Aissa ben Saïd écrit une nouvelle page du cinéma algérien

Le réalisateur et producteur algérien Aissa ben Saïd  est un artiste engagé qui refuse de faire partie du système. (Fournie)
Le réalisateur et producteur algérien Aissa ben Saïd  est un artiste engagé qui refuse de faire partie du système. (Fournie)
Short Url
Publié le Jeudi 10 juin 2021

Aissa ben Saïd écrit une nouvelle page du cinéma algérien

  • «J’ai toujours refusé de faire partie du système»
  • «La Nouvelle Vague algérienne, ce n’est pas seulement produire des projets et de parler de l’Algérie d’aujourd’hui, c’est tout un travail d’instruction»

PARIS: Le réalisateur et producteur algérien Aissa ben Saïd a beau préférer se tenir à distance des médias, il n’en reste pas moins un artiste très engagé, aussi bien derrière les caméras que sur le terrain. Arab News en français s’est entretenu avec celui qui a initié un changement important et profond dans la production cinématographique de son pays.

Parcours d’un prodige 

La persévérance est l’une des qualités majeures d’Aissa ben Saïd. Ainsi, lorsqu’il voit les portes de l’École d’art dramatique d’Alger se refermer en raison de ses résultats insuffisants au baccalauréat, il décide de suivre des études de biologie pendant quatre ans, mais son amour du cinéma ne l’a pas quitté. Il prend donc la décision d’intégrer l’École des arts et du cinéma de Tunis en 2007. «J’y suis allé avec l’intention de devenir comédien. En découvrant le monde de l’industrie cinématographique, j’ai commencé à me focaliser sur l’image, le cadre, l’écriture», nous confie-t-il.

Major de sa promotion lors des deux premières années, il se heurte ensuite à un important problème: «J’ai commencé à me rendre compte que j’étais attiré par les sujets de société qui dérangent, par les sujets à ne pas raconter. J’avais décidé, pour le film qui devait valider mon diplôme, de filmer les agressivités policières lors du derby de Tunis entre l’Espérance sportive de Tunis et le Club africain.» Mais, comme il ne reçoit pas d’autorisation, il ne peut achever son film.

Il se rend en Algérie durant l’été 2010 afin de réaliser son premier court métrage, Un cri sans écho, qui évoque des musiciens marginalisés vivant à Souk Ahras, la ville de l’artiste. Le film sera finalement projeté pendant le festival «Doc à Tunis» au mois d’avril 2011, après la fuite du président Zine el-Abidine ben Ali. Le cinéaste reçoit ainsi son diplôme.

Lors de son retour en Algérie, il se heurte à des difficultés, notamment d’ordre financier. «J’ai travaillé avec une multinationale en tant que conseiller de vente, puis comme chef d’équipe. Je profitais de chacun de mes congés pour réaliser un court métrage. J’ai aussi enseigné à l’Office des établissements de jeunes, qui avait produit mon premier film», raconte-t-il. Son deuxième film, Colors, the country and me, brosse le portrait d’un héros de Souk Ahras: Taoufik Makhloufi, unique médaillé d’or algérien des Jeux olympiques de Londres de 2012. «L’histoire évoque cette nouvelle génération qui voit l’Algérie autrement. Il était temps d’écrire une nouvelle histoire de l’Algérie par cette jeunesse», explique-t-il. 

«À chaque fois, ce sont des Français qui font des documentaires sur l’Algérie; il fallait qu’un Algérien fasse un documentaire sur la France.» 

Afin de mettre en lumière une vision différente de celle du système, Aissa ben Saïd  apparaît dans son propre documentaire. «Parler du 50e anniversaire de l’indépendance, cela ne nécessite pas de parler de la révolution algérienne, mais de parler de ce que l’Algérie a vécu, de l’indépendance jusqu’à aujourd’hui», confie-t-il.

Il évoque une autre difficulté, de nature géographique: «J’habite à 650 km d’Alger, dans un petit patelin où il n’y avait pas de salle de cinéma en 2011.»

Il fonde, en 2018, le «Souk Short Festival» («festival du court métrage de Souk»), le premier festival de Souk Ahras: tout un symbole.

En quelques années, Aissa ben Saïd est sollicité par de prestigieuses institutions. Il participe en 2014 au premier laboratoire d’Alger de l’Institut français. Son film Makach Kifach No Way est diffusé sur France 2.

