L’empreinte croissante de la Russie au Moyen-Orient

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’entretient avec son homologue des Émirats arabes unis, cheikh Abdallah ben Zayed al-Nahyane, à Abu Dhabi. (Reuters)
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’entretient avec son homologue des Émirats arabes unis, cheikh Abdallah ben Zayed al-Nahyane, à Abu Dhabi. (Reuters)
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Publié le Samedi 01 mai 2021

L’empreinte croissante de la Russie au Moyen-Orient

L’empreinte croissante de la Russie au Moyen-Orient
  • Le mois dernier, la présence du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s'est imposée à travers le Moyen-Orient
  • La Russie est devenue un acteur clé au Moyen-Orient depuis qu’elle a fait intervenir ses forces armées en Syrie, en septembre 2015, pour empêcher un changement de régime parrainé de l'extérieur

Le mois dernier, la présence du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s'est imposée à travers le Moyen-Orient. Au mois de mars, il s'est rendu aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite et au Qatar, puis a effectué une tournée en Égypte et en Iran les 12 et 13 avril.

La Russie est devenue un acteur clé au Moyen-Orient depuis qu’elle a fait intervenir ses forces armées en Syrie, au mois de septembre 2015, pour empêcher un changement de régime parrainé de l'extérieur. Ayant atteint cet objectif assez rapidement, sa toile diplomatique s'est élargie pour inclure tous les États de la région, avec lesquels elle construit des liens substantiels dans les domaines de l'énergie, de l'économie et de la défense, gardant un objectif de paix et sécurité régionales.

Au cours de sa visite dans le Golfe, Lavrov a proposé que les Émirats arabes unis jouent un rôle dans le renforcement de la stabilité en Syrie, un projet que son homologue émirati, cheikh Abdallah ben Zayed al-Nahyane, a fermement soutenu. Ce dernier a critiqué les sanctions infligées à la Syrie et il a défendu le retour du pays au sein de la Ligue arabe.

À Doha, Lavrov a formé la troïka Russie-Turquie-Qatar dans le but d’évoquer la question de la paix en Syrie, une initiative qui vise à compléter le processus d'Astana. La Turquie et le Qatar pourraient aider conjointement à régler la question d'Idlib, où quelques milliers d'individus extrémistes soutenus par la Turquie sont intégrés au sein d'une population civile de 3 millions d’habitants.

Les contacts les plus importants de Lavrov ont eu lieu en Arabie saoudite, avec le prince héritier, Mohammed ben Salmane, et le ministre des Affaires étrangères, le prince Faisal ben Farhan al-Saoud. Ces réunions se sont déroulées alors qu’on ignore encore la position de la nouvelle administration américaine sur les questions de sécurité régionale.

Dans ce scénario, la Russie peut jouer un rôle utile d’«équilibreur» entre les deux grands concurrents du Royaume – avec la Turquie et l’Iran – en facilitant le dialogue entre eux. Une fois que la confiance mutuelle entre voisins éloignés sera acquise, la Russie cherchera à obtenir la stabilité au Moyen-Orient grâce à une nouvelle architecture de sécurité régionale, façonnée de manière consensuelle par les nations de la région agissant de concert.

Comme dans le cas d’autres pays du Golfe, l’ordre du jour de la Russie avec l’Arabie saoudite est étayé par des relations bilatérales solides fondées sur le commerce, qui incluent les exportations de céréales et la coopération en matière de défense. En outre, ces nations sont des partenaires du dialogue Opep+, qui garantit la stabilité du marché mondial de l’énergie.

L’incursion de Lavrov dans les États du Golfe au mois de mars a été complétée par ses visites en Égypte et en Iran en avril. Bien que certains commentateurs aient perçu la visite du Caire comme une critique délibérée adressée au président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui rencontrait le président ukrainien à Istanbul au même moment, la sensibilisation en Égypte était importante en soi.

La Russie a consolidé ses relations de défense avec Le Caire par la vente de matériel militaire – notamment des avions de combat, des chars, des hélicoptères d'attaque et des systèmes de missiles – ainsi que par des exercices conjoints réguliers. En outre, la Russie travaille sur un projet de centrale nucléaire et développe un champ de gaz dans le pays, alors qu'elle est devenue dans le même temps un important fournisseur de céréales pour l'Égypte. L’émergence d’une société égyptienne qui est devenue le premier fabricant de la région du vaccin russe Spoutnik V contre le coronavirus consolide davantage encore les liens de la Russie avec l’Égypte.

Au Caire, en termes de programme régional, les deux principaux intérêts de la Russie sont la Libye et la Syrie. La Russie et l’Égypte étaient déjà partenaires dans le conflit libyen, s’opposant au gouvernement de Tripoli soutenu par la Turquie, et elles se sont également associées dans le processus de paix du pays. En ce qui concerne la Syrie, les deux nations sont à nouveau sur la même longueur d'onde car l'Égypte s'est, elle aussi, montrée constamment rétive au changement de régime à Damas.

La visite de Lavrov à Téhéran s’inscrit dans le contexte de la coordination de leurs positions sur la relance de l’accord nucléaire iranien. Les deux pays conviennent que ce sujet devrait rester séparé des autres questions relatives à la sécurité régionale et qu'il devrait y avoir une «approche synchronisée» concernant la levée des sanctions américaines et le retour de l'Iran aux dispositions du Plan d'action global conjoint. Au mois de janvier, la Russie et l’Iran ont conclu un accord d’information et de cybersécurité destiné à renforcer les cyberdéfenses de l’Iran contre les attaques, principalement en provenance d’Israël.

Si la Russie soutient l'Iran sur la question nucléaire, elle est également sensible aux préoccupations sécuritaires d'Israël et des États arabes du Golfe et, par conséquent, préconise la participation de Téhéran à un conclave régional sur la sécurité se déroulant dans le cadre du plan de paix lancé par Moscou au mois de juillet 2019.

Alors que les États-Unis s'effacent de la scène du Moyen-Orient, la Russie deviendra le pion central du chaudron régional.
 

Talmiz Ahmad

Bien qu’Ankara ne figurât pas initialement dans le programme de Lavrov, les liens avec la Turquie constituent une partie importante des intérêts régionaux de la Russie. Alors que les relations bilatérales se sont épanouies dans des domaines comme l'énergie, l'économie et la défense, la Turquie reste un partenaire difficile dans la mesure où elle cherche à conserver son autonomie stratégique sur des questions régionales et sur son partenariat avec les États-Unis, malgré leurs nombreuses différences. Il est probable que le peu d’enthousiasme de Joe Biden à l’égard du dirigeant turc et sa reconnaissance, samedi dernier, du génocide arménien de 1915 pousseront Ankara un peu plus encore du côté de la Russie.

Un véritable remue-ménage se produit actuellement dans la politique au Moyen-Orient: des États régionaux revendiquent des intérêts nouveaux, jouent de nouveaux rôles, s’engagent dans de nouveaux défis et construisent des alliances afin de servir des intérêts idéologiques et/ou sécuritaires. Alors que les États-Unis se retirent de la scène du Moyen-Orient, la Russie deviendra le pion central du chaudron régional et c’est elle qui, probablement, offrira le meilleur espoir de paix et de sécurité.

 

L’auteur Talmiz Ahmad a été ambassadeur de l’Inde en Arabie saoudite, à Oman et aux Émirats arabes unis. Il est titulaire de la chaire Ram Sathe d'études internationales de la Symbiosis International University de Pune, en Inde.

Avertissement: les opinions exprimées par les rédacteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.