Otages du groupe EI en Syrie: Mehdi Nemmouche et quatre autres jihadistes jugés à Paris

Plus d'une décennie après, d'anciens otages face à leurs geôliers présumés: le procès de Mehdi Nemmouche, le tueur du musée juif de Bruxelles, et de quatre autres jihadistes, accusés d'avoir détenu des journalistes français au sein du groupe Etat islamique en Syrie en 2013, s'ouvre lundi à Paris. (AFP)
Plus d'une décennie après, d'anciens otages face à leurs geôliers présumés: le procès de Mehdi Nemmouche, le tueur du musée juif de Bruxelles, et de quatre autres jihadistes, accusés d'avoir détenu des journalistes français au sein du groupe Etat islamique en Syrie en 2013, s'ouvre lundi à Paris. (AFP)
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Publié le Lundi 17 février 2025

Otages du groupe EI en Syrie: Mehdi Nemmouche et quatre autres jihadistes jugés à Paris

  • Les journalistes français Didier François et Edouard Elias, puis Nicolas Hénin et Pierre Torres, ont été enlevés à 10 jours d'intervalle en juin 2013, dans la région d'Alep pour les premiers, celle de Raqqa pour les seconds
  • Ils n'ont été libérés que près d'un an plus tard, le 18 avril 2014, après des mois de supplice, entre violences physiques et psychologiques, privations de nourriture et simulacres d'exécutions

PARIS: Plus d'une décennie après, d'anciens otages face à leurs geôliers présumés: le procès de Mehdi Nemmouche, le tueur du musée juif de Bruxelles, et de quatre autres jihadistes, accusés d'avoir détenu des journalistes français au sein du groupe Etat islamique en Syrie en 2013, s'ouvre lundi à Paris.

Les journalistes français Didier François et Edouard Elias, puis Nicolas Hénin et Pierre Torres, ont été enlevés à 10 jours d'intervalle en juin 2013, dans la région d'Alep pour les premiers, celle de Raqqa pour les seconds.

Ils n'ont été libérés que près d'un an plus tard, le 18 avril 2014, après des mois de supplice, entre violences physiques et psychologiques, privations de nourriture et simulacres d'exécutions.

"Je n'ai jamais été le geôlier des otages" en Syrie, déclare Mehdi Nemmouche à l'ouverture de son procès

Le tueur du musée juif de Bruxelles Mehdi Nemmouche, jugé à Paris pour avoir détenu quatre journalistes français pour le compte du groupe Etat islamique en Syrie en 2013, a déclaré à l'ouverture de son procès lundi n'avoir "jamais été le geôlier des otages".

"Je vais faire une déclaration préalable", annonce-t-il au moment de décliner son identité devant la cour d'assises spéciale. "Je n'ai jamais été le geôlier des otages occidentaux ni aucun autre, et je n'ai jamais rencontré ces personnes en Syrie", ajoute l'accusé de 39 ans, assurant qu'il n'avait été qu'un "soldat sur le front" engagé dans divers groupes jihadistes contre le régime de Bachar al-Assad.

 

L'"Etat islamique en Irak et au Levant", né le 9 avril 2013 d'une scission avec le groupe jihadiste Jabhat al-Nosra (et devenu ensuite "Etat islamique"), a séquestré de nombreux humanitaires et journalistes occidentaux, souvent détenus ensemble.

Plusieurs d'entre eux, dont le journaliste américain James Foley et l'humanitaire britannique David Haines, ont été exécutés, en tenue orange, dans des mises en scène macabres et filmées qui ont choqué le monde.

Un mois après le retour en France des journalistes, Mehdi Nemmouche a abattu le 24 mai 2014 quatre personnes au musée juif de Bruxelles. Il fut le premier d'une longue liste de jihadistes de l'EI rentrant de Syrie pour commettre des attentats en Europe.

