Biden risque de réveiller la bête mondiale qu'est l'inflation

Le président américain Joe Biden se dirige vers des journalistes sur la pelouse sud de la Maison Blanche, à Washington, le 14 mars 2021. (Reuters)
Le président américain Joe Biden se dirige vers des journalistes sur la pelouse sud de la Maison Blanche, à Washington, le 14 mars 2021. (Reuters)
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Publié le Dimanche 04 juillet 2021

Biden risque de réveiller la bête mondiale qu'est l'inflation

Biden risque de réveiller la bête mondiale qu'est l'inflation
  • M. Biden détient le contrôle sur tous les fronts mais, dans les faits, il n'a que deux ans pour mener à bien son programme particulièrement ambitieux
  • Cependant, la Maison Blanche n'a pas réussi à convaincre les républicains de soutenir son projet de loi colossal

Voilà que notre prédiction paradoxale sur la nature de la présidence Biden se confirme. Outre son expertise en matière de politique étrangère, forte de plusieurs décennies, le président laissera une empreinte historique sur la scène intérieure, dans laquelle il espère hisser son nom parmi ceux des trois présidents démocrates les plus marquants de l'ère moderne – sans oublier Lyndon Johnson et Franklin Roosevelt.

Ce qui anime surtout la stratégie de Biden, qui consiste à jouer le tout pour le tout, ce sont les facteurs à la fois structurels et politiques. En raison du faible bilan du parti bleu (NDRL : les démocrates), lors des élections de 2020, qui a permis aux démocrates de conserver les deux chambres du Congrès (de justesse) ainsi que la présidence; le paysage politique des États-Unis apparait idéal pour le nouveau président.

M. Biden détient le contrôle sur tous les fronts mais, dans les faits, il n'a que deux ans (avant les élections de mi-mandat prévues en 2022) pour mener à bien son programme particulièrement ambitieux. Paradoxalement, la position extrêmement précaire des démocrates au sein du Congrès (une mince majorité de neuf sièges à la Chambre des représentants et une égalité au Sénat) a instauré cette discipline de parti, dans la mesure où la défaite de tout candidat dans n'importe quelle élection entraînera une défaite quasi certaine. C'est cette réalité persévérante qui a convaincu les démocrates progressistes et modérés de rester alignés sur la position du parti.

À ce jour, les résultats sont impressionnants sur le plan politique. En effet, le premier des trois projets de M. Biden, en l'occurrence le programme de relance économique post-Covid-19 d'une valeur de 1 900 milliards de dollars, a été approuvé et amorcera la relance de l'économie dans le sillage de la crise économique provoquée par la pandémie.

Cependant, la Maison Blanche n'a pas réussi à convaincre les républicains de soutenir son projet de loi colossal. Ainsi, M. Biden s'est vu contraint de recourir au processus parlementaire de réconciliation au sein du Sénat, pour faire adopter sa proposition. En effet, la réconciliation stipule (selon le conseiller officiel du Sénat) que, deux fois au cours de chaque année fiscale, des projets de loi spécifiques portant sur les revenus peuvent être approuvés  avec une majorité de 50 voix (plutôt que les 60 voix habituellement requises, pour clore un débat). La Maison Blanche a été contrainte d'adopter cette tactique tout en sachant qu'elle ne pourra recourir à la réconciliation qu'une seule fois de plus au cours de cette année fiscale.

Le problème auquel est confronté M. Biden est le suivant : pour assurer son legs en tant que président le plus influent sur le plan intérieur après Ronald Reagan, il doit faire passer deux grands projets de loi alors qu'il ne peut recourir qu’à une seule procédure de réconciliation supplémentaire. Pour entrer dans l'histoire, il doit donc faire adopter le plan de relance économique post-Covid-19 (déjà promulgué), le projet de loi sur l'infrastructure estimé à 1 200 milliards de dollars qui se dessine ainsi qu'un autre projet de loi « fourre-tout » de 3 à 5 000 milliards de dollars qui intègre des priorités auxquelles les démocrates aspirent depuis bien longtemps.

