Rafik Boussa: la loi de finances 2021 a été élaborée dans un contexte inédit

Rafik Boussa, président Grant Thornton Algérie. (Photo fournie)
Rafik Boussa, président Grant Thornton Algérie. (Photo fournie)
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Publié le Mardi 16 février 2021

Rafik Boussa: la loi de finances 2021 a été élaborée dans un contexte inédit

  • La loi de finances 2021 a été élaborée dans un contexte de situation sanitaire inédit, lié à la pandémie de Covid-19, qui a fortement affecté le monde économique
  • La loi de finances 2021 a corrigé une inégalité fiscale qui concerne certains opérateurs économiques actifs dans des secteurs dont la marge est réglementée

PARIS : Rafik Boussa, président de Grant Thornton Algérie, répond aux questions d’Arab News en français sur les dispositifs de la loi de finances 2021. Il évoque en particulier la fiscalité des entreprises et les contraintes liées, notamment dans le secteur privé, à l’externalisation et à l’exportation des biens et des services ainsi qu’à la réglementation en vigueur sur les modalités de paiement des transactions financières. 

Considérez-vous que les dispositions de la loi de finances 2021 sont peu favorables aux entreprises, notamment en cette période de crise sanitaire mondiale?

La loi de finances 2021, au même titre que la loi de finances complémentaire 2020, a été élaborée dans un contexte de situation sanitaire inédit, lié à la pandémie de Covid-19, qui a fortement affecté le monde économique. Comment trouver l’équilibre face à une forte réduction des recettes fiscales, notamment dans le domaine de la fiscalité pétrolière, après la baisse de la production et des prix du baril du pétrole, tout en faisant face à un niveau de dépenses qui reste élevé en matière de fonctionnements et d’équipements ? 

Certaines dispositions de la loi de finances 2021 sont favorables aux entreprises, d’autres à l’administration fiscale. Par exemple, l’annulation des pénalités de recouvrement pour le paiement de l’intégralité de la dette fiscale avant la fin de 2021 est une mesure pour encourager les entreprises qui ont une dette fiscale, à condition de procéder au paiement de cette dette en une seule fois. Le paiement intégral en une fois peut poser des difficultés, dans ce contexte de tension persistante sur la liquidité. Toutefois, il y a lieu de noter que les pénalités d’assiette restent exigibles. 

La loi de finances 2021 prévoit également un élargissement de la période d’échéancier de paiement qui passe de 36 à 60 mois avec un versement initial minimum de 10% du montant de la dette fiscale. Cette mesure vise à soulager la trésorerie des entreprises qui ont contracté une dette fiscale en leur offrant la possibilité de convenir d’un calendrier étalé sur cinq ans. 

La loi de finances 2021 a corrigé une inégalité fiscale qui concerne certains opérateurs économiques actifs dans des secteurs dont la marge est réglementée. Par exemple, un distributeur de sachets de lait dont le prix est fixé par voie réglementaire. Ils étaient soumis à un taux d’imposition sur le chiffre d’affaires de 12%. Or, leur marge bénéficiaire est réglementée (elle doit être inférieure à 5%). Désormais, l’imposition à l’IFU (impôt forfaitaire unique) sera calculée sur la marge réglementée et non sur le chiffre d’affaires. Cette catégorie devrait être totalement exonérée dès lors que la marge brute est fixée par l’État (dans ce cas, elle est inférieure à 5 %).

Vous avez évoqué les avantages accordés à l’administration fiscale. Pouvez-vous nous en citer quelques-uns? 

On trouve dans cette loi plusieurs mesures favorables à l’administration fiscale, notamment en matière d’obligations déclaratives et de procédures fiscales. On peut citer la prorogation des délais de vérification sur place pour le cas de force majeure «crise sanitaire-confinement», accordée à l’administration fiscale sans qu’elle le soit au contribuable.

On trouve aussi des mesures et des obligations telles que les pénalités sanctionnant le retard des télédéclarations qui ne prennent pas en compte la situation réelle du système Jibayatic (le portail des déclarations fiscales en ligne), qui pose parfois des problèmes en raison du blocage des lignes relatives aux obligations déclaratives des contribuables, ni les difficultés d’accès au site durant les derniers jours de l’échéance de télédéclaration.

Qu’en est-il des mesures pour encourager la production nationale?

