Hypothèse, probabilité, rumeurs, jugement, deux poids, deux mesures

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Publié le Jeudi 04 mars 2021

Hypothèse, probabilité, rumeurs, jugement, deux poids, deux mesures

Hypothèse, probabilité, rumeurs, jugement, deux poids, deux mesures
  • Ceux qui s’attendaient à trouver des preuves de la complicité de l’Arabie saoudite dans l’affaire du 11 septembre ont été profondément déçus: il n’y en avait aucune
  • Ceux qui ne connaissent pas les méthodes employées au Camp X-Ray devraient lire le livre Guantanamo Diary de Mohamedou Ould Slahi

Le président américain, Joe Biden, a bien fait de publier le rapport de la CIA sur le meurtre de Jamal Khashoggi.

Son ancien patron, le président Barack Obama, a également bien fait de publier les vingt-huit pages du rapport de la Commission du 11 septembre, que le président George W. Bush avait classé secret.

Ceux qui s’attendaient à trouver des preuves de la complicité de l’Arabie saoudite dans l’affaire du 11 septembre ont été profondément déçus: il n’y en avait aucune.

Cette révélation récente remet en question l’hypothèse de ses auteurs.

Cette hypothèse évoque le fait qu’il est «tout a fait improbable que des responsables saoudiens aient mené une opération de cette envergure sans l’autorisation du prince héritier Mohammed ben Salmane». C'est comme si je disais que, en raison de la fameuse discipline des forces armées américaines, il totalement improbable que les auteurs des atrocités commises dans la prison d'Abou Ghraib les aient perpétrés sans l'autorisation du secrétaire à la défense Donald Rumsfeld ou du général Peter Pace. Après tout, selon le chef du bureau du webzine Salon, Sidney Blumenthal, c'est le général William G. Boykin qui, sous les ordres de Rumsfeld, a conseillé au chef du Camp X-Ray à Guantanamo, le général Geoffrey Miller, d’appliquer les mêmes méthodes de torture à Abou Ghraib et au système pénitentiaire irakien.

Boykin est tristement célèbre pour avoir dit : «Mon dieu était plus grand que le sien. Je savais que mon dieu était un vrai dieu et que le sien était une idole», faisant référence à Allah. Rumsfeld a défendu Boykin, le décrivant comme «un officier au parcours exemplaire dans les forces armées américaines».

Ceux qui ne connaissent pas les méthodes employées au Camp X-Ray devraient lire le livre Guantanamo Diary de Mohamedou Ould Slahi ou voir le film inspiré du livre et intitulé The Mauritanian.

Le livre comme le film détaillent les tortures qu'il a subies, notamment l'isolement, les humiliations sexuelles, les coups et les menaces de mort. Il y a été détenu pendant quatorze ans sans inculpation ni procès.

 

Je me souviens de la conclusion de la CIA selon laquelle Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive.

Prince Turki Al-Faisal

L’hypothèses de la CIA dit également que le prince héritier aurait «facilité l’assassinat». Comment de tels propos peuvent-ils confirmer la culpabilité du prince héritier? C’est un mystère pour moi. Le terme «juger» est également utilisé de manière très subjective.

Pour couronner toutes ces conjectures, suppositions, ouï-dire et présomptions, on trouve la supposition selon laquelle le prince héritier «considérait Khashoggi comme une menace pour le Royaume et qu’il encourageait fortement le recours à des mesures violentes, au besoin, pour le faire taire». Sur quoi cela est-il basé? A-t-il affirmé cela aux auteurs du document? La CIA l'a-t-elle enregistré en train de dire cela à quelqu’un?

Je me souviens de la conclusion de la CIA selon laquelle Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive, qui a conduit à l’invasion de l’Irak en 2003. Les retombées de cette supposition se font encore sentir jusqu’à aujourd’hui. J’aurais imaginé qu'après cette démonstration singulièrement incompétente d'analyse et de collecte de renseignements, la CIA aurait révisé ses capacités d'évaluation, qui n’ont pas été de bon augure, ni pour nos amis américains, ni pour nous, qui partageons avec eux d'autres intérêts.

La manière dont ils concluent à la culpabilité du prince héritier serait risible si elle ne ternissait pas sa personnalité et ne permettait à nos ennemis communs de s’en faire joyeusement l’écho dans leur propagande contre nous.

D'un autre côté, le double jeu que pratiquent les membres du Congrès américain avec cette hypothèse erronée est trop flagrant pour être occulté. Où est était leur indignation lorsque la citoyenne américaine Rachel Corrie fut écrasée par un bulldozer israélien? Ou que des centaines d'enfants palestiniens pacifiques furent abattus par des tireurs d'élite israéliens?

Où sont l’indignation et les sanctions lorsque l'Iran assassine des dissidents en Europe, en Turquie et ailleurs? Je ne vois aucune indignation de leur part au sujet de de l’avion civil ukrainien abattu par l’Iran. Et, pour revenir à leur accusation de violations des droits de l'homme, qu'en est-il de leur financement continu du Camp X-Ray à Guantanamo? Il y a encore des dizaines de prisonniers incarcérés là-bas, sans inculpation ni procès, torturés comme l’a été Slahi, qui ne savent pas quand leurs épreuves finiront.

La franchise et la transparence de Biden sont bien accueillies par nos dirigeants. Je suis sûr qu'ils les lui rendent. Après tout, c'est à cela que servent les amis.

Le prince Turki Al-Faisal est l’ancien directeur général de l’agence de renseignement saoudienne et un ancien ambassadeur. Il est également le fondateur et l’administrateur de la King Faisal Foundation (Fondation du roi Faisal) et président du King Faisal Center for Research and Islamic Studies (Centre de recherche et d’études islamiques du roi Faisal).

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com