Avec la nouvelle administration Biden, la Turquie craint le pire

Joe Biden avec Antony Blinken. (Reuters)
Joe Biden avec Antony Blinken. (Reuters)
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Publié le Lundi 25 janvier 2021

Avec la nouvelle administration Biden, la Turquie craint le pire

Avec la nouvelle administration Biden, la Turquie craint le pire
  • Les premiers signes pessimistes entre la Turquie et les États-Unis sont venus d'une personne clé de la nouvelle administration Biden la semaine dernière
  • Une tempête s’approche peut-être, mais les dégâts qu'elle causera sont encore difficiles à prévoir

Les premiers signes pessimistes entre la Turquie et les États-Unis sont apparus venant d'une personne clé de la nouvelle administration Biden la semaine dernière. En effet, Antony Blinken, le secrétaire d'État désigné, a déclaré mardi à propos de la Turquie: «L'idée qu'un de nos partenaires stratégiques – prétendument stratégiques – serait, en réalité, en phase avec l'un de nos plus grands concurrents stratégiques en Russie n'est pas acceptable.» Et il ne s'est pas arrêté là. Lors de son audition de confirmation à la commission des relations étrangères du Sénat américain, il a fait savoir qu'après avoir évalué l'impact des sanctions actuelles sur la Turquie, Washington devait déterminer si davantage de pression était nécessaire.

Blinken est connu pour ses critiques à l'égard de la Turquie, mais le fait qu’il fasse référence à un allié de l'Otan comme un «prétendu partenaire stratégique» avant même qu’il ait pris ses fonctions suggère qu'Ankara aura fort à faire avec cette nouvelle administration. Le secrétaire d’État désigné ne voudra certainement pas admettre la possibilité que la Turquie entretienne de bonnes relations avec les États-Unis et avec la Russie.

Le général à la retraite Lloyd Austin, un autre personnage clé de la nouvelle équipe de Biden, est maintenant secrétaire à la Défense. En 2013, il a été nommé chef du commandement central de l’armée américaine (Centcom), chargé de la défense des intérêts américains au Moyen-Orient, en Asie centrale et en Asie du Sud. Il a coopéré avec la Turquie dans le cadre du programme américain de formation et d'équipement, ainsi que pour lutter contre Daech en Syrie, mais ce programme s'est finalement transformé en un échec. Les combattants de l'opposition armée syrienne ont été formés en Turquie puis ils ont été envoyés en Syrie dans douze véhicules équipés de mitrailleuses; mais, dès qu'ils ont traversé la frontière, plusieurs combattants ont remis leurs camions, leurs armes et leurs munitions au ront Al-Nosra.

Après ce revers, Austin s'est tourné vers les combattants kurdes, malgré la forte opposition de la Turquie, parce que les États-Unis les jugeaient plus fiables et les considéraient comme de meilleurs combattants. Lors d'une audition au Sénat en septembre 2015, Austin a été le premier responsable militaire américain à admettre que les États-Unis étaient engagés avec les combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) et qu'ils fournissaient aux Kurdes des services de conseil ainsi qu’une assistance.

Austin a pris sa retraite en 2016 mais, tout en commandant le Centcom, il a joué un rôle crucial dans l'armement des combattants kurdes. Étant devenu un haut fonctionnaire responsable de la mise en œuvre des plans militaires américains, non seulement au Moyen-Orient, mais partout dans le monde, la Turquie a des raisons d’être inquiète.

Le troisième haut fonctionnaire dont la nomination n’a pas réjoui la Turquie est Brett McGurk, le représentant spécial de la Maison Blanche pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Il est considéré comme l’artisan de la politique menée par les États-Unis avec les Kurdes syriens. Les médias turcs ont publié des observations critiques concernant ses relations avec les dirigeants des Kurdes syriens.

 

Austin étant devenu un haut fonctionnaire responsable de la mise en œuvre des plans militaires américains, la Turquie a des raisons d’être inquiète.

Yasar Yakis

 

Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale de la Maison blanche, est un autre nom qui a pu, dans le passé, inspirer des doutes à la Turquie. Dans un article qu'il a rédigé en 2017, il a comparé l'arrestation par la Turquie de certains des membres du personnel de l'ambassade américaine en Turquie à une «prise d'otage» et il a sévèrement critiqué les opérations militaires menées par Ankara contre les Kurdes en Irak. Il a également reproché à l'ancien président américain Donald Trump de ne pas avoir été assez dur envers le président turc, Recep Tayyip Erdogan, ni envers le Parti de la justice et du développement au pouvoir. Il a en outre suggéré qu’on inflige des sanctions aux responsables turcs impliqués dans la corruption ainsi qu’aux responsables de l'industrie de la défense.

Le dernier nom, mais non des moindres, est celui du président Joe Biden lui-même. Il a critiqué la Turquie à de nombreuses reprises. En tant que sénateur, il a parrainé ou soutenu de nombreuses résolutions contre les intérêts de la Turquie.

Des précisions sur la politique iranienne de Biden nous en diront plus sur l’avenir des relations entre la Turquie et les États-Unis. Ankara n'aime peut-être pas être utilisée comme un pion dans la politique iranienne de Washington, mais elle ne peut pas s'opposer à la coopération trilatérale avec les États-Unis et l'Irak. La Turquie a besoin de la coopération de l’Irak pour maintenir la pression sur le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), désigné comme une organisation terroriste par les États-Unis. Ainsi, Washington peut coopérer avec la Turquie en Irak afin de mettre davantage de pression sur l'Iran. Une telle coopération ne signifierait pas que les États-Unis renonceraient à leur coopération avec les Kurdes syriens.

En outre, en raison de sa longue carrière dans la fonction publique, Biden est conscient de l’importance de la Turquie pour la communauté euro-atlantique. Par conséquent, il sera en mesure de peser les avantages et les inconvénients de toute mesure qui pourrait contrarier la Turquie.

Il existe également d'autres noms, mais les personnes mentionnées ci-dessus sont celles qui devraient prendre des décisions exécutives qui affecteront la Turquie d'une manière ou d'une autre.

L'élection présidentielle américaine du mois de novembre a été étroitement surveillée en Turquie, et la bureaucratie turque a dû prévoir plusieurs scénarios pour les négociations futures. Indépendamment de l’attitude négative que les personnes nommées par Biden ont pu avoir dans le passé, l’un des avantages est que la plupart d’entre elles connaissent assez bien la Turquie. Elles essaieront probablement de garder Ankara sous contrôle, sans courir le risque de la perdre en tant qu'allié.

Une tempête s’approche peut-être, mais les dégâts qu'elle causera sont encore difficiles à prévoir.

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com