PARIS : Rafik Boussa, président de Grant Thornton Algérie, répond aux questions d’Arab News en français sur les dispositifs de la loi de finances 2021. Il évoque en particulier la fiscalité des entreprises et les contraintes liées, notamment dans le secteur privé, à l’externalisation et à l’exportation des biens et des services ainsi qu’à la réglementation en vigueur sur les modalités de paiement des transactions financières.
Considérez-vous que les dispositions de la loi de finances 2021 sont peu favorables aux entreprises, notamment en cette période de crise sanitaire mondiale?
La loi de finances 2021, au même titre que la loi de finances complémentaire 2020, a été élaborée dans un contexte de situation sanitaire inédit, lié à la pandémie de Covid-19, qui a fortement affecté le monde économique. Comment trouver l’équilibre face à une forte réduction des recettes fiscales, notamment dans le domaine de la fiscalité pétrolière, après la baisse de la production et des prix du baril du pétrole, tout en faisant face à un niveau de dépenses qui reste élevé en matière de fonctionnements et d’équipements ?
Certaines dispositions de la loi de finances 2021 sont favorables aux entreprises, d’autres à l’administration fiscale. Par exemple, l’annulation des pénalités de recouvrement pour le paiement de l’intégralité de la dette fiscale avant la fin de 2021 est une mesure pour encourager les entreprises qui ont une dette fiscale, à condition de procéder au paiement de cette dette en une seule fois. Le paiement intégral en une fois peut poser des difficultés, dans ce contexte de tension persistante sur la liquidité. Toutefois, il y a lieu de noter que les pénalités d’assiette restent exigibles.
La loi de finances 2021 prévoit également un élargissement de la période d’échéancier de paiement qui passe de 36 à 60 mois avec un versement initial minimum de 10% du montant de la dette fiscale. Cette mesure vise à soulager la trésorerie des entreprises qui ont contracté une dette fiscale en leur offrant la possibilité de convenir d’un calendrier étalé sur cinq ans.
La loi de finances 2021 a corrigé une inégalité fiscale qui concerne certains opérateurs économiques actifs dans des secteurs dont la marge est réglementée. Par exemple, un distributeur de sachets de lait dont le prix est fixé par voie réglementaire. Ils étaient soumis à un taux d’imposition sur le chiffre d’affaires de 12%. Or, leur marge bénéficiaire est réglementée (elle doit être inférieure à 5%). Désormais, l’imposition à l’IFU (impôt forfaitaire unique) sera calculée sur la marge réglementée et non sur le chiffre d’affaires. Cette catégorie devrait être totalement exonérée dès lors que la marge brute est fixée par l’État (dans ce cas, elle est inférieure à 5 %).
Vous avez évoqué les avantages accordés à l’administration fiscale. Pouvez-vous nous en citer quelques-uns?
On trouve dans cette loi plusieurs mesures favorables à l’administration fiscale, notamment en matière d’obligations déclaratives et de procédures fiscales. On peut citer la prorogation des délais de vérification sur place pour le cas de force majeure «crise sanitaire-confinement», accordée à l’administration fiscale sans qu’elle le soit au contribuable.
On trouve aussi des mesures et des obligations telles que les pénalités sanctionnant le retard des télédéclarations qui ne prennent pas en compte la situation réelle du système Jibayatic (le portail des déclarations fiscales en ligne), qui pose parfois des problèmes en raison du blocage des lignes relatives aux obligations déclaratives des contribuables, ni les difficultés d’accès au site durant les derniers jours de l’échéance de télédéclaration.
Qu’en est-il des mesures pour encourager la production nationale?
La loi de finances 2021 a prévu l’exonération des opérations d’importation des graines de soja destinées à la production de l’huile raffinée ordinaire. Les importateurs-transformateurs de sucre roux et d’huile brute de soja sont tenus, dans un délai de dix-huit mois à compter du 1er janvier 2021, soit d’entamer le processus de production de ces matières premières, soit de les acquérir sur le marché national. En cas de non lancement du processus, les opérateurs économiques concernés perdent le bénéfice de la compensation et des exonérations douanières, fiscales et parafiscales à l’importation. La mise en place d’un dispositif pour encourager la production de l’huile brute de soja est à saluer. En revanche, et au-delà des aspects fiscaux, il y a lieu de s’intéresser à la faisabilité économique de produire en Algérie certains articles comme le sucre. En effet, il faut entre cent et trois cents litres d'eau pour obtenir 1 kilo de sucre, alors que l’Algérie est sous stress hydrique…
Quels sont les dispositifs fiscaux les plus contraignants pour les entreprises, plus particulièrement pour celles du secteur privé?