La loi de finances 2021 a prévu l’exonération des opérations d’importation des graines de soja destinées à la production de l’huile raffinée ordinaire. Les importateurs-transformateurs de sucre roux et d’huile brute de soja sont tenus, dans un délai de dix-huit mois à compter du 1er janvier 2021, soit d’entamer le processus de production de ces matières premières, soit de les acquérir sur le marché national. En cas de non lancement du processus, les opérateurs économiques concernés perdent le bénéfice de la compensation et des exonérations douanières, fiscales et parafiscales à l’importation. La mise en place d’un dispositif pour encourager la production de l’huile brute de soja est à saluer. En revanche, et au-delà des aspects fiscaux, il y a lieu de s’intéresser à la faisabilité économique de produire en Algérie certains articles comme le sucre. En effet, il faut entre cent et trois cents litres d'eau pour obtenir 1 kilo de sucre, alors que l’Algérie est sous stress hydrique…

Quels sont les dispositifs fiscaux les plus contraignants pour les entreprises, plus particulièrement pour celles du secteur privé?

On peut citer les obligations supplémentaires de déclaration annuelle en ligne, ainsi que le nombre très important de données à porter sur ces dernières, en plus de l’authentification de l’identifiant fiscal et du numéro RCS (registre du commerce et des sociétés), les contribuables concernés par la déclaration de l’état des clients doivent même mentionner le service gestionnaire du dossier de chacun de leurs clients. Ainsi, les contribuables qui relèvent des inspections se trouvent dans l’obligation de consacrer une journée par mois à la déclaration et au paiement de leurs impôts.

Quelles sont les actions prioritaires à mettre en œuvre pour favoriser les exportations des entreprises algériennes sur les marchés régionaux et internationaux?

Il faut une politique volontariste pour l’export au profit de tous les acteurs économiques, qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales, pour les produits ou les services. L’aspect fiscal n’est qu’un levier parmi d’autres. Il faut des dispositifs plus soutenus comme la définition de filières prioritaires, l’identification des marchés cibles, la création de zones franches, la création d’une team export au niveau institutionnel comme les chambres de commerce, les sections business au niveau du réseau consulaire à l’étranger…

Les services, qui représentent déjà 50% du revenu mondial et 70% des emplois, deviennent aussi un élément important du commerce international. Les exportations de services, qui comptent pour près d’un quart de l’ensemble, jouent désormais un rôle central dans l’économie mondiale, grâce, en grande partie, aux progrès de la technologie.

Pour revenir à la loi de finances, elle a élargi les avantages liés à l’exonération fiscale des exportations réalisées par les personnes physiques au même titre que les personnes morales. 

En revanche, pour bénéficier de cette exonération fiscale quand il s’agit d’un service, il faut que le service en question soit rendu ou consommé à l’étranger. En d’autres termes, une activité de service, rendue et/ou consommée en Algérie, même si le règlement a été effectué, en Algérie, en devises, ne sera pas éligible à l’exonération fiscale, et ne pourrait pas non plus bénéficier d’un règlement en devises, car les revenus de cette opération sera convertie en totalité en dinars. 

Enfin, je rappelle que les exportateurs bénéficient de l’encaissement de leurs recettes d’exportation avec 50% du montant en dinars, 30% en devise sur le compte de la société (personne morale), les 20% restants sont encaissés en devise sur un compte portant la mention exportateur.   

Comment y remédier? 

Dans un contexte d’érosion des réserves de changes, nous recommandons que toute opération génératrice de devises pour le pays soit éligible à l’exonération fiscale dès lors que le rapatriement a été fait auprès d’une banque en Algérie, indépendamment du fait que le service soit rendu et/ou consommé en Algérie ou à l’étranger. Il est aussi recommandé de réserver aux autres activités génératrices de devises, hors exportations de biens, qu’une partie de leurs recettes soit encaissée en devises, ce qui permettra, à ces opérateurs de pouvoir les utiliser dans le développement de leurs activités qui permettraient de générer des flux plus importants en devises. 

Pouvez-vous évoquer le secteur bancaire et la réglementation en vigueur concernant les modalités de transactions commerciales à l’international?

La loi de finances 2021 a prévu une disposition relative au paiement à terme des importations. En dehors des opérations d’importation à caractère vital pour l’économie nationale comme les produits stratégiques, alimentaires de large consommation, ayant un caractère d’urgence pour l’économie nationale ou encore ceux qui sont importés par l’État ou par les entreprises publiques économiques (EPE), le règlement des importations s’effectue au moyen d’un instrument de paiement dit «à terme» payable quarante-cinq jours à compter de la date d’expédition des marchandises. 

