Le spectre de la menace inflationniste perd de sa pertinence

Lors du sommet du Groupe des Vingt (G20), sous la présidence de l'Arabie saoudite l'année dernière, les dirigeants se sont félicités d'avoir dépensé 11 000 milliards de dollars dans des mesures de relance anti-pandémique ; un chiffre qui a certes augmenté depuis lors. (Shutterstock)
Lors du sommet du Groupe des Vingt (G20), sous la présidence de l'Arabie saoudite l'année dernière, les dirigeants se sont félicités d'avoir dépensé 11 000 milliards de dollars dans des mesures de relance anti-pandémique ; un chiffre qui a certes augmenté depuis lors. (Shutterstock)
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Publié le Dimanche 09 mai 2021

Le spectre de la menace inflationniste perd de sa pertinence

Le spectre de la menace inflationniste perd de sa pertinence
  • La secrétaire d'État au Trésor Janet Yellen a semé la terreur sur les marchés financiers la semaine dernière lorsqu'elle a suggéré que les taux d'intérêt devraient probablement augmenter
  • De nos jours, l'inflation n'est plus aussi menaçante que par le passé; les banques centrales et autres décideurs économiques ont élaboré des outils pour la contrer

Alors que le monde panse ses plaies à la suite de la récession qu'a suscitée la pandémie, le « spectre » de l'inflation, lui, plane sur l'économie mondiale.

En effet, Janet Yellen, la secrétaire d'État au Trésor sous la présidence de Joe Biden, a semé la terreur sur les marchés financiers la semaine dernière lorsqu'elle a suggéré que les taux d'intérêt devraient probablement augmenter « pour éviter une surchauffe de notre économie». Cet avertissement n'est toutefois que le dernier d'une série de mises en garde contre une augmentation inévitable et régulière que connaîtra le coût de la vie, à mesure que l'économie mondiale reprendra pied.

Depuis que les gouvernements – les États-Unis en tête et ensuite le reste du monde – ont entrepris d'injecter des fonds pour compenser les fermetures imposées par la Covid-19, l'inflation risque inévitablement d'empirer.

Les dépenses effrénées de M. Biden – 1 900 milliards de dollars déjà engagés et 4 000 milliards de dollars attendus – constituent la dernière et la plus importante dose d'adrénaline financière injectée dans l'économie mondiale qui plonge dans un semi-coma depuis l'été dernier.

Lors du sommet du Groupe des Vingt (G20), sous la présidence de l'Arabie saoudite l'année dernière, les dirigeants se sont félicités d'avoir dépensé 11 000 milliards de dollars dans des mesures de relance anti-pandémique ; un chiffre qui a certes augmenté depuis lors.

Ces mesures de relance, en particulier celles adoptées aux États-Unis, visent en grande partie à consolider la valeur des actifs par le biais d’achats effectués par les banques centrales sur les marchés des titres ; une excellente stratégie si l'on cherche à éviter un effondrement imminent, ce qui a été envisageable pendant une grande partie de l'année dernière. Cependant, cette stratégie est plutôt problématique lorsqu'elle cherche à remettre l'économie sur les rails de la reprise.

En effet, dans les circonstances qui se présentent, les prix des actifs, tant des actions, que de l'immobilier ou des obligations, si elles éclatent subitement, risquent de créer des « bulles » et de mettre en péril la reprise dans son ensemble. Il s'agit d'un exercice d'équilibre délicat.

Le Fonds monétaire international (FMI) guette d’habitude les signes de pressions inflationnistes, mais les rapports les plus récents ne tiennent pas compte de la hausse des prix dans leur analyse des tendances économiques mondiales.

Frank Kane

L'avertissement relativement tempéré de Mme Yellen voulait manifestement envoyer un message aux responsables de la politique monétaire américaine à la Réserve fédérale, à savoir que les mesures de relance doivent être prudentes et conjuguées à une croissance réelle et à une amélioration de la productivité.

Certes, la situation économique peut devenir incommode d'ici quelques années, si la relance continue d'être anarchique. L'idée de voir le pouvoir d'achat des salaires dévaluer massivement est angoissante.

L'hyperinflation qui a marqué les années 1920 et 1930 a laissé une cicatrice indélébile dans la conscience des gens. Lorsque les économies des pays occidentaux ont enregistré à nouveau des niveaux d'inflation relativement élevés dans les années 1970, des cris d'horreur ont retenti et l'austérité monétaire s'est imposée aussitôt.

De nos jours, l'inflation n'est plus aussi menaçante que par le passé. Les banques centrales et autres décideurs économiques ont élaboré des outils pour la contrer (ce qui explique les commentaires de Mme Yellen sur les taux d'intérêt).

Ce qui est probablement plus important, ce sont les nombreux exemples des dégâts que peut occasionner le phénomène d'inflation inverse, notamment dans les économies stagnantes du Japon, en déflation depuis trois décennies, mais aussi dans d'autres pays.

Par le passé, l'Arabie saoudite a été confrontée à des poussées d'inflation, souvent associées à une hausse particulière des prix ou de la production de pétrole. Toutefois, le Royaume n'a pas connu, de manière générale, une menace existentielle liée à la hausse des prix, à l'instar des pays occidentaux.

L'été dernier, de sombres prédictions ont été formulées au moment où la TVA a été portée à trois fois son taux, ce qui a rendu le coût de la vie encore plus lourd pour certains. Mais ces prévisions se sont vite évanouies.

En outre, le Fonds monétaire international (FMI) guette d’habitude les signes de pressions inflationnistes. Cependant, les rapports les plus récents ne tiennent pas compte de la hausse des prix dans leur analyse des tendances économiques mondiales.

Les observations du FMI pour l'Arabie saoudite font uniquement état d'une phrase neutre : « L'inflation de l'IPC (indice des prix à la consommation) a augmenté en juillet 2020 avec le relèvement de la TVA. Mais elle a reculé au cours des derniers mois et est projetée à 2,8 % en 2021 (3,4 % en 2020) ».

L'économie du Royaume peut cohabiter avec une telle inflation. En effet, certains économistes estiment qu'une inflation minimale est bénéfique, car elle donne du piquant à l'activité économique.

Mme Yellen a certes raison de mettre en garde contre les dangers de l'inflation, en particulier pour l'économie des États-Unis. Néanmoins, le reste du monde est sans doute plus préoccupé par la menace de l’avortement de la reprise post-pandémique en raison de la hausse des taux d'intérêt.

Le vieux spectre perd donc beaucoup de sa pertinence sinistre.

 

• Frank Kane est un journaliste d'affaires primé basé à Dubaï. Twitter: @frankkanedubai

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’une tribune parue sur Arabnews.com