Au Tigré, les habitants de Wukro souffrent toujours de la guerre

Une femme adossée à une maison criblée d’impact de balles, à Wukro le 1er mars (Photo, AFP).
Une femme adossée à une maison criblée d’impact de balles, à Wukro le 1er mars (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 17 mars 2021

Au Tigré, les habitants de Wukro souffrent toujours de la guerre

  • Le conflit a peu à peu défiguré Wukro, localité autrefois animée, connue pour son patrimoine religieux et archéologique
  • Le conflit a peu à peu défiguré Wukro, localité autrefois animée, connue pour son patrimoine religieux et archéologique

WUKRO: Kibrom Hailu n'était pas très inquiet lorsqu'en février son fils de 15 ans a quitté, pour un match de volley, le domicile familial de Wukro, dans l'Est de la région éthiopienne du Tigré.

Des manifestations avaient bien agité cette localité quelques jours plus tôt - des jeunes avaient brûlé des pneus, en protestation contre le Premier ministre Abiy Ahmed qui a lancé une opération militaire contre les autorités de la région début novembre -, mais son fils, Henok, ne s'en était pas mêlé. Il avait aussi promis de ne pas s'éloigner.

Quand Kibrom a entendu les coups de feu, il était trop tard : le corps du garçon était étendu sur le chemin longeant leur maison.

L'adolescent est l'un des 18 civils tués ce jour-là par des soldats éthiopiens, selon le collège Sainte-Marie de Wukro qui documente depuis le début du conflit au Tigré les violences contre les civils. 

Henok est mort plus de deux mois après que Abiy, prix Nobel de la paix en 2019, a proclamé le 28 novembre la fin des combats et affirmé que la vie reprenait son cours au Tigré.

« La guerre s'intensifie. Maintenant, elle se concentre sur les civils », assure pourtant Kibrom, confirmant les propos d'autres habitants.

Le conflit a peu à peu défiguré Wukro, localité autrefois animée, connue pour son patrimoine religieux et archéologique.

Des bombardements ont d'abord rasé des maisons et des boutiques. Sur la principale artère commerçante s'alignent devantures brisées et étals vides. Depuis la prise de la ville par les forces progouvernementales, des soldats - d'abord érythréens, désormais principalement éthiopiens - patrouillent à chaque coin de rue, se montrant violents.

« Nous recevons constamment des patients blessés par la guerre », raconte Adonai Hans, le directeur médical de l'hôpital de Wukro. « Si quelqu'un dit (...) qu'il n'y a pas de guerre au Tigré, je considère que c'est une blague ».

« Fils de la junte »

L'intervention militaire éthiopienne visait à renverser le parti au pouvoir dans la région, le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), dont Addis Abeba a accusé les forces d'avoir attaqué des bases de l'armée fédérale.

Lorsque, plusieurs semaines plus tard, les habitants de Wukro ont compris que leur ville allait tomber, beaucoup ont fui dans les montagnes environnantes, observant avec horreur les bombes tomber sur leurs maisons.

De retour chez eux, ce fut encore pire : des soldats de l'Erythrée voisine - intervenus pour prêter main-forte à l'armée fédérale éthiopienne, selon de multiples témoignages -, avaient pillé maisons, banques et usines et tué de nombreux jeunes hommes suspectés d'être des sympathisants de la « junte » du TPLF, racontent des sources médicales et religieuses.

« Tuer, c'est un peu leur travail quotidien. Ils ne se rendent même pas compte qu'ils tuent des gens », dit à propos des militaires érythréens un responsable de l'Eglise catholique de Wukro, qui ne souhaite pas donner son nom par peur de représailles.

Nebiyu Kiflom, un vendeur de matériaux de construction, était chez lui avec ses six colocataires - dont trois de ses frères - lorsque des soldats érythréens ont franchi la porte, une nuit de la fin novembre.

« Ils ont dit : Vous êtes les fils de la junte », se souvient Nebiyu, le seul de la maison à ne pas avoir été tué cette nuit-là. « On était juste assis à la maison. On ne faisait rien ». Il est resté trois jours enfermé avec les corps avant de trouver le courage de sortir chercher de l'aide.

Dès début décembre, de très nombreux jeunes hommes avaient été tués à Wukro, dont 81 sont enterrés derrière une église orthodoxe.