L‘objet de cette mesure consiste à adapter les modes opératoires de financement des opérations du commerce extérieur en exigeant pour des catégories d’opérations à risques un mode de financement dont le transfert de devises correspondant ne sera fait qu’après épuisement d’un délai de sûreté financière. Ce dernier permet aux services des douanes de s’assurer de la conformité stricte des marchandises importées à l’égard des documents commerciaux, financiers, techniques y afférant.

Le traitement différent et avantageux réservé par cette disposition aux entreprises publiques a suscité la réaction d’opérateurs privés qui se sentent lésés, voire privés du traitement privilégie octroyé aux EPE.
 

À propos de Grant Thornton International

Grant Thornton International, un cabinet structuré autour de cinq métiers – audit, conseil, services d’externalisation, fiscalité et services juridiques –, accompagne les grandes entreprises dans le développement de leurs activités dans un contexte de mutations multiples.

Implanté dans 130 pays, Grant Thornton International emploie 2 000 collaborateurs en France, dont 107 associés et 56 000 professionnels de l’audit et du conseil à travers le monde. En Afrique, Grant Thornton est également présent en Afrique, au Maroc, en Tunisie, au Sénégal, en Algérie, en Égypte et en Libye. 


La France se dit « prête à concourir à la sécurité des distributions alimentaires » à Gaza

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. (Photo AFP)
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot. (Photo AFP)
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  • La France, ainsi que l'Europe, "se tiennent prêtes à contribuer à la sécurité des distributions alimentaires" dans la bande de Gaza en guerre, a déclaré samedi le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, sur LCI.
  • Le ministre n’a pas précisé la nature exacte de cette assistance, mais a exprimé sa "colère" face aux "500 personnes" ayant perdu la vie lors de distributions alimentaires récentes à Gaza.

PARIS : La France, ainsi que l'Europe, "se tiennent prêtes à contribuer à la sécurité des distributions alimentaires" dans la bande de Gaza en guerre, a déclaré samedi le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, sur LCI.

Cette initiative viserait à répondre à la préoccupation israélienne concernant le détournement de l’aide humanitaire par des groupes armés, faisant allusion au Hamas sans le nommer.

Le ministre n’a pas précisé la nature exacte de cette assistance, mais a exprimé sa "colère" face aux "500 personnes" ayant perdu la vie lors de distributions alimentaires récentes à Gaza.

Israël a partiellement assoupli fin mai un blocus total imposé depuis début mars, qui avait provoqué de graves pénuries de nourriture, médicaments et autres biens essentiels.

Un mécanisme de distribution piloté par la "Fondation humanitaire de Gaza" (GHF), soutenue par Israël et les États-Unis, a été mis en place, mais ses opérations ont donné lieu à des scènes chaotiques et meurtrières.

Selon le ministère de la Santé du Hamas, près de 550 personnes ont été tuées et plus de 4 000 blessées dans les files d’attente depuis le lancement des opérations de la GHF fin mai.

La Défense civile de Gaza a par ailleurs rapporté vendredi la mort de 80 personnes dans des frappes ou tirs israéliens, dont 10 tuées alors qu’elles attendaient de l’aide humanitaire. L’armée israélienne nie catégoriquement avoir tiré sur des civils dans ces circonstances et examine ces allégations.

Après un cessez-le-feu entré en vigueur mardi avec l’Iran, le chef d’état-major israélien, le lieutenant-général Eyal Zamir, a indiqué que l’armée restait concentrée sur Gaza "pour ramener les otages et démanteler le régime du Hamas".

La guerre a débuté avec une attaque sans précédent du Hamas dans le sud d’Israël le 7 octobre 2023, qui a fait 1 219 morts israéliens, principalement civils, selon un décompte AFP basé sur des données officielles. Parmi eux, 49 personnes ont été enlevées à Gaza, dont 27 déclarées mortes par l’armée israélienne.

De leur côté, plus de 56 412 Palestiniens, majoritairement civils, ont péri lors des représailles militaires israéliennes dans la bande de Gaza, selon le ministère de la Santé du Hamas, chiffres jugés fiables par l’ONU.


