collatérales du retour du loup".

Or "le loup a le droit d'être là, l'aigle a le droit d'être là et le berger a le droit d'être là. Il faut que l'Homme apprenne à partager l'espace", plaide-t-il.

Seule consolation: les braconniers qui ont abattu l'aigle en Oisans ont - exceptionnellement - pu être interpellés grâce à la balise high-tech que portait l'oiseau. Ils seront jugés le 13 mai à Grenoble et encourent 3 ans d’emprisonnement et une amende de 150.000 euros.