En 2015, il démissionne de son travail avec la multinationale. Il part au Canada pour s’inscrire au laboratoire de Quinomada. Il tourne sa première fiction, We Return to Paradise. «Un film qui présente un rabbin, un prêtre et un imam, avec l’idée principale que l’art fait avancer l’humanité plus que la religion. Je n’ai jamais pensé à le projeter en Algérie, cela reste un tabou», révèle-t-il.

En 2016, il rejoint la célèbre école de la Fémis à Paris à l’occasion de l’université d’été. Il filme la place de la République durant le mouvement «Nuit debout». «À chaque fois, ce sont des Français qui font des documentaires sur l’Algérie; il fallait qu’un Algérien fasse un documentaire sur la France.» 

photo
«La Nouvelle Vague algérienne, ce n’est pas seulement produire des projets et de parler de l’Algérie d’aujourd’hui, c’est tout un travail d’instruction». (Fournie)

Nouvelle Vague algérienne

Son expérience canadienne lui donne envie de fonder sa propre boîte de production malgré «la bureaucratie étouffante» qui règne en Algérie. C’est en tournant sa deuxième fiction, Un homme, deux théâtres, qu’il reçoit le précieux agrément. «Ce film m’a ouvert les portes de l’international. Il a été vu aux quatre coins du monde. J’ai même reçu un prix à Madagascar», raconte-t-il. 

Lors des Journées cinématographiques de Carthage, en 2017, il croise les membres du ministère algérien de la Culture. «Ils se sont demandé: mais qui est cette personne mystérieuse qui ne côtoie pas nos salons d’Alger, qui se trouve en ce moment à Carthage, mais que nous ne semblons pas intéresser?», se souvient-il.

En participant à l’atelier Chabaka, il rencontre le directeur de la commission algérienne qui attribue des fonds aux projets cinématographiques. Il obtient ainsi un financement pour cinq projets. Il tourne son premier long métrage, Cilima: «Ce film unique en son genre met à l’honneur quatre réalisateurs qui viennent des quatre coins du pays.»

Sa société de production, la Nouvelle Vague algérienne, a pour ambition d’écrire une nouvelle page du cinéma algérien. Son objectif, en effet, est de revitaliser cet art: «Le système s’appuyait sur des films révolutionnaires, subventionnés avec énormément d’argent public. L’âge d’or du cinéma algérien, dans les années 1960 et 1970, atteint son apogée avec la Palme d’or décernée en 1975 à Mohammed Lakhdar-Hamina. Puis est venue la décennie noire, qui a vu le nombre de salles de cinéma tomber de cinq cents à quarante», déplore-t-il.

«Je suis un artiste engagé, un membre du Hirak. J’ai toujours refusé de faire partie du système»

Aissa ben Saïd n’est pas seulement réalisateur et producteur, il s’engage sur le terrain. «Je suis un artiste engagé, un membre du Hirak. J’ai toujours refusé de faire partie du système. Je suis un artiste qui connaît l’énorme potentiel de la jeunesse. La Nouvelle Vague algérienne, ce n’est pas seulement le fait de produire des projets et de parler de l’Algérie d’aujourd’hui; c’est tout un travail d’instruction. On tente de changer les choses», explique-t-il.

Avec deux autres producteurs, il a monté le collectif Basma, dont le but est de développer le cinéma en Algérie. «Nous manquons d’écoles de cinéma en Algérie. Il convient de ne pas brûler les étapes. Nous sommes en train de mettre en place Timi Lab, une résidence de développement d’écriture, à Timimoun, dans le Sahara algérien, avec les fonds les plus importants de l’industrie cinématographique du monde. Nous préparons également un festival africain et arabe qui s’appelle “Timi Film Days”», indique-t-il.

Aissa ben Saïd est actuellement en train de développer une œuvre cinématographique qu’il décrit comme «un documentaire qui va déstabiliser le système, notamment ses relations avec la France».

Et pour cause: il porte sur le village de Reggane, site des essais nucléaires français qui ont se sont officiellement déroulés entre 1960 et 1968. «J’ai décidé de ne pas faire un film historique, mais d’apporter ma touche de créativité. L’histoire est celle d’une association qui contacte un cabinet d’avocats international. Ce dernier porte plainte devant la Cour pénale internationale de La Haye et la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg.»

On le voit: la Nouvelle Vague algérienne émerge plus que jamais.