« Nous avons vu les corps de nos propres yeux. Nous les avons enterrés », raconte Gebrehana Hailemariam, le prêtre.

« Notre maison »

Quand les exactions ont commencé, les habitants n'avaient presque pas accès aux soins médicaux, bombardements et pillages ayant détruit 75% de l'hôpital et de ses équipements, poursuit Adonai, le directeur médical.

Il était fermé lorsqu'en décembre, Elisabeth Gebrekidan a accouché de jumelles, puis a souffert d'une hémorragie post-partum, raconte son frère Elias. Il a supplié un soldat de le laisser louer une ambulance pour l'amener à Mekele, la capitale régionale.

« Il m'a dit : Hors de ma vue, tu es un fils de la junte », se souvient Elias, dont le visage se remplit de larmes.

Quatre jours plus tard, Elisabeth mourait chez elle. Elias élève désormais les petites Tsion et Roda, avec l'aide de sa mère.

Dans les couloirs de l'hôpital, qui a partiellement rouvert, on croise des rescapées de viols - qui attendent parfois des semaines, voire des mois, avant d'être soignées - et des civils, dont les blessures fraîches témoignent de la persistance des combats.

Ainsi, Meles, 45 ans, qui a récemment reçu une balle dans la cuisse droite, raconte comment des soldats érythréens ont ouvert le feu fin février dans sa ville d'Agula, au sud de Wukro, en réponse à une attaque de forces pro-TPLF.

« Les combats continuent », dit-il. « La communauté internationale doit agir maintenant avant que ce soit trop tard, avant qu'on ne disparaisse ».

L'armée éthiopienne n'a pas répondu aux demandes de commentaires, mais le gouvernement a déjà démenti que des civils aient été tués au Tigré, tout comme il nie - ainsi qu'Asmara - la présence de soldats érythréens, malgré les témoignages d'habitants, de travailleurs humanitaires, de diplomates et de membres de l'administration intérimaire de la région, nommée par le gouvernement fédéral.

A Wukro, ces dénégations font rire jaune. Plus que tout, les habitants veulent voir les soldats partir.

« Ils ne devraient pas rester même une nuit de plus », lâche Nebiyu, le vendeur de matériaux de construction. « C'est chez nous. C'est là que nous vivons. Sinon nous allons devoir partir ».


Pont effondré à Baltimore: les corps de deux des six ouvriers retrouvés

Le pont Francis Scott Key, effondré, se trouve au sommet du porte-conteneurs Dali à Baltimore, dans le Maryland, le 27 mars 2024. (AFP)
Le pont Francis Scott Key, effondré, se trouve au sommet du porte-conteneurs Dali à Baltimore, dans le Maryland, le 27 mars 2024. (AFP)
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  • Les corps repêchés ont été identifiés comme ceux de deux hommes âgés de 35 et 26 ans, originaires du Mexique et du Guatemala
  • En raison de la quantité de béton et de débris, «les plongeurs ne sont plus en mesure de se frayer un chemin en sécurité» vers «ce que nous pensons être les véhicules piégés», dit la police

BALTIMORE: Les corps sans vie de deux des six ouvriers recherchés ont été repêchés mercredi des eaux glacées du port de Baltimore, sur la côte Est américaine, ont annoncé les autorités, au lendemain de l'effondrement spectaculaire d'un pont percuté par un porte-conteneurs.

"Des plongeurs ont localisé un pick-up rouge à environ 7.6 mètres de profondeur", a annoncé lors d'un point presse, la police du Maryland, l'Etat où se situe Baltimore. "Deux victimes du drame étaient prisonnières du véhicule".

Les corps repêchés ont été identifiés comme ceux de deux hommes âgés de 35 et 26 ans, originaires du Mexique et du Guatemala, qui faisaient partie de l'équipe d'ouvriers présente sur la chaussée du pont Francis Scott Key au moment de l'accident.

Les corps de quatre de leurs collègues, tous présumés morts, n'ont eux pas encore été retrouvés, ont ajouté les autorités.

Mais, en raison notamment de la quantité de béton et de débris, "les plongeurs ne sont plus en mesure de se frayer un chemin en sécurité" vers "ce que nous pensons être les véhicules piégés", a déclaré Roland Butler, de la police du Maryland.