L'administration Biden est consciente que le dernier de ces projets – le chouchou des progressistes de gauche de la Chambre et du Sénat – n'a aucune chance de rallier les républicains. Elle a donc fait tout son possible pour que le projet de loi sur les infrastructures soit approuvé par les deux partis, de manière à garantir le passage des trois grands textes de loi. En abaissant de manière significative le coût du projet (Biden voulait initialement accorder 2 100 milliards de dollars au projet de loi sur les infrastructures, alors que la version partagée par les deux partis le chiffre à 1 200 milliards de dollars sur 8 ans), la Maison-Blanche a réussi à rallier les républicains.

Le projet de loi sur les infrastructures financera des projets de transport de grande envergure aux États-Unis, une expansion importante du réseau à haut débit dans les zones rurales et une révision intégrale du système de distribution d'eau aux États-Unis. Ce qu'il omet de faire, c'est de procurer un financement additionnel pour ce projet massif ; le déficit budgétaire sera donc le moyen principal pour payer la facture.

Le projet de loi « fourre-tout » est en phase d'élaboration. Si ses termes restent à définir, il prévoit des dépenses en faveur de l'énergie propre, des allocations mensuelles pour les enfants, la garantie du congé rémunéré, un enseignement préscolaire gratuit pour les enfants de trois et quatre ans sans oublier les 2 années gratuites de formation universitaire. Dans leur ensemble, ces dispositions feraient de l'Amérique un pays social-démocrate qui ressemblerait à l'Europe sclérosée, dotée d'avantages sociaux excessivement généreux, de taux d'endettement public constamment élevés et de faibles taux de croissance systémique.

En dépit de toutes ces réserves, il est probable que M. Biden continuera à nous surprendre du point de vue politique et à faire passer ses trois projets de loi. Avec le soutien des deux partis, le projet de loi sur les infrastructures semble avoir toutes les chances de passer. En ce qui a trait au projet de loi fourre-tout, la droite démocrate, représentée par le sénateur modéré Joe Manchin, de Virginie-Occidentale, s'est montrée disposée à approuver un paquet de 1,5 à 2 000 milliards de dollars ; la gauche progressiste, représentée par le sénateur Bernie Sanders, du Vermont, réclame la somme faramineuse de 6 000 milliards de dollars. Mais ces chiffres ne correspondent qu'à des offres préliminaires. Préparez-vous à voir M. Biden, fort de ses cinquante ans passés au Sénat, façonner un compromis qui conviendra aux deux camps du parti.

Quiconque a lu Shakespeare sait pertinemment que le pire des drames pour l'homme est d'obtenir tout ce qu'il souhaite.

Dr. John C. Hulsman

Cependant, tous ceux qui lisent Shakespeare savent bien que le pire des drames pour l'homme, c'est d'obtenir tout ce qu'il souhaite. La leçon à retenir est celle de Johnson. Lui aussi spécialiste du Sénat, il a pu faire passer son programme national de la « Grande Société ». Mais la guerre du ViêtNam, les émeutes dans les villes et la gestion chancelante de l'économie n'ont pas tardé à l'anéantir. Biden pourra peut-être obtenir tout ce qu'il souhaite à l'échelle nationale. Mais en augmentant le budget fédéral du montant inconcevable de 6 à 8 000 milliards de dollars prévu pour les 3 projets de loi, cette ambition risque de finir par jeter de l'huile sur un feu qui flambe déjà et de réveiller la bête qu'est l'inflation, une bête endormie depuis les jours de gloire de Paul Volcker à la Fed (NDRL : La Réserve fédérale) dans les années 1980.

En politique, M. Biden réalisera probablement tous ses rêves. Mais en peu de temps, l'inflation pourrait transformer ces rêves en un cauchemar qui fera trembler le monde entier.

Dr. John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il peut être contacté via chartwellspeakers.com

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com