Quand il a été arrêté quelques jours plus tard à Marseille, sa photo a été publiée dans la presse. Certains ex-otages l'ont immédiatement reconnu: il est "Abou Omar", l'un de leurs geôliers en Syrie. En entendant sa voix, ils en sont sûrs "à 100%".

Pendant l'enquête, les journalistes ont décrit un homme "bavard", "pervers", délinquant converti dans le "nettoyage ethnique religieux" comme il disait, particulièrement antisémite et admiratif de Mohamed Merah, tueur d'enfants juifs dans une école à Toulouse en 2012.

"Envie de les entendre" 

Fan d'actualité et de "Faites entrer l'accusé", il leur faisait des quiz. Ou menaçait de les égorger. Et imposait ses imitations de Coluche ou des Inconnus, ses interprétations d'Aznavour ou des génériques de dessins animés de son enfance.

"Tu ne t'attendais pas à entendre chanter un moudjahidin d'Al Qaïda", lançait-il. Ou souvent: "Lorsque je serai sur le banc des accusés, vous viendrez témoigner".

Les ex-otages ont aussi raconté les insoutenables cris des détenus syriens torturés par des hommes hurlant en français, le plaisir sadique de Mehdi Nemmouche quand il venait raconter, ou quand il laissait un corps égorgé devant leur porte.

Nicolas Hénin espère que ses geôliers s'exprimeront durant l'audience. "J'ai envie de les entendre. C'est nécessaire à la manifestation de la vérité", a-t-il souligné lundi matin sur France Inter, prêt à se "bagarrer y compris au tribunal pour leur faire comprendre qu'ils ont perdu".

Sur RMC, Didier François a lui relevé que "Mehdi Nemmouche, en soi, ce n'est que l'un des geôliers, que l'un des tortionnaires, que l'un des djihadistes qui a porté ce projet" jihadiste.

L'accusé, aujourd'hui âgé de 39 ans, a été condamné en 2019 à la perpétuité en Belgique pour l'attentat au musée juif. Il encourt la même peine dans ce dossier.

Peu avant l'ouverture du procès lundi, son avocat Me Francis Vuillemin a assuré que son client, qui n'a parlé ni pendant le procès à Bruxelles ni pendant l'instruction, s'exprimerait durant l'audience.

"Il est d'une grande sérénité. Il ne risque rien, il sait qu'il est en prison à vie, il sait qu'il mourra en prison. Il a été silencieux pendant 10 ans, il va parler, c'est une certitude", a affirmé devant la presse Me Vuillemin, répétant que son client "conteste avoir été le geôlier des otages français et occidentaux".

Doivent aussi comparaître Abdelmalek Tanem (35 ans), déjà condamné en France pour avoir rejoint la Syrie en 2012 et soupçonné d'avoir été un des geôliers, et le Syrien Kais Al Abdallah (41 ans), facilitateur de l'enlèvement de Nicolas Hénin et Pierre Torres selon l'enquête. Tous deux nient.

Sont en outre jugés - même s'ils sont présumés morts - le haut cadre de l'Etat islamique Oussama Atar (déjà condamné par défaut à la perpétuité au procès des attentats du 13-Novembre qu'il avait commandités) et Salim Benghalem, considéré comme le chef de la détention des otages.

Le procès est prévu jusqu'au 21 mars.


Dernières heures de tractations pour tenter de sortir de l'impasse politique

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  • Nouvelle dissolution de l'Assemblée après celle de l'été 2024, départ du président... Tous les scénarios sont évoqués depuis la démission surprise lundi matin de Sébastien Lecornu
  • Une annonce qui a précipité la France dans une crise politique sans précédent et ravive les inquiétudes des investisseurs quant à la situation politique et budgétaire du pays

PARIS: Le Premier ministre démissionnaire français Sébastien Lecornu tente mercredi d'ultimes pourparlers pour tenter de sortir le pays de l'impasse politique, au dernier jour fixé par le président Emmanuel Macron, qui voit lui-même se multiplier les appels à la démission.

