Karim Benzema, le retour: La diversité française à l’attaque

Le 4 septembre 2014, l'attaquant français Karim Benzema lors du match de football amical France - Espagne, au Stade de France à Saint-Denis, au nord de Paris. ( AFP)
Le 4 septembre 2014, l'attaquant français Karim Benzema lors du match de football amical France - Espagne, au Stade de France à Saint-Denis, au nord de Paris. ( AFP)
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Publié le Mardi 25 mai 2021

Karim Benzema, le retour: La diversité française à l’attaque

Karim Benzema, le retour: La diversité française à l’attaque
  • Le retour de l’enfant prodige, savamment médiatisé, est chargé de signes politiques
  • «Quand je marque, je suis Français, quand je ne marque pas, je suis Arabe»

PARIS : On se souviendra de ce mardi 18 mai 2021 en France. La grande nouvelle n’était pas le déconfinement et l’ouverture des terrasses, mais le grand retour d’un joueur dans l’équipe nationale de football. Celui de Karim Benzema.

Cinq ans après sa dernière sélection avec les Bleus, il était enfin parmi les joueurs convoqués pour l’Euro 2020. Son retour a été largement commenté et salué dans l’opinion et la classe politique, à l’exception du Rassemblement national pour lequel le natif de Lyon, de parents algériens, restera toujours un “Français de papier”. Un Algérien. Même le président de la République s’en est réjoui, ce qui prouve qu’au sommet de l’État, le sujet est sensible.

Le retour de l’enfant prodige, savamment médiatisé, est chargé de signes politiques. Un an avant l’élection présidentielle, alors que l’enjeu de la sécurité s’est déjà imposé dans la campagne, celui de la réconciliation des Français, ceux d’ici et ceux d’ailleurs, ceux du centre et des périphéries, l’est tout autant.

La figure emblématique de cette réconciliation nationale

Et c’est Karim Benzema, né quatre ans après l’historique Marche des Beurs pour l’égalité et contre le racisme (lancée à Lyon en 1983), qui sera la figure emblématique de cette réconciliation nationale, alors que la lepénisation de la société progresse partout, que nous sommes en plein conflit israélo-palestinien, dans le débat sur le séparatisme, «l’islamo-gauchisme», l’immigration, la recrudescence des assassinats par des radicalisés…

Cependant, la réintégration du génie du ballon rond tient d’abord à son talent et à l’immense travail effectué à Madrid sous l’égide de Zidane, autre icone d’origine algérienne du football. De l’avant-centre de la prestigieuse équipe du Real Madrid, on ne fait plus le bilan, tant son palmarès est éloquent. Il parle pour lui. C’est l’un des meilleurs joueurs du monde.

Mais paradoxalement, il est/était mal-aimé des Français. Les critiques l’ont littéralement assailli des années durant. Quand l’équipe nationale perdait, ils fondaient sur lui. Sa carrière avec les Bleus faisait couler beaucoup d’encre, sur le registre de l’allégeance à la nation, du respect du maillot français, des «racailles» des cités devenus millionnaires, etc. Autant d’invectives, souvent teintées de racisme, visant aussi d’autres joueurs tels Ben Arfa, Nasri, M’Vila, Anelka, Ribéry, convertis à l’islam…

«Quand je marque, je suis Français, quand je ne marque pas, je suis Arabe.»

Ses détracteurs scrutaient ses lèvres avant le début des matchs, lui reprochaient de ne pas chanter La Marseillaise. Son patriotisme était suspecté. N’avait-il pas déclaré à dix-huit ans: «L’Algérie, c’est le pays de mes parents, c’est dans le cœur…» avant d’ajouter qu’il serait «toujours présent pour l’équipe de France». Dans une interview réalisée à Madrid, il dénonçait encore: «Quand je marque, je suis Français, quand je ne marque pas, je suis Arabe.»

La formule aurait pu être prononcée par Cassius Clay, alias Mohamed Ali, en 1967 aux États-Unis. Elle est restée dans les esprits, entraînant la furie de ses détracteurs. Jérôme Béglé, journaliste, l’invectivait dans un article d’une violence inouïe, teinté de racisme, en 2013, où il le sommait de se taire: «… C'est dans la capitale des Gaules que le jeune malappris a été éduqué au football – seulement au football visiblement. Il devrait être animé par un devoir de reconnaissance, voire de respect, à l'égard d'un club, d'une ville, d'un pays, qui, un jour, ont cru en lui. On n'attend pas de lui des déclarations d'amour, mais simplement qu'il ne foule pas aux pieds les symboles d'une nation qui l'a fait roi. L'argent et la gloire ne permettent pas tout. Il existe quelques digues que l'on aimerait infranchissables.

Une chose est sûre : la France a un immense besoin de respirer après plus d’un an de confinement. De se retrouver.

Azouz Begag

Cédant aux sirènes du charity business, Benzema avait participé en février 2012 au concert des Enfoirés à Lyon. Sans doute a-t-il estimé que sa grandeur méritait un tel écrin. Il n'y a pas de doute, «l'enfoiré, c'est lui!» Rarement un footballeur a déclenché pareille haine. Au fond, on a longtemps reproché à Benzema d’être un ingrat au regard de ce que la France lui avait apporté, le reproche, éminemment politique, s’adressant bien sûr à tous les enfants d’immigrés maghrébins des banlieues.