Les secours vont donc chercher à retirer la structure de l'eau pour faciliter l'accès aux plongeurs, a-t-il précisé.

Les autorités avaient averti mardi soir qu'elles ne pensaient pas pouvoir "retrouver ces individus encore en vie", alors que deux membres de leur équipe avaient été secourus peu après le drame.

Les victimes, originaires d'Amérique latine selon la presse américaine, réparaient des nids de poule sur le pont lorsqu'il s'est écroulé dans le fleuve Patapsco.

«Pas conçu pour résister»

L'agence américaine de sécurité des transports (NTSB) a fourni mercredi une chronologie détaillée de la tragédie, basée sur l'analyse préliminaire de l'enregistreur de données du porte-conteneurs.

Long de 300 mètres pour 48 mètres de largeur, le Dali, battant pavillon singapourien, a quitté le quai du port de Baltimore mardi à 0H39 (04H39 GMT) à destination de l'Asie, a indiqué Marcel Muise, enquêteur du NTSB, lors d'une conférence de presse.

À 1H24 locales, des alarmes ont commencé à retentir à bord du navire, signalant des problèmes de propulsion. Le pilote a rapidement informé les autorités portuaires par radio que le navire se dirigeait vers le pont, et a demandé l'intervention de remorqueurs.

L'appel à l'aide a été également reçu par deux équipes de l'autorité locale des transports qui se trouvaient sur le pont en raison des travaux. Ces dernières ont alors fermé toutes les voies de circulation, sauvant ainsi probablement des vies.

Puis, à 1H29, l'enregistreur du navire a enregistré des "sons correspondant à la collision".

Le pont, emprunté chaque jour par des dizaines de milliers de véhicules, s'est alors effondré tel un château de cartes, des pans entiers de la structure se retrouvant sur le bateau.

Des images impressionnantes de vidéosurveillance montrent le porte-conteneurs dévier de son cap, heurter une pile du pont inauguré en 1977 puis s'écrouler.

Pour le ministre américain des Transports Pete Buttigieg, "ce type de pont (...) n'a tout simplement pas été conçu pour résister à un choc direct contre pilier de soutien essentiel".

L'équipage avait tenté en vain de ralentir la course du navire en jetant l'ancre.

L'enquête préliminaire montre qu'il s'agit d'un accident, selon les autorités.

«Coût de la reconstruction»

Le président Joe Biden s'est engagé à ce que "l'Etat fédéral paie la totalité du coût de la reconstruction" du pont, qui porte le nom de l'auteur des paroles de l'hymne national américain, en admettant que cela prendrait du temps.

"Nous serons aux côtés des habitants de Baltimore aussi longtemps qu'il le faudra", a-t-il encore assuré mercredi soir sur le réseau social X.

Car l'enjeu est aussi économique: ce pont à quatre voies, long de 2,6 km, est situé sur un axe nord-sud crucial pour l'économie de la côte Est des Etats-Unis.

Pour l'heure, le transport maritime y est "suspendu jusqu'à nouvel ordre", selon les autorités. Le port de Baltimore est le neuvième du pays en termes d'activité et génère plus de 15.000 emplois.

Le Dali est "stable" et ne représente pas de danger pour l'environnement et le public, en dépit de la présence à bord de 5,6 milliards de litres de diesel et de quelques conteneurs de matières dangereuses, a assuré mercredi Peter Gautier, responsable des gardes-côtes.

Deux conteneurs, sur un total de 4,700, sont tombés à l'eau.

Le navire est exploité par la société maritime Synergy Group et affrété par le géant danois du transport maritime Maersk.

Les autorités portuaires de Singapour ont déclaré mercredi qu'il avait passé avec succès deux inspections en 2023 et qu'une jauge de contrôle de la pression du carburant défectueuse avait été réparée en juin.

Les autorités chiliennes avaient signalé en 2023 un défaut dans les machines du navire, une anomalie rapidement réparée selon elles.


