Truss mise sur le radicalisme pour sauver les Tories, et elle a bien raison

La ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, faisant campagne dans le Norfolk, le 29 juillet 2022 (Photo, REUTERS).
La ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, faisant campagne dans le Norfolk, le 29 juillet 2022 (Photo, REUTERS).
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Publié le Lundi 01 août 2022

Truss mise sur le radicalisme pour sauver les Tories, et elle a bien raison

Truss mise sur le radicalisme pour sauver les Tories, et elle a bien raison
  • Le seul sondage réalisé depuis le début du second tour entre ces deux candidats a placé Truss loin devant, avec 49 % de soutien parmi les membres du parti
  • Truss a fondé en 2011 le groupe de députés conservateurs Free Enterprise, qui prône le laisser-faire

Malgré le fait que l'establishment conservateur se soit clairement rangé derrière son adversaire, l'ancien chancelier de l'Échiquier Rishi Sunak, (ou peut-être à cause de cela), la ministre des Affaires étrangères Liz Truss est en lice pour devenir le nouveau leader des Tories et le prochain premier ministre de la Grande-Bretagne.

Le seul sondage réalisé depuis le début du second tour entre ces deux candidats a placé Truss loin devant, avec 49 % de soutien parmi les membres du parti qui détermineront le vainqueur, tandis que Sunak se traîne avec seulement 31 %.

Comment Truss a-t-elle bouleversé les désirs de l'establishment conservateur ? Elle a habilement saisi le désir fondamental du Royaume-Uni pour un véritable changement, et pas seulement pour un sort que lui jetterait une grande dame conservatrice affable. En effet, alors que les conservateurs de Westminster se sont engagés dans une guerre civile très publique autour de l’éjection de l'incapable Boris Johnson, le parti n'a pas fait bonne figure dans le pays, où les gens sont aux prises avec des problèmes bien plus graves : une crise de cherté de vie, une inflation galopante (ignorée par une Banque d'Angleterre de plus en plus discréditée) et une éventuelle récession à venir, alors même qu'une crise énergétique menace l'ensemble du monde occidental. Pendant que les conservateurs bricolent, Rome brûle.

Tout cela explique le dernier sondage de Politico du 24 juillet, selon lequel le parti d'opposition, le Parti travailliste, devance largement les Tories avec 41 contre 32 %, avec l'éternel parti tiers, les Libéraux démocrates, à 11 %. Un tel résultat permettrait aux travaillistes et aux libéraux-démocrates de former un gouvernement, dont l'une des premières mesures serait probablement de changer le système de scrutin uninominal majoritaire à un tour de la Grande-Bretagne en un système de représentation proportionnelle. Un tel changement – puisque les travaillistes et les libéraux-démocrates sont tous deux des partis de centre-gauche – reléguerait les Tories dans l'opposition pendant un moment.

Contrairement à M. Sunak, un homme qui navigue à vue, Mme Truss semble percevoir ce danger politique plus large. Elle apporte une réponse au problème fondamental des Tories : comment sembler apporter des solutions nouvelles à des problèmes que l'on peut légitimement être accusés d'avoir créés, ayant été au gouvernement depuis mai 2010 ? Tout en ayant fidèlement servi David Cameron, Theresa May et Johnson, Truss s’est présentée sous un jour réformateur (en particulier dans la sphère économique) pour engranger les soutiens non seulement auprès de la base vitale des Tories qui choisira le prochain premier ministre, mais également auprès la population plus large qui déterminera le résultat des prochaines élections générales.

S'il y a peu de différence entre Truss et le sortant Boris Johnson en matière de politique étrangère – tous deux sont des partisans belliqueux (peut-être trop) de l'Ukraine, tous deux sont des membres à part entière de l'Anglosphère et de ses liens étroits avec les États-Unis, et tous deux considèrent la Chine comme la plus grande menace imminente pour les puissances mondiales actuelles – sur les questions économiques, un gouffre les sépare.

Elle a habilement saisi le désir fondamental de changement du Royaume-Uni.

Dr. John C. HULSMAN

Au niveau macroéconomique le plus élevé, Boris Johnson et son administration ont été des disciples du premier ministre Harold Macmillan et de ses ministres à la fin des années 1950 – des politiciens qui n'ont aucun désir de démanteler la grande machinerie de l'État et des impôts élevés, mais qui prétendent simplement la gérer mieux que leurs adversaires de gauche. En revanche, Mme Truss se réclame du thatchérisme, cet autre courant de pensée des conservateurs en matière de politique, en prônant la réduction des impôts et la libération de l’esprit animal du capitalisme afin de réaliser le potentiel économique du pays au niveau micro-économique.

Karl Marx, qui s'est trompé sur tant de choses au niveau de la politique pratique, avait raison dans sa définition du radicalisme : « Être radical, c'est saisir les choses par la racine ». Si les Tories choisissaient le rival de Truss, Sunak, dont l'approche compétente et complaisante pourrait bien atténuer le pire de la crise économique à venir sans jamais la maîtriser, sa conviction est que cela condamnerait les Tories à rien de mieux qu'une défaite respectable aux prochaines élections générales, et à l'oubli politique qui pourrait bien suivre. Au lieu de cela, en poussant un programme thatchérien radical de réductions d'impôts, elle essaie radicalement de maîtriser la crise économique elle-même.

Truss a fondé en 2011 le groupe de députés conservateurs Free Enterprise, qui prône le laisser-faire, et semble vouloir gouverner dans cet esprit plus radical. Alors que le premier ministre Johnson prévoyait de manière désastreuse d'augmenter l'impôt sur les sociétés de 19 à 25 % au cours des prochaines années, et que les impôts britanniques globaux n'ont jamais été aussi élevés depuis 50 ans, Truss entend inverser ce glissement vers le macmillanisme.

Mais il ne fait aucun doute que Truss joue le jeu. En effet, alors qu'elle est résolument en faveur des réductions d'impôts, elle dédaigne les réductions de dépenses et l'austérité (à la Cameron) qui rendraient une telle politique économique neutre en termes de revenus. Au lieu de cela, elle prévoit de suivre les plans de Johnson visant à injecter des masses d'argent dans le service national de santé, qui est horriblement mal géré (mais très apprécié). Mme Truss prévoit également d'augmenter considérablement les dépenses britanniques en matière de défense, jusqu'à 3 % du PIB, au-delà même des augmentations prévues par M. Johnson. Elle fait le pari que les réductions d'impôts se rembourseront d'elles-mêmes en termes d'augmentation de l'activité économique et que la Banque d'Angleterre se ressaisira et relèvera les taux d'intérêt de manière agressive afin de masquer les effets inflationnistes de ses plans de dépenses.

Il s'agit d'un véritable pari politique, mais Mme Truss a raison sur un point essentiel. Ne pas être radical à ce stade conduirait certainement à une défaite électorale des Tories. Pour éviter cela, le radicalisme est le seul plan dont elle dispose.

John C. Hulsman est président et directeur associé de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en matière de risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la City de Londres. Il peut être contacté via johnhulsman.substack.com.

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.