La France entend jouer "un rôle central" sur le nucléaire iranien

Des amendements ont assoupli le texte initial, en permettant que les drapeaux puissent être hissés à proximité des mairies ou sur leurs toits et surtout en exemptant les communes de moins de 1 500 habitants de l'obligation de pavoisement, pour des raisons financières (Photo, AFP).
Des amendements ont assoupli le texte initial, en permettant que les drapeaux puissent être hissés à proximité des mairies ou sur leurs toits et surtout en exemptant les communes de moins de 1 500 habitants de l'obligation de pavoisement, pour des raisons financières (Photo, AFP).
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  • "Si l'Iran refuse de négocier de bonne foi un encadrement strict et durable de son programme nucléaire,a déclaré le ministre.
  • Le mécanisme de réimposition des sanctions expirera le 18 octobre 2025.

PARIS : La France et ses principaux partenaires européens entendent jouer "un rôle central" dans les négociations sur le nucléaire iranien, en raison notamment de leur capacité à réimposer des sanctions contre Téhéran, a averti samedi le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, sur LCI.

"Si l'Iran refuse de négocier de bonne foi un encadrement strict et durable de son programme nucléaire, la France, avec ses partenaires européens, peut, par une simple lettre, rétablir l'embargo mondial sur les armes, les équipements nucléaires, ainsi que sur les banques et les assurances", a-t-il déclaré.

Ce pouvoir de réactiver les sanctions appartient à chacun des signataires de l'accord de Vienne de 2015, appelé JCPOA ("Joint Comprehensive Plan of Action"), à savoir la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Chine et la Russie ,à l’exclusion des États-Unis, qui s'en sont retirés en 2018 sous la présidence de Donald Trump.

"C'est pourquoi nous jouons un rôle central dans ces négociations", a insisté M. Barrot, exprimant le souhait qu’un dialogue s’instaure entre l’Iran et les États-Unis, "qui tienne compte des exigences qui sont les nôtres" concernant l’activité nucléaire iranienne, soupçonnée par une grande partie de la communauté internationale de viser l’arme nucléaire, ce que Téhéran dément.

Le mécanisme de réimposition des sanctions expirera le 18 octobre 2025.

M. Barrot a également souligné que "ces derniers mois, le sort de nos otages a été au cœur des discussions avec les autorités iraniennes", en référence à Cécile Kohler, 40 ans, et à son compagnon Jacques Paris, arrêtés en mai 2022 à la fin d’un voyage touristique en Iran et accusés d’espionnage. Paris les considère comme des "otages" et réclame leur libération immédiate.

"J'ai demandé récemment qu’un contact soit établi avec eux, par notre consulat ou leurs familles. J’attends toujours une réponse claire, et je dois dire que je commence à m’impatienter", a-t-il ajouté. "Nous continuerons à accentuer la pression. Et comme vous avez sans doute pu le constater, nous disposons de leviers considérables vis-à-vis de l'Iran", a conclu le ministre.


Au Maroc, un projet ambitieux pour connecter le Sahel à l'Atlantique

Construction du port atlantique de Dakhla, situé à 40 km au nord de la ville de Dakhla, dans une zone relevant de la compétence de la commune rurale d'El-Argoub à Dakhla, dans le Sahara occidental contesté, principalement contrôlé par le Maroc, le 26 mai 2025 (Photo par Abdel Majid BZIOUAT / AFP)
Construction du port atlantique de Dakhla, situé à 40 km au nord de la ville de Dakhla, dans une zone relevant de la compétence de la commune rurale d'El-Argoub à Dakhla, dans le Sahara occidental contesté, principalement contrôlé par le Maroc, le 26 mai 2025 (Photo par Abdel Majid BZIOUAT / AFP)
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  • L'« Initiative Atlantique », annoncée en novembre 2023 par le roi du Maroc, vise à donner au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad, tous enclavés, un accès à l'océan.
  • Cette annonce intervient dans un contexte géopolitique mouvant : entre 2020 et 2023, des coups d'État ont frappé ces trois pays.

MAROC : Le projet colossal de permettre aux pays du Sahel d'accéder à sa façade atlantique via des milliers de kilomètres de corridors logistiques terrestres est poursuivi par le Maroc, non sans défis, dans une région en pleine recomposition et minée par les violences jihadistes.