Nouvelle dissolution de l'Assemblée après celle de l'été 2024, départ du président... Tous les scénarios sont évoqués depuis la démission surprise lundi matin de Sébastien Lecornu, seulement 14 heures après avoir dévoilé son gouvernement.

Une annonce qui a précipité la France dans une crise politique sans précédent et ravive les inquiétudes des investisseurs quant à la situation politique et budgétaire du pays.

Chargé d'ici mercredi soir de composer une coalition, le Premier ministre le plus éphémère de la Ve République consulte au pas de charge pour ce qui s'apparente à une mission de la dernière chance.

Après s'être entretenu mardi avec les responsables de la droite et du centre, ainsi que les présidents des deux chambres du Parlement, il doit rencontrer mercredi matin les socialistes, qui lorgnent sur le poste de chef de gouvernement, puis les écologistes.

Mais les chances de compromis sont minces. Le Rassemblement national (extrême droite) a décliné l'invitation tout comme La France insoumise (gauche radicale), qui tous deux réclament des législatives anticipées.

Le chef de l'Etat a déjà fait savoir par son entourage qu'il "prendrait ses responsabilités" en cas d'échec mercredi, laissant planer la menace d'une nouvelle dissolution de l'Assemblée actuellement divisée en trois blocs sans majorité nette (gauche, centre et droite, extrême droite).

"La démission n'existe pas" 

M. Macron a jusqu'ici toujours exclu de démissionner, comme le demande sans relâche la gauche radicale.

La pression est toutefois montée d'un cran avec des appels émanant de proches dont son ancien Premier ministre Edouard Philippe (2017-2020), candidat déclaré à la présidentielle.

Cet allié traditionnel a lâché une bombe en l'exhortant à organiser "une élection présidentielle anticipée" après l'adoption d'un budget pour 2026, évoquant un Etat qui n'est selon lui "pas tenu".

M. Lecornu, qui a dit qu'en toute hypothèse il ne prendrait pas la tête du prochain gouvernement, est le quatrième locataire de Matignon depuis la dissolution surprise décidée - et perdue - par M. Macron au printemps 2024.

"On ne va pas faire durer ce que nous vivons depuis six mois pendant 18 mois encore (jusqu'à la présidentielle de 2027, ndlr), c'est beaucoup trop long", a lancé M. Philippe.

La veille, un autre ex-chef du gouvernement, jadis proche d'Emmanuel Macron, Gabriel Attal, avait sèchement pris ses distances avec le président, dont il ne comprend "plus les décisions", sans pour autant l'appeler à écourter son mandat.

"La question de la démission n'existe pas", Emmanuel Macron restera en place "jusqu'à la dernière minute de son mandat", a répondu mardi la porte-parole démissionnaire du gouvernement, Aurore Bergé.

Pour espérer arracher un compromis, M. Lecornu a convenu de "concentrer" les discussions mercredi sur le budget pour 2026 et l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, archipel français du Pacifique sud.

Ultime concession, il a "ouvert la porte" à une "suspension" de la réforme des retraites, une mesure phare du deuxième quiquenat Macron décriée par la gauche et les syndicats.

La ministre démissionnaire Elisabeth Borne s'est elle-même dite mardi ouverte à une "suspension" de cette réforme, qu'elle avait fait adopter au moyen du vote bloqué quand elle était Première ministre.

