Pacte de défense Arabie saoudite‑Pakistan : une alliance stratégique historique

Le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed bin Salman avec le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif à Riyad. (SPA)
Le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed bin Salman avec le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif à Riyad. (SPA)
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Publié le Vendredi 19 septembre 2025

Pacte de défense Arabie saoudite‑Pakistan : une alliance stratégique historique

Pacte de défense Arabie saoudite‑Pakistan : une alliance stratégique historique
  • L’Arabie saoudite et le Pakistan ont signé un accord stratégique de défense mutuelle, affirmant qu’une attaque contre l’un sera considérée comme une attaque contre les deux — un tournant dans plus de 50 ans de coopération militaire
  • Cet accord institutionnalise des décennies de collaboration en défense et s’inscrit dans la Vision 2030, visant à renforcer les liens militaires, politiques et technologiques face aux défis régionaux et mondiaux

Plus d’un demi‑siècle de partenariat en matière de défense entre l’Arabie saoudite et le Pakistan a atteint un nouveau sommet lorsque le prince héritier Mohammed ben Salmane et le Premier ministre Shehbaz Sharif ont signé un « Strategic Mutual Defense Agreement » à Riyad, mercredi. L’accord déclare que « toute agression contre l’un des deux pays sera considérée comme une agression contre les deux. »

Le pacte de défense reflète des dispositions de sécurité collective traditionnellement associées à des alliances régionales telles que l’OTAN et le Conseil de coopération du Golfe, conçues pour dissuader d’éventuels agresseurs. Selon la déclaration conjointe, il « reflète l’engagement partagé des deux nations à renforcer leur sécurité et à réaliser la sécurité et la paix dans la région et dans le monde, vise à développer les aspects de la coopération en matière de défense entre les deux pays et à renforcer la dissuasion conjointe contre toute agression. »

L’Arabie saoudite et le Pakistan partagent une relation distinctive et durable, souvent manifestée par une solidarité exceptionnelle dans les moments critiques. Pour l’Arabie saoudite, la sécurité et la stabilité dans le Golfe arabe revêtent une importance capitale. Le Pakistan ne peut pas non plus ignorer ce facteur crucial, compte tenu de ses relations uniques avec le Royaume.

Bien que conclu peu de temps après le sommet d’urgence arabo‑islamique à Doha, l’accord marque le résultat d’années de dialogue soutenu entre les deux États alliés. Ce n’est pas une réaction à un pays ou à un événement particulier, mais l’institutionnalisation d’un partenariat profond et résilient entre Riyad et Islamabad.

La déclaration conjointe fait également référence à ce partenariat, en soulignant « intérêts stratégiques partagés et coopération étroite en matière de défense » comme fondement de l’accord, dont la véritable valeur, à mon avis, réside dans le lien historique qui existe entre l’Arabie saoudite et le Pakistan. Il porte leurs relations militaires à militaire forgées par le temps à un tout autre niveau.

L’accord représente la conclusion logique de décennies d’efforts constants et sincères des dirigeants successifs et des gouvernements, avec un soutien indéfectible du peuple saoudien comme du peuple pakistanais. Il doit donc être compris non pas seulement dans le contexte des tensions régionales actuelles mais à travers le prisme plus large de l’histoire partagée.

Cette camaraderie extraordinaire a été symbolisée visiblement mercredi, lorsque l’avion de Sharif est entré dans l’espace aérien saoudien escorté par des F‑15 de la Royal Saudi Air Force — un geste d’honneur précédemment accordé uniquement à des dirigeants tels que Donald Trump et Vladimir Poutine. La grandeur du moment a été encore soulignée par les drapeaux pakistanais décorant les rues de Riyad et les drapeaux saoudiens flottant à Islamabad. À mesure que la nouvelle se propageait, les réseaux sociaux dans les deux pays se sont illuminés de fierté et de célébration, reflétant le sentiment partagé d’assister à un jalon dans les relations bilatérales.

L'Arabie saoudite et le Pakistan partagent une relation durable, qui s'est souvent traduite par une solidarité exceptionnelle dans des moments critiques.