L'« Initiative Atlantique », annoncée en novembre 2023 par le roi du Maroc, vise à donner au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad, tous enclavés, un accès à l'océan. Un projet qui, selon Mohammed VI, « transformera substantiellement l'économie de ces pays et de toute la région ».

Rabat ferait ainsi d'une pierre plusieurs coups : étendre son influence en Afrique, développer le territoire disputé du Sahara occidental dont la majeure partie est contrôlée par le Maroc mais revendiqué par les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par l'Algérie, et damer le pion à Alger dont les relations avec le Mali, le Niger et le Burkina se sont dégradées.

Cette annonce intervient dans un contexte géopolitique mouvant : entre 2020 et 2023, des coups d'État ont frappé ces trois pays, et les régimes militaires qui y ont pris le pouvoir ont tourné le dos à l'Occident pour se rapprocher de la Russie.

Au même moment, certaines décisions de l'Union africaine et d'organismes régionaux comme la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) contribuaient à isoler les nouveaux régimes.

Or, fin avril à Rabat, le ministre des Affaires étrangères du Niger, Bakary Yaou Sangaré, a affirmé que le Maroc était « l'un des tout premiers pays auprès de qui on a trouvé la compréhension, au moment où la CEDEAO et d'autres pays étaient sur le point de nous livrer la guerre ».

Au regard de la situation, « l'initiative royale est une aubaine pour nos pays », a-t-il assuré après avoir été reçu par Mohammed VI en compagnie des ministres des Affaires étrangères du Burkina et du Mali. 

Actuellement, pour ses échanges commerciaux, l'AES s'appuie sur des ports situés dans plusieurs pays de la CEDEAO (Bénin, Togo, Sénégal, Côte d'Ivoire, Ghana), mais les tensions régionales peuvent compliquer l'accès à ces ports.

Le projet intervient également à un moment où les relations entre l'AES et son voisin algérien se tendent : les pays de l'alliance ont récemment rappelé leurs ambassadeurs à Alger, accusant les autorités algériennes d'avoir abattu un drone malien.

En outre, selon Beatriz Mesa, professeure à l'université internationale de Rabat, les mécanismes sécuritaires européens tels que Barkhane ou Takuba ont « échoué » en Afrique.

Le Maroc, qui se positionne dans une « triangularité » avec l'Afrique et l'Occident, est en train de « rentabiliser ces échecs en se positionnant comme partenaire fiable de l'Europe dans le Sud global », analyse-t-elle.

Après les grandes annonces, reste la question de la faisabilité et du financement. 

D'après la revue Afrique(s) en mouvement, qui réunit plusieurs experts, des pays comme les États-Unis, la France ou des États du Golfe, qui ont publiquement soutenu l'initiative marocaine, sont de potentiels bailleurs pour ce projet colossal.

Selon Abdelmalek Alaoui, président de l'Institut marocain d'intelligence stratégique (Imis), un réseau terrestre entre le Maroc et le Tchad, qui passerait par la Mauritanie, pourrait coûter près d'un milliard de dollars (environ 930 millions d'euros).

Le tracé reste pour l'instant flou, mais le Tchad, qui semble « un peu en retrait » dans le projet par rapport à l'AES, est distant de quelque 3 000 kilomètres du Maroc, souligne Seidik Abba, président du Centre international d'études et de réflexions sur le Sahel (CIRES). 

Il y a donc « encore des étapes à franchir », puisque pour l'instant, le « réseau routier ou ferroviaire n'existe pas », dit cet expert nigérien, relevant aussi le manque de parc automobile dans la région.

Selon Rida Lyammouri du Policy Center for the New South, un groupe de réflexion marocain, « une nouvelle route terrestre » entre le Maroc et la Mauritanie est « presque finalisée », et Nouakchott mène des travaux sur son territoire pour garantir la continuité du corridor.

Mais la question des routes dépend surtout de la sécurité au Sahel. « Si vous avez des escarmouches, de facto, vos travaux s'arrêtent », pointe M. Alaoui, alors que la région est en proie à des attaques persistantes de groupes jihadistes.

Concernant l'import-export, le futur port en eau profonde « Dakhla Atlantique », conçu dans le cadre du développement du Sahara occidental, sera mis à disposition de l'initiative marocaine.

Lancé fin 2021, ce chantier de 1,2 milliard d'euros, situé à El Argoub, au cœur du territoire, affiche un taux d'avancement de 38 %. La fin des travaux est prévue pour 2028.