 


France: ultimes négociations pour former une coalition, Macron lâché par ses alliés

 Dissolution, présidentielle anticipée... La crise politique en France s'enflamme mardi et le président Emmanuel Macron, qui a demandé au Premier ministre démissionnaire Sébastien Lecornu de poursuivre "d'ultimes négociations" pour tenter de composer une coalition, se trouve plus isolé que jamais. (AFP)
Dissolution, présidentielle anticipée... La crise politique en France s'enflamme mardi et le président Emmanuel Macron, qui a demandé au Premier ministre démissionnaire Sébastien Lecornu de poursuivre "d'ultimes négociations" pour tenter de composer une coalition, se trouve plus isolé que jamais. (AFP)
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  • Coup de théâtre, l'ancien Premier ministre (2017-2020) Édouard Philippe l'exhorte à partir avant la fin de son mandat. Il lui a demandé d'organiser "une élection présidentielle anticipée" après l'adoption d'un budget pour 2026
  • Évoquant "l'affaissement de l'État" qui n'est, selon lui, "pas tenu", cet allié traditionnel du président a estimé qu'"on ne va pas faire durer ce que nous vivons depuis six mois pendant 18 mois encore"

PARIS: Dissolution, présidentielle anticipée... La crise politique en France s'enflamme mardi et le président Emmanuel Macron, qui a demandé au Premier ministre démissionnaire Sébastien Lecornu de poursuivre "d'ultimes négociations" pour tenter de composer une coalition, se trouve plus isolé que jamais.

Coup de théâtre, l'ancien Premier ministre (2017-2020) Édouard Philippe l'exhorte à partir avant la fin de son mandat. Il lui a demandé d'organiser "une élection présidentielle anticipée" après l'adoption d'un budget pour 2026.

Évoquant "l'affaissement de l'État" qui n'est, selon lui, "pas tenu", cet allié traditionnel du président a estimé qu'"on ne va pas faire durer ce que nous vivons depuis six mois pendant 18 mois encore (jusqu'à la présidentielle de 2027, ndlr), c'est beaucoup trop long".

Déjà la veille, un autre ex-chef du gouvernement (janvier-septembre 2024), jadis très proche d'Emmanuel Macron, Gabriel Attal avait lancé l'offensive, prenant sèchement ses distances avec le chef de l'Etat dont il "ne comprend plus les décisions".

Dans le même temps, les opposants continuent de dénoncer la crise politique inédite dans laquelle la France est plongée depuis la démission surprise lundi du gouvernement de Sébastien Lecornu nommé... quatorze heures plus tôt.

Socle commun ? 

Le terrain est au moins glissant, sinon miné, pour celui qui est devenu le Premier ministre le plus éphémère de la Ve République, avant d'être à nouveau chargé lundi soir par le président de mener d'"ultimes négociations" d'ici mercredi pour "définir une plateforme d'action et de stabilité".

Le ministre de l'Intérieur démissionnaire, Bruno Retailleau, qui avait provoqué la crise en menaçant dimanche de quitter ce gouvernement pour notamment protester contre la nomination de l'ancien ministre de l'Economie Bruno Le Maire, a tempéré sa position mardi.

Il a proposé que son parti, Les Républicains, participe à un gouvernement de "cohabitation" avec la macronie à condition que LR "ne se dilue pas" dans le camp présidentiel.

Mais, dans le même temps, il a refusé de participer à une réunion mardi matin à Matignon du "socle commun", alliance entre le centre et la droite LR qui a tenu cahin-caha depuis la dissolution de l'Assemblée de 2024.

Ces nouvelles tractations, si elles devaient aboutir à un compromis, ne se traduiront pas nécessairement par une reconduction de Sébastien Lecornu à Matignon, selon l'entourage d'Emmanuel Macron.

En cas d'échec, ce dernier prendra ses "responsabilités" selon la même source, faisant planer la menace d'une nouvelle dissolution de l'Assemblée divisée en trois blocs sans majorité nette (gauche, centre et droite, et extrême droite).

Gauche dispersée 

Au tour de force de ressouder le socle commun s'ajoute la menace de censure, toujours brandie par la gauche et le Rassemblement national.

"Il peut réussir", considérait lundi soir un conseiller de l'exécutif, "s'il décroche la suspension de la réforme des retraites par exemple", une exigence des socialistes.

