PARIS: Vue de France, l'application du nouvel accord franco-britannique pour tenter de contrôler l'immigration s'avère plus compliquée que prévu, observent plusieurs spécialistes, plutôt sceptiques sur l'efficacité de ce dispositif présenté comme novateur.
"C'est le bazar. On est surpris de la difficulté de sa mise en oeuvre", confie à Paris, sous couvert d'anonymat, un technicien chargé de cet accord conclu en juillet lors d'une visite du président français Emmanuel Macron au Royaume-Uni.
Annoncé comme "révolutionnaire" par le Premier ministre travailliste britannique Keir Starmer, le texte prévoit le retour en France de migrants arrivés à bord de petits bateaux au Royaume-Uni, en échange de l'envoi dans le sens inverse de migrants pouvant prétendre à une régularisation sur le principe du "un pour un".
Après plusieurs annulations, "au dernier moment en raison du risque de recours juridique", relate le technicien interrogé par l'AFP, un Indien, un Erythréen ainsi qu'un Iranien ont pu finalement être expulsés en France en fin de semaine dernière. Une quatrième personne a été renvoyée en France, a indiqué mardi le Home office.
Ces migrants, accueillis en France après examen de leur profil, doivent être placés dans un centre d'hébergement "où ils seront incités à accepter l'aide au retour volontaire" proposée par l'Ofii (Office français de l'immigration et de l'intégration), avait indiqué le 13 septembre à l'AFP Didier Leschi, le directeur général de cet organisme.
Rien ne les empêche de déposer une demande d'asile et, en cas de refus, de disparaître des radars des autorités françaises, observent plusieurs sources.
- "Accord de dupe" -
Dans le sens France-Grande Bretagne, "visiblement ça coince", confie également à l'AFP un proche du dossier. L'envoi samedi du premier migrant a été annulé et devait être reporté à mardi.
Muet sur la mise en oeuvre de l'accord, le ministère de l'Intérieur français - démissionnaire dans l'attente de l'annonce d'un nouveau gouvernement - souligne que le dispositif, prévu jusqu'en juin 2026, est encore "très expérimental".
Le gouvernement britannique, sous pression de l'extrême droite et d'importantes manifestations anti-migrants, reconnait qu'il faut "intensifier le processus", mais assure de son côté qu'avec les premiers renvois ils ont "pu prouver" que le programme "fonctionne".
"C'est un accord de dupe. Des textes internationaux protègent les droits humains fondamentaux et les recours vont être nombreux", contredit Serge Slama, professeur de droit public, pour qui séparer "les bons des mauvais migrants n'a aucun sens".
Selon la Convention de Genève ratifiée par les deux Etats, il est illégal d'empêcher le dépôt d'une demande de protection internationale d'un demandeur d'asile qui aurait fui son pays en raison de persécutions.
Une demande, une fois déposée, a de vraies chances d'aboutir: les dix principales nationalités ayant demandé l'asile au Royaume-Uni ont obtenu le statut de réfugié à 72 % en 2024 et 56% en 2025, partage son confrère Yves Pascouau, doctorant en droit public.
- Objectif: 2.500 échanges -
"Quand vous avez réussi à franchir le désert, survécu à l'enfer libyen, traversé la Méditerranée et que vous apercevez les côtes britanniques, ce n'est pas l'inscription sur une plateforme informatique", démarche demandée aux prétendants à l'envoi au Royaume uni, "avec une réponse incertaine, qui va vous retenir en France", ajoute ce conseiller du think tank European Policy Centre.
"Le tuyau ouvert est extrêmement étroit et les demandes vont être nombreuses, les passages illégaux vont donc continuer", abonde une source au fait de cet accord, confirmant le chiffre de 2.500 échanges visés quand ils sont plus de 31.000, un record, à avoir traversé La Manche depuis le début de l'année sur des embarcations de fortune.
Au moins 23 migrants sont décédés dans ces traversées en 2025.
Depuis 2018, le Royaume-Uni a versé plus de 767 millions d'euros à la France pour empêcher les traversées. "Un coût extrêmement élevé avec des résultats sans proportion", relève M. Pascouau, prédisant le même destin que celui noué entre l'Union européenne et la Turquie pour retenir les réfugiés syriens en 2016.
S'il a fait d'abord considérablement baissé les arrivées en Grèce, de nouvelles voies migratoires sont apparues, et les renvois de migrants accostant en Grèce vers le voisin turc sont restés très faibles: 2.140 entre 2016 et 2020, selon un rapport de la commission européenne de 2021.