Au demeurant, ceux qui souhaitaient son éviction pouvaient sourire, puisque sa carrière en équipe de France était terminée à la fin de 2015 après l’affaire de la «sextape», dans laquelle il était inculpé. Son cas était érigé en problème national. Le Premier ministre en personne, Manuel Valls, prenait parti contre lui et demandait son exclusion de l’équipe nationale. Le fils d’Algériens était mis au ban. Du jamais vu. « Il a été sacrifié sur l’autel “du beur qui a réussi”, écrivait un journaliste du Monde.

Mais au-delà, il faut rappeler ici qu’en 2011, à la Fédération Française de Football, un scandale éclatait. Lors d’une réunion, plusieurs dirigeants, enregistrés à leur insu par un témoin, Mohamed Behlacimi, approuvaient en secret le principe de quotas discriminatoires dans les centres de formation et les écoles de foot du pays. Ils envisageaient de limiter, en les triant dès l’âge de 12-13 ans, le nombre de joueurs français de type africain et maghrébin chez les Bleus.

La Fédération en pleine tourmente

La ségrégation ethnique était basée sur deux thèses. D’abord, trop de binationaux formés en France choisissaient ensuite de jouer pour un autre pays, ensuite, le style de jeu développé en France ces dernières années n’était pas satisfaisant: il y aurait trop de «grands noirs athlétiques et pas assez de petits blancs qui ont l’intelligence du jeu dans le football français». L’affaire fit grand bruit. La Fédération était en pleine tourmente. Le directeur technique national était suspendu. Le sélectionneur national s'excusait d’avoir repris les termes de ses collègues espagnols: «Nous, on n'a pas de problème. Des Blacks, on n'en a pas!»

Cet épisode faisait écho à un autre scandale survenu en 2005: la sortie outrancière du philosophe Alain Finkelkraut à propos des Bleus. Interrogé dans le journal israélien Haaretz sur les violences urbaines de l’automne de cette année qui avaient embrasé le pays, il s’en était pris aux «Noirs», aux «Arabes» et à l’islam, avant d’affirmer que l’équipe nationale de football était «black-black-black» et la risée de l’Europe.

Cinq ans plus tard, en 2010, en Afrique du Sud, quand l’équipe de France était en pleine déroute, les médias interrogeaient de nouveau le philosophe qui se lâchait encore et affirmait que l'équipe de France souffrait de «division ethnique et religieuse», avant de la qualifier d’«équipe de voyous… à la morale de mafia… qui se foutent de la France… une génération “caillera”...», et de conclure: «Si la France de ces petits caïds gagne, ce sera une catastrophe.»

Du racisme antiarabe

Voilà l’atmosphère dans laquelle Karim Benzema et d’autres joueurs évoluaient à cette époque avec les Bleus. La conclusion qu’il fallait tirer de cette indigne saillie était que si l’équipe de France était «blanche, blanche, blanche», à coup sûr elle serait championne du monde à chaque compétition!

Les clichés servis sur les jeunes des cités fonctionnaient à merveille dans l’opinion publique. En tout cas, l’éviction de Karim Benzema, Samir Nasri et Hatem Ben Harfa, avait été clairement dénoncée par beaucoup comme du racisme antiarabe. De même, Anelka subissait une croisade antimusulmane. On lui reprochait d’avoir insulté l’entraîneur dans les vestiaires et provoqué l’explosion de l’équipe au Mondial 2010. Était aussi dans le collimateur Bilal Yusuf Mohammed Franck Ribéry, dont les disputes avec des partenaires auraient eu des motivations religio-identitaires.

À écouter les critiques, dans les vestiaires des Bleus, en 2010, cette guerre entre les nouveaux convertis à l’islam et les vrais Français révélait une libanisation de l’équipe de France entre les Noirs Antillais, les Noirs d'origine africaine, les Blancs et les musulmans. Des journalistes se mirent à traquer toute manifestation intempestive de l’islamisation des joueurs et ses conséquences sur l’esprit d’équipe. D’autres s’offusquèrent de voir Ribéry prier, mains ouvertes au ciel, et implorer Allah sur la pelouse. Ces souvenirs ont marqué la France et les Français.

Les passions sont apaisées

Ce mardi 18 mai 2021, les passions sont apaisées. Il semble que les temps ont changé avec le déconfinement de Benzema par Deschamps, que Karim accusait d’avoir cédé à une «partie raciste» du pays lors de son éviction. Des tags tel «raciste» peints sur les murs de la villa de sa famille à Concarneau avaient ulcéré le sélectionneur des Bleus. Tout cela est oublié. Le passé est passé.

Après l’annonce de son retour, Benzema s’est dit «tellement fier» de la confiance qu’on lui accordait. Certains pensent qu’après cinq ans de purgatoire il n’aurait pas dû revenir chez les Bleus, d’aucuns regrettent son manque de “nif” après l’humiliation subie. D’autres rappellent aussi que les Bleus ont gagné la coupe du monde en 2018 sans les “caïds des cités” tels que lui et que la nation pouvait s’en passer.

Une chose est sûre : la France a un immense besoin de respirer après plus d’un an de confinement. De se retrouver. Et avec Benzema, MBappé (de mère algérienne et de père camerounais) et Griezman, les Bleus disposent de la meilleure attaque du monde. L’affiche tout en couleurs est d’une excitation savoureuse avant le début de l’Euro en juin. De quoi rassembler les Français, de nouveau. Pendant un temps. Mais pas d’oublier les blessures du racisme. Certaines cicatrices ont la peau dure.

 

Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS.

Twitter: @AzouzBegag

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.