L’explosion de plus de 2700 tonnes de nitrate d’ammonium au port de Beyrouth mardi prouve que la gestion déplorable causée par une piètre gouvernance peut être mortelle. Existe-il des conditions immédiates recommandées pour empêcher qu’une telle catastrophe se produise à nouveau ?
Dans toute la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (Mena), des dizaines de ports reçoivent du matériel qui pourrait exploser s’il n’était pas gardé ou s’il était négligé par les autorités portuaires et leurs équipes. Il y a dans la région des ports où l’on pense que les douanes ont une présence ferme, alors que certaines zones appartiennent à des compagnies et à des groupes qui, en dépit de la responsabilité sécuritaire imposée, ferment les yeux lorsqu’il s’agit de contrebande.
Bien que les ports de la région Mena soient tous supposés relever des autorités de leur propre État, ou de la responsabilité et de la protection des douanes à un niveau régional, d’autres autorités sont supposées être responsables de la sécurité du port. Mais la législation n’est pas toujours mise en pratique à l’intérieur du port. Les caméras de surveillance biométrique et le contrôle des marchandises représentent des démarches positives, mais la protection n’est pas assurée à 100%. Nous savons que les compagnies de navigation et les flottes de marine marchande transportent ce qui peut devenir des cargaisons controversées.
Il est important de savoir que lorsqu’un navire est soupçonné de changement de pavillon ou de nom, ou qu’il est susceptible de transporter du matériel explosif, les transporteurs essaient souvent d’éviter les autorités légales. Ce qui est arrivé à Beyrouth, avec une telle quantité de nitrate d’ammonium se trouvant dans un entrepôt depuis six ans au moins, est dû à un échec systémique de la responsabilisation du port et à une défaillance de la capacité de contrôle, de manière sûre, ainsi que de l’entreposage des installations portuaires.
Les opérations commerciales maritimes du Royaume-Uni et BIMCO - la plus grande des associations maritimes internationales – sont deux institutions qui traquent les activités illicites. Ces groupes ont des données qui suivent les bateaux et, lors d’un changement de pavillon, peuvent savoir où se trouve le propriétaire. Si le nom du propriétaire apparaît sur une liste, le bateau peut alors être l’objet d’inspections.
D’un point de vue légal, la question est de savoir quel est le nombre de bateaux sur le réseau de la chaîne logistique autour de la péninsule Arabique qui changent de nom, et qui met en place les règles que les États-Unis, l’Europe ou un autre pays ont établies. Le propriétaire d’un bateau pourrait figurer sur la liste d’Interpol, et il existe donc un écart entre la légalité et ce qui se passe réellement. À titre exemple, le Yémen est un échiquier multidimensionnel où se déroulent des flux et reflux de succès et d’échecs, qui sont typiques pour un champ de bataille lorsque plusieurs parties sont présentes.
Ce qui s’est passé à Beyrouth est dû à un échec systémique de la responsabilisation du port.
Les craintes des opérateurs portuaires concernant les menaces sécuritaires proviennent de deux sources : leurs propres gouvernements et les bateaux présents dans le port. Les opérateurs portuaires font partie de la chaîne logistique, mais sont en même temps en concurrence les uns avec les autres pour des contrats, de façon particulière durant cette période de pandémie du coronavirus. Cet élément se trouve au cœur des relations commerciales dans de nombreux pays de la zone Mena.
La sécurité portuaire dans la région ne tombe nécessairement sous la juridiction fédérale ou nationale. Elle est soumise à la juridiction des autorités portuaires elles-mêmes, et à leurs dirigeants en raison de la nature de la politique, de la société ainsi que de la mobilité ascendante dans les pays arabes en termes de gestion et d’infrastructure. Il est important de savoir que de nombreux dirigeants de ports de la zone Mena perçoivent la menace d’une gestion défaillante des marchandises.
La sécurité des ports de la zone Mena ne concerne pas uniquement la sécurité au sein du port lui-même, mais également le contrôle des marchandises arrivant au port. Les analyses sur la sécurité portuaire de la région Mena à la suite du désastre qui s’est produit à Beyrouth devraient être effectués au cas par cas.
Il est nécessaire de mettre en place un système de contrôle des navires offshore dans un contexte plus large dans la région, tandis que de récentes activités de navigation illicites mettent en évidence la nécessité d’une future responsabilisation du secteur entier. Les ports et leur sécurité ne sont pas très bien connectés à cause de la nature des relations politiques, chaque port pouvant essayer de gérer uniquement ses propres responsabilités. Les fonctions de commande et de contrôle entre les ports signifient que ces personnes ne se parlent tout simplement pas.
Enfin, dans un sens, augmenter la sécurité portuaire signifie davantage de responsabilités et de contrôle sur la marchandise existante. Actuellement, les décisions sont prises en se basant sur ce que l’une ou l’autre compagnie maritime offre et paie, dans le cas où le port est capable de réaliser des bénéfices et dans le cas où le port est considéré comme sûr, de sorte que les taux d’assurance sont plus bas. Il y a également une autre face à cela qui implique les formalités ainsi que le contenu du navire. Ce dernier pourrait ne pas être admis dans un port, tandis que les navires pourraient faire une course effrénée ailleurs. Il y a parfois des cas où les opérateurs portuaires ou la direction des quais ferment les yeux du fait de la valeur de la marchandise.
De plus, la technologie aide à sécuriser les ports à travers des systèmes de rayons X et des serrures codées et sécurisées sur les conteneurs. Mais le système n’est pas uniforme. Le contrôle des marchandises dans la zone Mena montre différents exemples de succès et d’échecs. Quand on voit des transporteurs livrer des palettes de façon illicite et non organisée, il s’agit d’activités hors des normes légales et de registres comptables laxistes dans nombres de ces ports.
Dans l’ensemble, les normes dans les ports internationaux des pays de la zone Mena et particulièrement autour des ports de la Méditerranée sont plutôt bonnes. Beyrouth a peut-être été le maillon faible de la chaîne, comme le démontre clairement sa mauvaise gestion et l’entreposage défaillant. Dans cinq ou dix ans, le port de Beyrouth et son environnement pourront être bien différents, pour le mieux. En attendant, les autres ports ont besoin d’une analyse sécuritaire immédiate.
Dr. Theodore Karasik est conseiller auprès de Gulf State Analytics à Washington D.C. Il occupait le poste de politologue principal auprès de RAND Corporation. Il a vécu dix ans aux Émirats arabes unis, se concentrant sur les questions sécuritaires.
Twitter :@tkarasik
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français
Ce texte est la traduction d'un article paru sur ArabNews.com