Pour Liam Cunningham, star de « Game of Thrones », le monde « n'oubliera pas » ceux qui sont restés silencieux sur Gaza

L'acteur irlandais Liam Cunningham a déclaré que le public « n'oubliera pas » ceux qui n'ont pas exprimé leur soutien aux Palestiniens pendant le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza. (AP/File Photo)
L'acteur irlandais Liam Cunningham a déclaré que le public « n'oubliera pas » ceux qui n'ont pas exprimé leur soutien aux Palestiniens pendant le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza. (AP/File Photo)
Short Url
  • L'Irlandais est un ardent défenseur de la cause palestinienne depuis des décennies
  • « Ce qui me préoccupe, c'est que les personnes qui se sentent concernées et qui ne font rien sont, à mon avis, pires que celles qui ne se sentent pas concernées », a-t-il déclaré

LONDRES : L'acteur irlandais Liam Cunningham a déclaré que le public « n'oubliera pas » ceux qui n'ont pas exprimé leur soutien aux Palestiniens pendant le conflit actuel entre Israël et le Hamas à Gaza.

La star de « Game of Thrones » est un fervent défenseur des causes palestiniennes depuis des décennies. Lors d'une manifestation à Dublin menée par l'Irlando-Palestinien Ahmed Alagha, qui a perdu 44 membres de sa famille dans le récent assaut israélien contre Gaza, Cunningham a déclaré qu'il avait été félicité par ses pairs dans le passé pour son activisme.

« Ce qui me préoccupe, c'est que les personnes qui se sentent concernées et qui ne font rien sont, à mon avis, pires que celles qui ne se sentent pas concernées », a-t-il déclaré.

On a demandé à Cunningham s'il avait parlé à d'autres acteurs pour les convaincre de soutenir la cause palestinienne, mais il a répondu en disant qu'il ne pouvait répondre des autres, a rapporté The Independent.

Il a toutefois ajouté : « Internet n'oublie pas. Lorsque cela se produira, lorsque la CIJ (Cour internationale de justice) et la CPI (Cour pénale internationale) feront, je l'espère, leur travail honorablement, cela se saura », a-t-il déclaré.

« Et les gens qui n'ont pas parlé ne seront pas oubliés. Ce génocide est retransmis en direct et il n'est pas possible de dire que l'on ne savait pas. Vous saviez. Et vous n'avez rien fait. Vous êtes restés silencieux. Je dois pouvoir me regarder dans le miroir, et c'est pourquoi je parle », a-t-il ajouté.

Un mois après qu'Israël a lancé son assaut sur Gaza en réponse aux incursions du Hamas sur le territoire israélien, le 7 octobre, qui ont fait près de 1 200 morts et quelque 250 otages, Cunningham a déclaré que, pour les Irlandais, ignorer le traitement réservé aux Palestiniens reviendrait à « trahir » leur histoire.

« Si nous nous permettons d'accepter ce comportement, alors nous acceptons que cela nous arrive », avait-il déclaré à l'époque. « Nous devons défendre des normes. Nous devons défendre le droit international et cela nous réduit en tant qu'êtres humains si nous ne le faisons pas ».

L'assaut israélien sur Gaza a tué plus de 34 000 Palestiniens, dont environ deux tiers d'enfants et de femmes, selon les autorités sanitaires de l'enclave dirigées par le Hamas.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com


Le pape François à Venise, son premier déplacement en sept mois

Le pape François salue lors d'une audience avec des pèlerins hongrois dans la salle Paul VI du Vatican, le 25 avril 2024 (Photo, AFP).
Le pape François salue lors d'une audience avec des pèlerins hongrois dans la salle Paul VI du Vatican, le 25 avril 2024 (Photo, AFP).
Short Url
  • En se rendant à Venise pour la première fois depuis son élection en 2013, le pape entend d'abord rassurer sur sa capacité à assurer son ministère
  • Depuis sa visite à Marseille en septembre 2023, Jorge Bergoglio n'a plus voyagé

VATICAN: Le pape François, 87 ans, est attendu dimanche à Venise pour une visite éclair, son premier déplacement hors de Rome en sept mois en raison de son état de santé précaire.

Depuis sa visite à Marseille en septembre 2023, Jorge Bergoglio n'a plus voyagé. Une bronchite l'a contraint à annuler son voyage à Dubaï en décembre et son état général, de plus en plus fragile, à éviter les déplacements.

