Pakistan-Inde : un équilibre stratégique fragile

Un Ranger pakistanais monte la garde au complexe du corridor de Kartarpur Sahib, qui longe la frontière entre l'Inde et le Pakistan à Kartarpur, le 22 mai 2025, après que les autorités indiennes ont fermé le corridor de leur côté à la suite de tensions frontalières. (AFP)
Un Ranger pakistanais monte la garde au complexe du corridor de Kartarpur Sahib, qui longe la frontière entre l'Inde et le Pakistan à Kartarpur, le 22 mai 2025, après que les autorités indiennes ont fermé le corridor de leur côté à la suite de tensions frontalières. (AFP)
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Publié le Mardi 03 juin 2025

Pakistan-Inde : un équilibre stratégique fragile

Pakistan-Inde : un équilibre stratégique fragile
  • Les déclarations du président américain Donald Trump ont annoncé une médiation réussie aboutissant à un cessez-le-feu entre l’Inde et le Pakistan
  • Les affirmations selon lesquelles l’un ou l’autre pays pourrait tenir six mois uniquement sur ses réserves initiales semblent irréalistes

Les tensions persistantes entre les deux voisins nucléaires, l’Inde et le Pakistan, soulèvent des questions cruciales quant à leurs capacités militaires réelles en cas de conflit majeur. Avec les progrès rapides de la technologie militaire et l’évolution des alliances mondiales - surtout dans un contexte où la guerre en Ukraine a perturbé les chaînes d’approvisionnement - des interrogations sérieuses émergent.

Chacun de ces pays pourrait-il soutenir une guerre conventionnelle intensive pendant six mois ? Quelles seraient leurs chances de neutraliser les défenses et les infrastructures vitales de l’adversaire ? Dans quelle mesure pourraient-ils compter sur un soutien étranger pour compenser leurs pertes dans un scénario aussi complexe ?

Une analyse objective de ces facteurs révèle une réalité bien plus nuancée qu’un simple décompte d’armes.

Cependant, une récente avancée a changé la donne : les déclarations du président américain Donald Trump ont annoncé une médiation réussie aboutissant à un cessez-le-feu entre l’Inde et le Pakistan. Trump a salué les deux pays pour avoir fait preuve de « bon sens et d’une grande intelligence » en choisissant de mettre fin à la crise.

Bien que cette évolution épargne à la région un conflit immédiat et généralisé, il reste essentiel de comprendre les capacités militaires sous-jacentes qui ont alimenté ces tensions, car elles pourraient resurgir à tout moment.

Les données montrent que les réserves de munitions et d’équipements jouent un rôle décisif dans la capacité d’un pays à mener une guerre prolongée. Traditionnellement, l’Inde vise à maintenir des stocks stratégiques suffisants pour 10 à 40 jours de combat intense.

Des rapports récents, depuis fin 2020, indiquent que New Delhi s’efforce de garantir des approvisionnements pour au moins 15 jours de guerre intensive, avec un objectif à plus long terme d’atteindre 40 jours, soutenu par des initiatives de production locale dans le cadre du programme « Make in India ».

Au vu de ces chiffres, l’Inde pourrait probablement soutenir une guerre de haute intensité pendant deux semaines à un peu plus d’un mois sans réapprovisionnement majeur. Cette limite a peut-être influencé sa volonté d’accepter la désescalade, consciente du coût exorbitant d’un conflit prolongé.

La situation du Pakistan semble bien plus précaire, selon des analyses récentes du renseignement et de la défense. Plusieurs sources indiquent que ses réserves de munitions d’artillerie - essentielles pour toute campagne terrestre majeure - pourraient ne durer que quatre jours (96 heures) en cas de combat intense.

Cette pénurie critique, si elle est avérée, combinée aux difficultés économiques du Pakistan, limiterait sévèrement sa capacité à soutenir une guerre conventionnelle prolongée.

La situation s’aggrave avec les rapports selon lesquels le Pakistan aurait exporté des munitions vers l’Ukraine, épuisant potentiellement encore davantage ses stocks déjà limités. Cette vulnérabilité a probablement influencé l’ouverture d’Islamabad aux efforts de médiation.

Dans ce contexte, les affirmations selon lesquelles l’un ou l’autre pays pourrait tenir six mois uniquement sur ses réserves initiales semblent irréalistes. L’Inde reste loin de cette capacité malgré ses ambitions, tandis que le Pakistan fait face à un défi existentiel sur ce plan.

Une guerre d’une telle durée exigerait une production nationale robuste et des lignes d’approvisionnement extérieures fiables. Les deux pays, ou du moins l’un d’eux, ont probablement reconnu cette réalité, augmentant ainsi les chances de négociations de paix réussies.

La destruction totale des défenses aériennes et des infrastructures militaires adverses en six mois est pratiquement impossible.

Les deux pays disposent de forces armées importantes, avec des arsenaux répartis sur de vastes territoires, rendant une annihilation complète inatteignable sans une supériorité écrasante et soutenue.

Plus réalistement, on assisterait à une dégradation considérable des capacités des deux côtés, avec des attaques ciblant les aéroports, les centres de commandement, les radars, les sites de missiles et les hubs logistiques. Le camp doté des meilleures capacités de renseignement, d’armes de précision, de systèmes de guerre électronique et d’une plus grande résilience infligerait plus de dégâts.

Une guerre d’une telle durée exigerait une production nationale robuste et des lignes d’approvisionnement extérieures fiables. Les deux pays, ou du moins l’un d’eux, ont probablement reconnu cette réalité, augmentant ainsi les chances de négociations de paix réussies.

                                                   Dr. Salem AlKetbi

Le Pakistan, avec ses réserves de munitions potentiellement limitées, pourrait voir ses défenses se détériorer plus rapidement dans un conflit prolongé sans soutien extérieur massif.

Une vulnérabilité mutuelle a peut-être contribué à l’acceptation du cessez-le-feu par les deux parties.

La dissuasion nucléaire fixe clairement des limites à l’escalade conventionnelle, car toute tentative d’éliminer complètement les capacités militaires de l’adversaire pourrait être perçue comme une menace existentielle, risquant de dégénérer en confrontation nucléaire - un scénario que les grandes puissances, comme les États-Unis, cherchent activement à éviter par des canaux diplomatiques.

La médiation américaine récente s’est avérée cruciale pour gérer les tensions entre l’Inde et le Pakistan. Cette intervention d’une superpuissance reflète l’inquiétude internationale quant à la prévention d’un conflit entre États dotés de l’arme nucléaire. Elle révèle aussi la conscience de Washington des dangers d’une escalade régionale pour la stabilité mondiale, ainsi que sa volonté de maintenir son influence dans la région et d’orienter les décisions des deux pays.

Le cessez-le-feu facilité par les États-Unis confirme que le « bon sens et la grande intelligence » évoqués par le président Trump proviennent sans doute de la reconnaissance, par les deux parties, de ces réalités implacables et des risques énormes qu’engendrerait une confrontation totale.

 

Dr. Salem AlKetbi est un politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral.

X: @salemalketbieng

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.