Il y a eu un gigantesque non-dit national après les récentes élections régionales, c’est le grand «ouf» de soulagement devant le fait que l’extrême droite n’ait pas réalisé une percée historique en raflant des régions entières. Ce soulagement était à la hauteur des attentes de certains et des craintes de beaucoup.
Le Rassemblement national (RN, anciennement Front National), mené par Marine Le Pen, était donné nettement gagnant dans tous les sondages. On lui promettait monts et merveilles et la route de l’Élysée lui semblait destinée.
Ces élections régionales devaient constituer une précieuse rampe de lancement pour un parti qui était sur le point de terminer son opération de «dédiabolisation» et de s’installer dans une normalité qui rendrait naturel son accès au pouvoir.
Or, l’échec électoral du parti de Marine Le Pen, son incapacité à arracher la moindre région, le recul avéré de l’extrême droite dans les urnes ont constitué une immense surprise pour l’ensemble du spectre politique français.
Cette défaite nous apporte une donnée fondamentale. Elle nous renseigne sur le fait que Marine Le Pen n’est pas capable de casser le plafond de verre qui la maintient à un certain seuil. Ce dernier, certes, lui permet de jouer les trouble-fêtes de la politique française, mais jamais d’accéder au pouvoir.
Beaucoup se disaient que ce plafond de verre était en train de fondre, doucement mais sûrement – et pour cause: toutes les thématiques chères à l’extrême droite (immigration, islam, terrorisme, sécurité) dominaient largement le débat politique français.
Marine Le Pen et ses soutiens lançaient la surenchère et les autres partis, qu’ils soient de gauche ou de droite, au gouvernement ou dans l’opposition, se voyaient contraints de suivre et de se positionner.
C’est le Rassemblement national, mené par Marine Le Pen et Jordan Bardella, aidés entres autres par un certain nombre de personnalités – le polémiste Éric Zemmour, l’avocat Gilbert Collard, l’ancien président de reporters sans frontières, devenu maire de Béziers, Rober Ménard – qui ont imposé le tempo de l’actualité.
Une certaine actualité, reprise et survendue par des médias qui sont devenus le lieu où la pensée de l’extrême droite s’élabore et se diffuse, où la préparation des esprits à l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen se réalise au quotidien comme sur la chaîne d’information continue CNews ou dans l’hebdomadaire à droite Valeurs actuelles.
Dans cette bataille présidentielle, dont les enjeux ne seront réellement lancés qu’au mois de septembre, Marine Le Pen aura à composer avec deux grandes inconnues.
Mustapha Tossa
Mais cette architecture politique, cette construction idéologique autour de l’extrême droite triomphante vient de subir un sérieux revers. Et si Marine Le Pen et sa démarche politique n’était qu’une illusion d’optique simplement susceptible de séduire une niche de Français amers et en colère?
Après cet échec aux régionales et avec l’avenir peu prometteur qui s’annonce pour Marine Le Pen, nombreux sont les doctes politologues qui ont tenté d’expliquer les ressorts, d’éclairer les mécanismes de cette faillite.
Deux explications ressortent principalement dans leurs réflexions. La première concerne la stratégie du Rassemblement national qui a consisté à normaliser son programme, à lisser son image jusqu’à la rendre méconnaissable aux yeux de son électorat traditionnel, habitué aux clivages aigus, aux ruptures fracassantes et aux violentes polémiques.
La seconde explication est liée au le nom de «Le Pen». Selon certaines analyses, ce nom renverrait aux angoisses les plus sourdes des Français, à leur peur de voir leur pays basculer dans les affrontements communautaires ou dans la guerre civile. C’est un repoussoir qui éloigne de la tentation de confier le pouvoir a l’extrême droite.
C’est en tout cas une terrible douche froide que les milieux d’extrême droite et leurs sympathisants en France viennent de subir. Ils se consolent en prétendant que la dynamique des élections régionales est différente de celle de l’élection présidentielle: alors, l’icône de l’extrême droite Marine Le Pen pourra séduire un plus grand nombre d’électeurs.
Face à cet argument, ceux qui s’opposent à l’extrême droite pourront toujours arguer qu’une force politique incapable de gagner une région aura forcément du mal à s’imposer à l’échelle nationale. Seul bémol à ce raisonnement: la règle s’applique aussi au président français, Emmanuel Macron. En effet, son parti, La République en marche, n’a même pas atteint les 10% de l’électorat et s’est révélé incapable d’agir sur l’équilibre politique des régions.
Dernière stratégie de rupture, Marine Le Pen a décidé, lors du dernier congrès de son parti, dans la ville de Perpignan, de confier la présidence effective du Rassemblement national au jeune et prometteur Jordan Bardella. Quant à elle, elle tentera d’attirer à elle les électeurs que rebutent le label «RN», encore trop lié à l’ancien FN. Le pari est risqué. Elle sous-traitera au RN la radicalité indispensable au maintien de la flamme revendicatrice et antisystème qui fait l’ADN de l’extrême droite tandis qu’elle optera pour une approche rassurante, séductrice et rassembleuse.
Dans cette bataille présidentielle, dont les enjeux ne seront réellement lancés qu’au mois de septembre, Marine Le Pen aura à composer avec deux grandes inconnues: la capacité de résistance d’Emmanuel Macron, candidat naturel pour un second mandat, et la capacité de renaissance de la droite classique, dont certains leaders se voient déjà à l’Élysée. La qualification au second tour de la présidentielle de Marine Le Pen, qui semblait acquise avant les élections régionales, s’est transformée en une grande incertitude.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24.
Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
Twitter : @tossamus
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.