En se rendant à Venise pour la première fois depuis son élection en 2013, le pape entend d'abord rassurer sur sa capacité à assurer son ministère, quelques semaines après les inquiétudes suscitées par son accès de fatigue au moment des fêtes de Pâques.

François doit arriver en hélicoptère à 08H00 (06H00 GMT) à la prison pour femmes de l'île de la Giudecca, qui abrite le pavillon du Saint-Siège à la 60e Biennale d'art contemporain de Venise.

Dans cet ancien couvent qui accueille des femmes condamnées à de longues peines, l'évêque de Rome, sensible à la place des marginalisés, rencontrera les 80 détenues et visitera l'exposition qu'elles ont montée aux côtés de dix artistes.

A l'écart des projecteurs et de la foule, le pavillon du Saint-Siège est l'un des plus en vue de la prestigieuse manifestation d'art et propose aux visiteurs une expérience immersive et déroutante, où les œuvres côtoient les barbelés.

"Ce sera un moment historique puisqu'il sera le premier pape à visiter la Biennale de Venise", a estimé le conservateur de l'exposition, le cardinal portugais José Tolentino de Mendonça, lors d'une conférence de presse.

Cela "démontre clairement la volonté de l'Eglise de consolider un dialogue fructueux et étroit avec le monde des arts et de la culture".

Messe place Saint-Marc 

Chiara Parisi, commissaire de l'exposition, a souligné "l'émerveillement" et "l'espérance" des détenues vis-à-vis de cette visite.

"Le pape agit au-delà de la parole" en se déplaçant auprès d'elles, des "personnes qui ont à cœur de jouer un rôle même quand elles sont dans une situation très dure", a-t-elle déclaré à l'AFP.

Le pape s'exprimera ensuite devant des jeunes à 10H00 (08H00 GMT) devant l'emblématique basilique Santa Maria della Salute, dont le dôme majestueux domine l'entrée sud du Grand Canal, à deux pas de la place Saint-Marc.

Après avoir rejoint la célèbre place grâce à un pont éphémère, il présidera une grande messe à 11H00 (09H00 GMT) en présence de nombreux responsables politiques et religieux. Il quittera la Lagune en début d'après-midi pour rentrer au Vatican.

Après Paul VI (1972), Jean-Paul II (1985) et Benoit XVI (2011), François est le quatrième pape à se rendre dans la Cité des Doges.

L'histoire de la Sérénissime est étroitement liée à celle de la papauté. Au XXe siècle, trois patriarches de Venise sont devenus papes.

Le diocèse de Venise est un des plus grands de la péninsule avec 125 paroisses. Venise est en outre l'un des rares patriarcats de l'Eglise latine.

La visite du pape intervient le week-end d'introduction d'une entrée payante de cinq euros pour les touristes à la journée: en tant qu'invité, il devrait en être exempté, mais les pèlerins non résidents y seront soumis.

Après ce déplacement, le jésuite argentin doit effectuer deux autres voyages dans le nord de l'Italie, à Vérone en mai et à Trieste en juillet.

Cette visite intervient aussi alors que le Vatican vient d'officialiser une ambitieuse tournée papale aux confins de l'Asie et de l'Océanie en septembre (Indonésie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Timor oriental et Singapour), le plus long voyage de son pontificat, qui s'annonce comme un ambitieux défi sur le plan physique.


Tanger, le «havre de liberté» des grands noms du jazz

Abdellah El Gourd, légende marocaine de la musique gnawa âgée de 77 ans, pose pour une photo dans la vieille ville de Tanger le 23 avril 2024 (Photo, AFP).
Abdellah El Gourd, légende marocaine de la musique gnawa âgée de 77 ans, pose pour une photo dans la vieille ville de Tanger le 23 avril 2024 (Photo, AFP).
Short Url
  • Cette année, la cité, bordée par la Méditerranée et l'Atlantique, a été désignée ville-hôte de la Journée internationale du jazz, par l'Unesco
  • Randy Weston et Abdellah El Gourd vont de leur côté repousser les limites de la création, devenant les précurseurs de la fusion entre sonorités jazz et gnaoua

TANGER: Au siècle dernier, Randy Weston, Idrees Sulieman ou Max Roach ont traversé l'Atlantique pour découvrir Tanger, devenue le repère des grands jazzmen américains. Un héritage qui sera célébré mardi dans la métropole du nord du Maroc, lors de la Journée internationale du jazz.

