L'économie turque est en passe de corriger les erreurs du passé

Le président Recep Tayyip Erdogan (Photo fournie).
Le président Recep Tayyip Erdogan (Photo fournie).
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Publié le Mercredi 06 décembre 2023

L'économie turque est en passe de corriger les erreurs du passé

L'économie turque est en passe de corriger les erreurs du passé
  • Après les élections de mai, Erdogan a procédé à un important remaniement de l’administration chargée des affaires économiques pour redresser une économie en difficulté
  • Bien que des signes de reprise rapide ne se manifestent pas encore, l'économie turque ne montre pas de détérioration significative

Lorsque l'économie turque était en plein essor au cours des premières années de l’arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement (PJD) du président Recep Tayyip Erdogan, ce dernier n’a accordé qu’un intérêt de pure forme à la bonne gestion de l'économie. En effet, l'AKP avait hérité des règles solides introduites par Kemal Dervis, l'ancien vice-président de la Banque mondiale pour la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, qui avait été invité en Turquie pour redresser son économie en difficulté.

M. Dervis a assumé les fonctions de ministre turc des Finances et du Trésor en 2001 et 2002, une période durant laquelle le Parti républicain du peuple (CHP), principal parti d'opposition, était aux commandes du pays. Après l'accession d'Erdogan au pouvoir, ce dernier a continué à soutenir les politiques de M. Dervis. Bien que le passage de M. Dervis au ministre de l'Économie ait été relativement bref – de mars 2001 à août 2002 –, il bénéficiait toutefois d'une expérience professionnelle solide avec une carrière de vingt-deux ans à la Banque mondiale à son actif.

Lorsque l'AKP a remporté une victoire écrasante aux élections de novembre 2002, Erdogan ne voulait pas défaire les bases solides que Dervis avait posées. Pendant plus d'une décennie et demie, l'économie turque a ainsi réussi à se maintenir. Cependant, elle a commencé à vaciller lorsque les règles introduites par Dervis sont devenues obsolètes.

Il y a deux ans, le gouvernement d'Erdogan a instauré un nouveau système qui a entraîné une détérioration supplémentaire de l'économie nationale. Il s'agissait du programme de «dépôts protégés contre le taux de change». Selon ce mécanisme, les prêteurs aux banques ne subiraient pas d’impact négatif des fluctuations de la valeur de la livre turque par rapport à d’autres devises. Il s'agit là d'une dérogation à l’une des règles d’or de l'économie.

Si le taux de change évoluait en faveur de la devise étrangère, la banque mettrait à jour le taux de change en fonction de la nouvelle valeur de la livre turque. Cette méthode favorise les segments plus riches de la société turque, car ils peuvent bénéficier de l'augmentation de la valeur de la devise étrangère sans subir de perte de valeur de la livre turque. En d'autres termes, ceux qui peuvent placer de l'argent sur leurs comptes bancaires sont protégés de la dépréciation de la livre turque, tandis que les segments plus pauvres de la société sont les perdants.

Ainsi, le système de dépôt protégés par le taux de change a accentué davantage le déséquilibre au détriment des segments défavorisés de la société. Il a fallu plus d'un an pour que le gouvernement prenne conscience de cette réalité. Après les élections de mai 2023, Erdogan a procédé à un important remaniement de l’administration chargée des affaires économiques. Deux économistes se sont démarqués parmi ces nominations: Mehmet Simsek, redevenu ministre des Finances, et Hafize Gaye Erkan, la nouvelle gouverneure de la Banque centrale.

Simsek était une figure clé au sein de l'AKP, mais ses opinions ne concordaient pas systématiquement avec celles d'Erdogan. Issu d'une famille kurde du sud-est de la Turquie, près de la frontière syrienne, il est le benjamin de huit frères et sœurs au sein d'une famille modeste. Ses parents ne parlaient pas turc, et c'est à l'école qu'il a appris la langue. Il a brillamment obtenu son diplôme de la Faculté de sciences politiques de l'université d'Ankara, se classant deuxième de sa promotion. Fondée en 1859 à l'époque ottomane, cette institution avait pour vocation de former les hauts fonctionnaires.

Simsek était une figure clé au sein de l'AKP, mais ses opinions ne concordaient pas systématiquement avec celles d'Erdogan

Yasar Yakis

Lors de son premier mandat comme ministre des Finances, Simsek a élaboré la politique fiscale du gouvernement d'Erdogan. Il a ainsi aidé la Turquie à se remettre de la crise financière mondiale de 2008. Il a simplifié les réglementations fiscales, renforcé les droits des contribuables et contribué à réduire l'économie souterraine.

En outre, il a travaillé en tant qu'économiste en chef et stratège pour la région de l'Europe émergente, du Moyen-Orient et de l'Afrique chez Merrill Lynch à Londres pendant sept ans. 

En 2013, il a été désigné comme l'une des 500 personnes les plus influentes au monde par le magazine américain Foreign Policy et a été nommé ministre des Finances de l'année pour l'Europe émergente en 2013 par le magazine Emerging Markets.

Simsek s'est farouchement opposé à la politisation des transactions de la Banque centrale. Lorsque Erdogan a compris que la Banque centrale devait rester au-dessus des considérations politiques, il a de nouveau frappé à la porte de Simsek. Ce dernier a hésité un moment avant d'accepter d'être finalement  reconduit dans ses fonctions de ministre des Finances. Il semble que Simsek n’ait pas voulu assumer la responsabilité d'un nouvel effondrement de l'économie turque.

Voyant que l'économie risquait de s'effondrer si elle était confiée à des incompétents, Erdogan a décidé d'accepter les conditions posées par Simsek. Ce dernier n'a pas promis de miracles, mais a plutôt insisté sur l’application des principes fondamentaux de l'économie. Bien que des signes de reprise rapide ne se manifestent pas encore, il est à noter que l'économie turque ne montre pas de détérioration significative. Il est important de souligner le rôle crucial de la confiance dans le domaine économique.

La nomination d'Erkan comme gouverneure de la Banque centrale a constitué une étape cruciale dans le redressement de l'économie turque, alors qu'elle se trouvait au bord du gouffre. Recrutée par Goldman Sachs aux États-Unis en 2005, Erkan a acquis une expérience significative au cours de ses neuf années de service avant d'être transférée en 2014 à la First Republic Bank. Elle y a occupé le poste de présidente de la division des investissements et coprésidente du département de gestion des risques. Son parcours exceptionnel l'a conduite à la présidence de la division des dépôts en juin 2016, puis à la présidence du conseil d'administration de la banque en 2017. Durant son mandat, la valeur totale de la First Republic Bank a connu une augmentation notable, passant de 97,7 milliards de dollars (un dollar = 0,92 euro) en 2017 à 181 milliards de dollars en 2021.

Ces deux nominations ont profondément modifié le cours de l’économie turque. Rien de tangible ne s'est encore produit depuis leur entrée en fonction, mais les prévisions sont optimistes pour l'avenir. Si Erdogan n’intervient pas à nouveau avec des règles peu orthodoxes, en vue des élections locales prévues en mai prochain, on peut s’attendre à une reprise progressive d'ici au milieu de l'année prochaine.

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de la Turquie et membre fondateur du parti AK au pouvoir.

X : @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com