Mer de Chine méridionale: nouvel échange acerbe entre Manille et Pékin

Cette photo prise le 5 mars 2024 montre un navire des garde-côtes chinois dans la mer de Chine méridionale contestée. (AFP)
Cette photo prise le 5 mars 2024 montre un navire des garde-côtes chinois dans la mer de Chine méridionale contestée. (AFP)
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  • Samedi, trois soldats philippins ont été blessés lors d'un accrochage avec les garde-côtes chinois, qui ont bloqué leur navire
  • Pékin revendique la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, y compris des eaux et des îles proches des côtes de plusieurs pays voisins

MANILLE: La Chine et les Philippines ont échangé jeudi de nouvelles accusations après de nouveaux accrochages en mer de Chine méridionale, où les deux pays ont des revendications concurrentes.

Samedi, trois soldats philippins ont été blessés lors d'un accrochage avec les garde-côtes chinois, qui ont bloqué leur navire et l'ont endommagé à l'aide de puissants canons à eau au large d'un des récifs disputés, l'atoll Second Thomas.

"Nous ne cherchons pas à entrer en conflit avec quelque nation que ce soit, en particulier avec les nations qui prétendent être nos amies, mais nous ne nous laisserons pas réduire au silence, à la soumission ou à l'asservissement", a déclaré jeudi dans un communiqué le président philippin Ferdinand Marcos.


Le nombre de migrants ayant traversé la Manche à un niveau record depuis janvier

Le navire des forces frontalières britanniques « Defender », transportant des migrants récupérés en mer alors qu'ils tentaient de traverser la Manche depuis la France, revient à la marina de Douvres, dans le sud-est de l'Angleterre, le 17 janvier 2024 (Photo, AFP).
Le navire des forces frontalières britanniques « Defender », transportant des migrants récupérés en mer alors qu'ils tentaient de traverser la Manche depuis la France, revient à la marina de Douvres, dans le sud-est de l'Angleterre, le 17 janvier 2024 (Photo, AFP).
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  • Selon des chiffres publiés mercredi par le ministère britannique de l'Intérieur, 4 644 personnes, toutes nationalités confondues, ont effectué cette périlleuse traversée au premier trimestre
  • En 2023, près de 30 000 migrants ont au total traversé illégalement la Manche

LONDRES: Plus de 4.600 migrants ont rejoint l'Angleterre par la Manche illégalement à bord de canots depuis le 1er janvier, un record pour les trois premiers mois de l'année malgré les promesses du gouvernement conservateur de mettre fin à ces dangereuses traversées.

Selon des chiffres publiés mercredi par le ministère britannique de l'Intérieur, 4.644 personnes, toutes nationalités confondues, ont effectué cette périlleuse traversée au premier trimestre, soit une augmentation de 23% par rapport à la même période l'année dernière (3.700).

Le dernier record avait été établi en 2022 avec 4.548 traversées entre début janvier et fin mars.

Rien que mardi, 338 personnes ont gagné les côtes anglaises dans ces embarcations, le plus souvent des canots pneumatiques chargés de dizaines de passagers.

Depuis le début de l'année, au moins sept migrants, dont une fillette de sept ans et un adolescent de 14 ans, sont morts en mer et sur un canal en tentant de rejoindre l'Angleterre.

"Il y a une prise de risque de plus en plus grande" et "l'année qui vient n'augure rien de bon", avait averti début mars l'association française d'aide aux migrants Utopia 56, selon laquelle le rythme de décès depuis le début de l'année atteint un niveau inédit depuis trois ans.

Depuis son arrivée à Downing Street il y a un an et demi, le Premier ministre Rishi Sunak a fait de la lutte contre l'immigration irrégulière l'une de ses priorités, martelant vouloir "stopper les bateaux".

Projet de loi contreversé

En 2023, près de 30.000 migrants ont au total traversé illégalement la Manche, un chiffre en forte baisse par rapport au record atteint en 2022 (45.000), que le gouvernement met en avant dans son bilan.

Toute progression des arrivées sur le sol britannique risque de fragiliser les conservateurs à quelques mois des élections législatives, pour lesquelles l'opposition travailliste est donnée largement en tête dans les sondages.

Le projet de loi controversé du gouvernement pour expulser les migrants au Rwanda se heurte par ailleurs à la résistance de la chambre haute du Parlement, celle des Lords, qui souhaite adoucir ce texte.

Lundi, le ministère de l'Intérieur a lancé une campagne sur les réseaux sociaux pour dissuader les ressortissants vietnamiens, de plus en plus nombreux, à tenter de traverser la Manche.