Israël remodèle la Cisjordanie et personne ne s'en aperçoit

 Loin des caméras et des gros titres, Israël a lancé une offensive parallèle en Cisjordanie (AFP)
Loin des caméras et des gros titres, Israël a lancé une offensive parallèle en Cisjordanie (AFP)
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Publié le Mercredi 17 septembre 2025

Israël remodèle la Cisjordanie et personne ne s'en aperçoit

Israël remodèle la Cisjordanie et personne ne s'en aperçoit
  • Cela est apparu encore plus clairement à la fin du mois d'août avec l'approbation du plan de colonisation E1
  • Il s'agit d'un bloc de construction clé qui occupera les dernières zones ouvertes de la Cisjordanie, supprimant la contiguïté entre les communautés palestiniennes du nord et du sud et scellant le destin de l'État palestinien en faillite

Depuis le 7 octobre 2023, l'attention internationale s'est concentrée, à juste titre, sur la guerre dévastatrice d'Israël contre Gaza. Les détails de ce génocide sont horribles et appellent à une intervention. Mais loin des caméras et des gros titres, Israël a lancé une offensive parallèle - moins visible mais néanmoins transformatrice - en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. Sous le couvert de la guerre, Israël accélère un programme de longue date d'annexion de facto, remodelant systématiquement la vie et la géographie des Palestiniens sans conséquences internationales.

Tout en bombardant Gaza, Israël a autorisé la violence des colons et les saisies de terres, tout en intensifiant ses restrictions de mouvement et son asphyxie économique en Cisjordanie. Il ne s'agit pas d'une coïncidence ou d'une réaction. Il s'agit plutôt d'un effort calculé pour exploiter l'attention mondiale portée à Gaza afin de promouvoir des objectifs maximalistes de longue date.

Cela est apparu encore plus clairement à la fin du mois d'août avec l'approbation du plan de colonisation E1. Il s'agit d'un bloc de construction clé qui occupera les dernières zones ouvertes de la Cisjordanie, supprimant la contiguïté entre les communautés palestiniennes du nord et du sud et scellant le destin de l'État palestinien en faillite.

Dans les mois qui ont suivi le début de la guerre, Israël a approuvé la plus importante confiscation de terres en Cisjordanie depuis les accords d'Oslo. En outre, selon Peace Now, plus de 60 communautés palestiniennes ont été déplacées entre 2022 et 2025, les colons s'emparant de 14 % de la Cisjordanie, soit plus de 780 km². Les colons établissent des avant-postes, financés par des millions de dollars de l'État et d'autres fonds, qui deviennent ensuite des bases d'attaques et de harcèlement qui rendent la vie des Palestiniens - isolés dans les zones rurales - impossible. Les attaques violentes des colons, souvent soutenues ou ignorées par l'armée, sont de plus en plus effrontées. Les militants décrivent et documentent la façon dont les colons brûlent les tentes, volent le bétail et expulsent les résidents en plein jour.

Il semble qu'il s'agisse d'un effort calculé pour exploiter l'attention mondiale portée à Gaza afin de faire avancer des objectifs maximalistes de longue date

Ghassan Khatib


Les ministres israéliens ne cachent pas leurs intentions. Orit Strock, ministre des colonies et elle-même colonisatrice, a qualifié cette période de "miracle" pour l'expansion des colonies. Le ministre des finances, Bezalel Smotrich, a déclaré que l'objectif était d'éliminer le "danger" d'un État palestinien en étendant la souveraineté israélienne à l'ensemble de la "Judée et de la Samarie", le nom israélien de la Cisjordanie. Il n'est plus question de négociation, mais de contrôle permanent.

Parallèlement à l'accaparement des terres, Israël a fortement intensifié les restrictions imposées aux déplacements des Palestiniens. Selon l'ONU, le nombre de points de contrôle militaires israéliens en Cisjordanie atteignait 849 au début de l'année 2025. Ces barrières ne fragmentent pas seulement les territoires palestiniens en cantons isolés, mais entravent également l'accès aux hôpitaux, aux écoles et aux lieux de travail. L'Organisation mondiale de la santé a recensé 791 attaques contre les infrastructures sanitaires palestiniennes en Cisjordanie entre octobre 2023 et mai 2025.