"La ville a eu un pouvoir d'attraction fascinant sur une vague d'intellectuels et musiciens. Ce n'est pas pour rien qu'un écrivain disait qu'il y avait toujours un paquebot qui chauffait à New York en partance pour Tanger", explique à l'AFP Philippe Lorin, fondateur d'un festival de jazz dans la grande ville portuaire.

Cette année, la cité, bordée par la Méditerranée et l'Atlantique, a été désignée ville-hôte de la Journée internationale du jazz, par l'Unesco. A partir de samedi, elle abrite des conférences et spectacles en plein air qui culmineront dans un grand concert mondial avec le pianiste Herbie Hancock et les bassistes Marcus Miller et Richard Bona ou le guitariste Romero Lubambo.

Le cosmopolitisme de Tanger puise ses racines dans son statut d'ancienne zone internationale, administrée par plusieurs puissances coloniales de 1923 jusqu'en 1956 quand le Maroc a pris son indépendance.

Son rayonnement a été alimenté par le passage d'écrivains et poètes du mouvement littéraire de la "beat generation" mais aussi de jazzmen afro-américains "en quête de leurs racines africaines", souligne l'historien Farid Bahri, auteur de "Tanger, une histoire-monde du Maroc".

"Tanger était un havre de liberté comme l'est la musique jazz", note M. Lorin.

Weston débarque à Tanger 

"La présence des musiciens américains à Tanger était également liée à une diplomatie américaine très active", complète l'historien marocain.

Le célèbre pianiste Randy Weston a posé ses valises durant cinq ans à Tanger après une tournée dans 14 pays africains en 1967, organisée par le département d'Etat américain.

Le virtuose de Brooklyn a joué un rôle déterminant dans la construction du mythe de la ville du détroit, à laquelle il a dédié son album "Tanjah" (1973).

"Randy était un homme d'exception aimable et respectueux, il a beaucoup donné à la ville et ses musiciens", confie à l'AFP Abdellah El Gourd, un maître gnaoua (musique spirituelle originaire d'Afrique de l'ouest, introduite par les descendants d'esclaves), ami et collaborateur du pianiste américain décédé en 2018.

Un autre moment charnière de cette épopée est l'enregistrement en 1959 d'une session musicale avec le vénérable trompettiste Idrees Sulieman, le pianiste Oscar Dennard, le contrebassiste Jamil Nasser et le batteur Buster Smith au studio de la Radio Tanger International (RTI) à l'invitation de Jacques Muyal.

Ce Tangérois d'à peine 18 ans, animateur d'une émission de jazz sur RTI, produit alors, avec les moyens du bord et sans le savoir, un album de référence qui circulera dans les cercles de jazz avant son édition sous le titre "The 4 American Jazzmen In Tangier" en 2017.

«Expérience unique»

Randy Weston et Abdellah El Gourd vont de leur côté repousser les limites de la création, devenant les précurseurs de la fusion entre sonorités jazz et gnaoua.

"La barrière de la langue n'a jamais été un problème car notre communication se faisait à travers les gammes. Notre langage était la musique", raconte M. El Gourd, dans une salle de répétition aux murs tapissés de photos souvenirs de tournées internationales notamment avec Weston et le saxophoniste Archie Shepp.

Une longue collaboration qui donnera naissance 25 ans plus tard à l'album "The Splendid Master Gnawa Musicians of Morocco" (1992).

En 1969, le pianiste américain décide d'ouvrir un club de jazz baptisé "African Rythms Club" au-dessus du célèbre cinéma Mauritania.

"On répétait là-bas, Randy y invitait ses amis musiciens. C'était une belle époque", se remémore le maâlem (maître) de 77 ans qui a parcouru le monde aux côtés de Weston.

Puis en 1972, l'Américain se lance dans la folle aventure d'organiser un premier festival de jazz à Tanger avec des invités de marques dont le percussionniste Max Roach, le flûtiste Hubert Laws, le contrebassiste Ahmed Abdul-Malik, le saxophoniste Dexter Gordon mais aussi Abdellah El Gourd.

"C'était une expérience assez unique car c'était la première fois qu'on jouait devant un public aussi nombreux", se souvient le musicien, jusqu'alors habitué aux performances gnaouas réservées à l'époque à des cercles restreints.

L'expérience ne durera qu'une seule édition mais inspirera Philippe Lorin pour créer, près de trois décennies plus tard, le festival Tanjazz, organisé chaque année en septembre.