                                                        Dr. Ali Awadh Asseri

Ayant servi au Pakistan comme envoyé du Royaume pendant près d’une décennie, je peux facilement imaginer la profondeur du sentiment populaire, même si le pays continue de souffrir des inondations monsoonnaires dévastatrices. Pour les Pakistanais, l’Arabie saoudite occupe une place spéciale : des millions y voyagent chaque année pour le Hadj et la Omra, tandis que des millions d’autres ont contribué à la prospérité du Royaume par leur travail et leur dévouement.

Dans le cadre de la Vision 2030, le prince héritier a donné la priorité à l’approfondissement de l’engagement politique, économique, défensif et culturel de l’Arabie saoudite avec le Pakistan. Cette priorité a trouvé une réponse équivalente à Islamabad. Le maréchal de terrain Asim Munir, chef de l’armée pakistanaise, a, tout comme Sharif, entretenu des contacts réguliers avec les dirigeants saoudiens et développé des liens étroits avec le ministre de la Défense le prince Khalid ben Salmane, qui a reçu le Nishan‑e‑Pakistan l’an dernier.

Ce compact rare entre les dirigeants et le peuple est profondément enraciné dans l’histoire, antérieur tant à l’établissement du Royaume qu’à la création du Pakistan, et s’épanouit à chaque décennie qui passe. Alors que j’examine cette relation unique et sa logique sous‑jacente en détail dans mon prochain ouvrage, « Saudi Arabia and Pakistan: An Enduring Relationship in a Changing World », un bref aperçu des principales étapes dans le domaine de la défense est utile ici pour expliquer la signification historique de l’accord.

La coopération en matière de défense entre l’Arabie saoudite et le Pakistan a commencé à prendre forme dans les années 1960, sous la direction du roi Faisal et du président Ayub Khan. À ce stade, le Pakistan fournissait de la formation et du conseil à la Royal Saudi Air Force, posant les premières bases formelles d’une relation qui ne cesserait de s’étendre. En 1967, le premier accord formel de coopération en défense, signé à Islamabad par le ministre de la Défense, le prince Sultan ben Abdulaziz, marque le début du rôle soutenu du Pakistan dans la défense de l’Arabie saoudite.

Pendant la fin des années 1960 et dans les années 1970, cet accord s’est traduit par des échanges à grande échelle de personnel militaire et d’expertise. Des centaines d’officiers pakistanais servirent en Arabie saoudite comme formateurs, conseillers et ingénieurs, tandis que des milliers de soldats et d’aviateurs saoudiens furent formés au Pakistan dans le cadre de contrats structurés. Au début des années 1970, le Pakistan avait étendu sa coopération technique à l’aviation civile et aux compagnies aériennes, tout en construisant simultanément des fortifications défensives saoudiennes le long de la frontière yéménite. La coopération ne se limitait pas à la formation : elle créait le noyau d’un établissement militaire saoudien qui s’appuyait largement sur l’expérience et le professionnalisme pakistanais.

Les années 1980 ont vu une expansion majeure de l’ampleur et du champ des liens bilatéraux de défense. La turbulence régionale, notamment l’invasion soviétique de l’Afghanistan et la guerre Iran‑Irak, poussa Riyad et Islamabad à institutionnaliser leur collaboration militaire via un protocole d’accord en 1982.

Ce protocole établissait l’Organisation des Forces armées Arabie‑Saoudite‑Pakistan et autorisait le déploiement à grande échelle de forces pakistanaises en Arabie saoudite. Au plus fort, plus de 20 000 soldats pakistanais, divisions et brigades comprises, étaient stationnés dans des régions sensibles telles que Tabuk et la Province de l’Est, assurant à la fois des rôles de formation et opérationnels, tout en rassurant l’Arabie saoudite face à toute menace.

La coopération est restée stable pendant la guerre du Golfe de 1990‑91, lorsque le Pakistan dépêcha plus de 11 000 soldats en Arabie saoudite à la demande de Riyad. Ces forces furent déployées principalement dans des positions défensives pour protéger les frontières et les sites sacrés, conformément au protocole de 1982.

Il ne s'agit pas d'une évolution soudaine, mais de l'aboutissement de décennies de coopération régulière et évolutive fondée sur la confiance mutuelle. 