On peut citer les obligations supplémentaires de déclaration annuelle en ligne, ainsi que le nombre très important de données à porter sur ces dernières, en plus de l’authentification de l’identifiant fiscal et du numéro RCS (registre du commerce et des sociétés), les contribuables concernés par la déclaration de l’état des clients doivent même mentionner le service gestionnaire du dossier de chacun de leurs clients. Ainsi, les contribuables qui relèvent des inspections se trouvent dans l’obligation de consacrer une journée par mois à la déclaration et au paiement de leurs impôts.
Quelles sont les actions prioritaires à mettre en œuvre pour favoriser les exportations des entreprises algériennes sur les marchés régionaux et internationaux?
Il faut une politique volontariste pour l’export au profit de tous les acteurs économiques, qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales, pour les produits ou les services. L’aspect fiscal n’est qu’un levier parmi d’autres. Il faut des dispositifs plus soutenus comme la définition de filières prioritaires, l’identification des marchés cibles, la création de zones franches, la création d’une team export au niveau institutionnel comme les chambres de commerce, les sections business au niveau du réseau consulaire à l’étranger…
Les services, qui représentent déjà 50% du revenu mondial et 70% des emplois, deviennent aussi un élément important du commerce international. Les exportations de services, qui comptent pour près d’un quart de l’ensemble, jouent désormais un rôle central dans l’économie mondiale, grâce, en grande partie, aux progrès de la technologie.
Pour revenir à la loi de finances, elle a élargi les avantages liés à l’exonération fiscale des exportations réalisées par les personnes physiques au même titre que les personnes morales.
En revanche, pour bénéficier de cette exonération fiscale quand il s’agit d’un service, il faut que le service en question soit rendu ou consommé à l’étranger. En d’autres termes, une activité de service, rendue et/ou consommée en Algérie, même si le règlement a été effectué, en Algérie, en devises, ne sera pas éligible à l’exonération fiscale, et ne pourrait pas non plus bénéficier d’un règlement en devises, car les revenus de cette opération sera convertie en totalité en dinars.
Enfin, je rappelle que les exportateurs bénéficient de l’encaissement de leurs recettes d’exportation avec 50% du montant en dinars, 30% en devise sur le compte de la société (personne morale), les 20% restants sont encaissés en devise sur un compte portant la mention exportateur.
Comment y remédier?
Dans un contexte d’érosion des réserves de changes, nous recommandons que toute opération génératrice de devises pour le pays soit éligible à l’exonération fiscale dès lors que le rapatriement a été fait auprès d’une banque en Algérie, indépendamment du fait que le service soit rendu et/ou consommé en Algérie ou à l’étranger. Il est aussi recommandé de réserver aux autres activités génératrices de devises, hors exportations de biens, qu’une partie de leurs recettes soit encaissée en devises, ce qui permettra, à ces opérateurs de pouvoir les utiliser dans le développement de leurs activités qui permettraient de générer des flux plus importants en devises.
Pouvez-vous évoquer le secteur bancaire et la réglementation en vigueur concernant les modalités de transactions commerciales à l’international?
La loi de finances 2021 a prévu une disposition relative au paiement à terme des importations. En dehors des opérations d’importation à caractère vital pour l’économie nationale comme les produits stratégiques, alimentaires de large consommation, ayant un caractère d’urgence pour l’économie nationale ou encore ceux qui sont importés par l’État ou par les entreprises publiques économiques (EPE), le règlement des importations s’effectue au moyen d’un instrument de paiement dit «à terme» payable quarante-cinq jours à compter de la date d’expédition des marchandises.
L‘objet de cette mesure consiste à adapter les modes opératoires de financement des opérations du commerce extérieur en exigeant pour des catégories d’opérations à risques un mode de financement dont le transfert de devises correspondant ne sera fait qu’après épuisement d’un délai de sûreté financière. Ce dernier permet aux services des douanes de s’assurer de la conformité stricte des marchandises importées à l’égard des documents commerciaux, financiers, techniques y afférant.
Le traitement différent et avantageux réservé par cette disposition aux entreprises publiques a suscité la réaction d’opérateurs privés qui se sentent lésés, voire privés du traitement privilégie octroyé aux EPE.
À propos de Grant Thornton International
Grant Thornton International, un cabinet structuré autour de cinq métiers – audit, conseil, services d’externalisation, fiscalité et services juridiques –, accompagne les grandes entreprises dans le développement de leurs activités dans un contexte de mutations multiples.
Implanté dans 130 pays, Grant Thornton International emploie 2 000 collaborateurs en France, dont 107 associés et 56 000 professionnels de l’audit et du conseil à travers le monde. En Afrique, Grant Thornton est également présent en Afrique, au Maroc, en Tunisie, au Sénégal, en Algérie, en Égypte et en Libye.