Au-delà du préjudice humanitaire, ces restrictions ont un objectif politique : la cantonisation de la Cisjordanie. En isolant les villes palestiniennes les unes des autres, Israël jette les bases de cinq "conseils régionaux" déconnectés pour les Palestiniens - faisant écho à la vision de Smotrich d'une entité palestinienne fragmentée et auto-administrée sous contrôle israélien global. Pendant ce temps, les colons se déplacent librement dans le cadre d'un système juridique et administratif distinct.

La campagne menée par Israël après le 7 octobre comprend une attaque économique sur trois fronts : empêcher les travailleurs palestiniens d'entrer en Israël, retenir les recettes fiscales palestiniennes et couper les marchés de Cisjordanie aux citoyens palestiniens d'Israël.

Ces mesures ont mis l'économie palestinienne à genoux. Le produit intérieur brut palestinien a chuté de 22 % au cours de la première année de guerre. Plus de 200 000 emplois ont disparu à Gaza et en Cisjordanie. La retenue par Israël des recettes fiscales - qui s'élèvent à plus de 1,8 milliard de dollars - a paralysé la capacité de l'Autorité palestinienne à payer les salaires. Le résultat est un affaiblissement des institutions palestiniennes sans les démanteler directement, évitant ainsi toute réaction diplomatique.

Tandis qu'Israël défend la réalité d'un seul État, la communauté internationale continue de se faire l'écho de slogans sur une solution à deux États

Ghassan Khatib


Plus récemment, les attaques contre les organisations humanitaires et la société civile se sont multipliées, avec l'entrée en vigueur d'une législation qui permet à Tel-Aviv de "désenregistrer" les groupes "hostiles" à Israël (une description si générale qu'elle n'a aucun sens), tout en exigeant d'eux qu'ils fournissent les coordonnées personnelles de tous leurs employés palestiniens. Cette mesure a mis en péril les activités de plus d'une vingtaine d'organisations internationales, qui constituent une autre source de financement et de soutien pour la société civile palestinienne.

Même les citoyens palestiniens d'Israël, dont les dépenses annuelles en Cisjordanie dépassaient autrefois 800 millions de dollars, se sont vu interdire d'y faire des achats ou d'y étudier. L'objectif n'est pas seulement économique. Un homme d'affaires palestinien de premier plan l'a dit sans ambages : "L'objectif le plus clair est de détruire indirectement les institutions palestiniennes, en particulier l'Autorité palestinienne.

Tandis qu'Israël fait progresser la réalité d'un État unique de contrôle et de domination, la communauté internationale continue de se faire l'écho de slogans sur une solution à deux États. La Belgique, la France, le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et Malte ont tous déclaré qu'ils se joindraient à 147 autres pays pour reconnaître l'État de Palestine lors de l'Assemblée générale des Nations unies ce mois-ci. Cette reconnaissance est politiquement importante, mais si elle reste purement rhétorique et sans obligation de rendre des comptes, elle pourrait faire de cette vision une simple déclaration. Un sondage réalisé en février en Israël a montré que 68 % des Israéliens sont favorables à l'annexion de la Cisjordanie et que 71 % s'opposent à la création d'un État palestinien. Il ne s'agit pas d'opinions marginales, mais d'un courant dominant.

Si la trajectoire actuelle se poursuit, la politique israélienne de longue date consistant à "créer des faits sur le terrain" se solidifiera en un apartheid permanent. Tout comme le génocide à Gaza aura des implications régionales et internationales à long terme, la guerre plus silencieuse, bureaucratique et structurelle contre la Cisjordanie est en train d'ancrer des réalités irréversibles. Israël semble profiter de l'horrible offensive à Gaza pour poursuivre son programme de liquidation de la cause palestinienne. Plus cette opération se poursuivra sans conséquences internationales, plus ses chances de succès seront grandes.

Ghassan Khatib est maître de conférences en études internationales à l'université de Birzeit et a occupé plusieurs postes au sein de l'Autorité palestinienne. Il a également fondé et dirigé le Jerusalem Media and Communications Centre.
 

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.