Le patron du Parti socialiste (PS) Olivier Faure a lui demandé "un changement de cap" avec l'arrivée d'un "gouvernement de gauche" à Matignon.

Une cohabitation également réclamée par la patronne des Ecologistes Marine Tondelier, qui souhaite toutefois se préparer "à toutes les hypothèses". Elle a ainsi proposé à "toutes" les formations de gauche, de se réunir mardi matin.

Mais le PS a annoncé dans la soirée qu'il ne participerait pas "en présence" du parti de gauche radicale LFI.

Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, qui plaide pour une "solution claire, nette, franche et massive", ne varie pas de sa ligne et continuera de demander la démission d'Emmanuel Macron, en brandissant l'arme de la motion de destitution dont la recevabilité doit être examinée mercredi devant le Bureau de l'Assemblée.

Quant au Rassemblement national, il ne trace lui aussi que deux chemins possibles: la dissolution "absolument incontournable", selon sa cheffe de file Marine Le Pen, et la "démission" d'Emmanuel Macron, qui serait "sage".

Le parti d'extrême droite et ses alliés ont l'intention de censurer "systématiquement tout gouvernement" jusqu'à la dissolution ou la démission.

 


Ali Akbar vendeur de journaux à la criée bientôt décoré par Macron

Chaque après-midi, une silhouette familière surgit aux abords de la place Saint-Germain-des-Prés : casquette vissée sur la tête, journaux sous le bras et voix claire, Ali Akbar entame sa tournée quotidienne. (Photo Arlette Khouri)
Chaque après-midi, une silhouette familière surgit aux abords de la place Saint-Germain-des-Prés : casquette vissée sur la tête, journaux sous le bras et voix claire, Ali Akbar entame sa tournée quotidienne. (Photo Arlette Khouri)
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  • Bientôt, celui que tout le monde connaît par son prénom sera décoré par le président Emmanuel Macron — une reconnaissance inattendue pour un homme parti de rien
  • Né au Pakistan, Ali Akbar grandit dans une famille modeste et enchaîne les petits boulots. À 20 ans, il décide de tenter sa chance ailleurs, avec pour objectif un rêve tout simple : gagner assez d’argent pour construire une maison pour sa mère

PARIS: Chaque après-midi, une silhouette familière surgit aux abords de la place Saint-Germain-des-Prés : casquette vissée sur la tête, journaux sous le bras et voix claire, Ali Akbar entame sa tournée quotidienne.
À près de 70 ans, il est le dernier vendeur de journaux à la criée de Paris, gardien d’un métier en voie d’extinction, figure incontournable du Quartier latin et mascotte du quartier pour les riverains.

Bientôt, celui que tout le monde connaît par son prénom sera décoré par le président Emmanuel Macron — une reconnaissance inattendue pour un homme parti de rien, dont la vie s’est construite au gré des hasards et des rencontres.
Sa notoriété et la sympathie spontanée qu’il suscite sont le fruit d’un don particulier : savoir jongler avec les grands titres de l’actualité et jouer sur les mots.

Né au Pakistan, Ali Akbar grandit dans une famille modeste et enchaîne les petits boulots. À 20 ans, il décide de tenter sa chance ailleurs, avec pour objectif un rêve tout simple : gagner assez d’argent pour construire une maison pour sa mère.
Il embarque à bord d’un bateau où il travaille comme serveur. Le vent l’emporte jusqu’à Rouen, où il est embauché comme plongeur dans un restaurant, dans l’espoir de repartir un jour pour la Grèce.
Mais une succession de déboires et de vexations contrarie son plan. Il décide alors de quitter Rouen pour Paris, où son errance le mène dans le Quartier latin : il l’arpente le jour, puis se réfugie la nuit sous l’un de ses ponts pour dormir.