                                                           Dr. Ali Awadh Asseri

Dans les années 1990 et 2000, la collaboration s'est orientée vers la lutte contre le terrorisme et l'échange de renseignements, notamment dans le cadre de la lutte contre Al-Qaïda et de la gestion de l'instabilité en Afghanistan. Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 ont mis en lumière les préoccupations communes des deux États en matière de sécurité et renforcé la nécessité de poursuivre la coopération militaire et en matière de renseignement, même si les deux pays ont travaillé aux côtés des États-Unis pendant la guerre contre le terrorisme.

La dernière décennie et demie a vu une diversification supplémentaire des relations de défense, s’adaptant aux nouvelles réalités régionales et mondiales. L’ancien chef de l’armée pakistanaise, le général Raheel Sharif, a pris le commandement de la Coalition islamique militaire contre le terrorisme menée par l’Arabie saoudite en 2017, reflétant la confiance de Riyad dans le leadership du Pakistan en matière de sécurité collective. Depuis, des exercices conjoints armée, marine et force aérienne sont devenus une pratique régulière, complétée par une coopération croissante dans la production de défense et la technologie.

Le déploiement de troupes et de conseillers militaires pakistanais en Arabie saoudite s’est également poursuivi dans le cadre de l’accord de 1982, principalement dans des rôles de formation et de conseil, tandis que de nouvelles voies de collaboration dans les industries de défense ont émergé. Cette trajectoire historique montre que le nouvel accord n’est pas un développement brusque, mais l’aboutissement de décennies de coopération constante en pleine évolution, fondée sur la confiance mutuelle et des besoins sécuritaires partagés.

Il jouera un rôle critique pour assurer une défense crédible, ainsi que pour dessiner un cadre de sécurité durable pour l’avenir. L’évolution de l’environnement sécuritaire régional et les défis géopolitiques globaux exigent que Riyad et Islamabad renforcent leur coordination de défense. Les exercices conjoints, la formation avancée et la coproduction dans les industries de défense peuvent former l’épine dorsale de cette prochaine phase, s’alignant sur l’objectif de la Vision 2030 de bâtir l’autonomie de l’Arabie saoudite tout en tirant parti de l’expertise militaire aguerrie du Pakistan.

Tout aussi importante est la signification politique du pacte. Il reflète la reconnaissance du profil diplomatique croissant du Pakistan ces derniers mois. Après le retrait des États‑Unis d’Afghanistan, l’utilité stratégique du Pakistan a décliné à Washington sous la présidence de Joe Biden. Cependant, Islamabad a depuis rouvert des canaux d’engagement avec les États‑Unis sous l’administration Trump, signalant une reprise prudente des liens stratégiques, tout en maintenant son partenariat durable avec la Chine, en particulier à travers le Corridor économique Chine‑Pakistan.

Parallèlement, le Pakistan a renforcé ses relations politiques, sécuritaires et économiques avec la Turquie et l’Azerbaïdjan, tout en gagnant en visibilité dans la diplomatie multilatérale. En tant que président du Conseil de sécurité de l’ONU en juillet 2025, Islamabad a réussi à mobiliser le soutien pour une résolution sur le règlement pacifique des différends et a joué un rôle actif dans la Conférence de haut niveau de l’ONU sur la solution à deux États à New York, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite. Collectivement, ces développements ont renforcé la position du Pakistan aux yeux du Royaume et souligné la logique d’un pacte de défense contraignant.

Enfin, le pacte de défense reflète également la gratitude du Pakistan envers le soutien constant de l’Arabie saoudite en temps difficiles — que ce soit par des prêts souples, des paiements différés pour le pétrole ou une aide humanitaire et politique soutenue. Dans ce contexte, le Strategic Mutual Defense Agreement représente à la fois la continuité et le renouveau : la continuité d’une relation de défense forgée au fil des décennies et le renouveau dans l’adaptation de ce partenariat aux exigences d’un avenir incertain.

 

Le Dr Ali Awadh Asseri a occupé le poste d’ambassadeur d’Arabie saoudite au Pakistan de 2001 à 2009 et au Liban de 2009 à 2016. Il est membre du conseil d’administration de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah). Il est titulaire d’un doctorat en économie de l’Université arabe de Beyrouth et auteur du livre Combating Terrorism: Saudi Arabia’s Role in the War on Terror («Combattre le terrorisme: le rôle de l’Arabie saoudite dans la guerre contre le terrorisme»), Oxford, 2009.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com