C’est dans ce quartier qu’une rencontre va changer sa vie, lorsqu’il fait la connaissance d’un vendeur à la criée brandissant la une provocante du magazine satirique Charlie Hebdo.
Fasciné, il engage la conversation et, de fil en aiguille, rencontre l’équipe du journal. Il trouve refuge chez un couple installé près du restaurant fréquenté par l’intelligentsia parisienne, la Closerie des Lilas.
Embauché par Charlie Hebdo, il se lance dans la vente à la criée dans les rues du 6ᵉ arrondissement — un choix improvisé qui deviendra une véritable vocation.

À cette époque, ils sont une quarantaine à arpenter les trottoirs parisiens pour vendre les journaux.
« Ils ont tous disparu petit à petit, mais moi, j’adore marcher et parler aux gens, alors j’ai continué », raconte Ali à Arabnews en français.

Dans les années 1990, Charlie Hebdo change de direction, mais Ali ne s’entend pas avec la nouvelle équipe. Il décide alors de tourner la page pour rejoindre le journal Le Monde.
Pour se démarquer des autres vendeurs dans les rues animées de Saint-Germain, il invente un style bien à lui : scander de fausses “unes” inspirées de l’actualité, avec une audace hilarante.
« Avec les unes provocantes de Charlie Hebdo, je n’avais pas besoin d’en faire plus. Mais quand j’ai commencé à vendre Le Monde, j’ai décidé de caricaturer les titres pour faire rire les gens », explique-t-il.

Son cri du jour, toujours en lien avec les événements, amuse et attire les passants :
« Les talibans sont arrivés, Marine Le Pen n’est pas contente ! »
Cette théâtralité devient sa marque de fabrique et contribue à faire de lui un personnage du quartier, aussi reconnaissable que les terrasses des cafés mythiques qu’il dessert.

Sa journée commence invariablement à 12 h 30. Ses exemplaires entassés dans le panier de son vélo, il entame une tournée bien rodée qui le mène aux Deux Magots, chez Lipp, au Flore, au Récamier, ou encore au Sauvignon… autant d’adresses où l’attendent ses clients fidèles.
Au fil des décennies, Ali est devenu un repère vivant pour des générations d’étudiants, d’intellectuels et d’habitués. Il a traversé les époques, des grandes grèves étudiantes aux mutations du paysage médiatique.

En 2016, lorsque Le Monde envisage d’arrêter la vente à la criée, l’association des anciens élèves de Sciences Po lance une pétition. Grâce à cette mobilisation, Ali trouve un arrangement avec le journal et poursuit son activité.
Il y a vingt ou trente ans, Ali pouvait vendre jusqu’à 1 000 exemplaires par jour, y compris les jours fériés. La réalité est bien différente aujourd’hui : la presse papier décline, les lecteurs se font rares.
Mais l’argent n’est plus sa motivation. Il continue de vendre Le Monde et le Journal du Dimanche « pour le plaisir ».
« J’anime le quartier, et cela me maintient en forme », affirme-t-il.

Son parcours singulier a inspiré un livre paru en 2009, illustré par quelques-uns des dessinateurs les plus connus, tels que Wolinski, Cabu et Plantu.
Il a également publié deux biographies pour raconter son itinéraire hors norme et continue à transcrire quotidiennement les péripéties de ses journées parisiennes.

« Je n’ai rien cherché, je ne pensais pas qu’un jour on me remercierait pour ça », glisse-t-il avec une modestie toute naturelle.
« Cette reconnaissance de la part de l’État français, je la perçois comme une pommade sur une blessure. »

Car malgré un parcours qui lui a permis de côtoyer les plus illustres intellectuels et politiciens français, sa vie reste marquée par de nombreuses blessures, dont la plus douloureuse est sans doute « le fait d’être un déraciné ».
Bientôt décoré par le chef de l’État, Ali ne compte pourtant pas raccrocher :
« Je continuerai à vendre pour entretenir mes relations avec le voisinage, et ma santé physique. Et mentale », affirme-t-il.