Les choix difficiles de la Turquie après les sommets de l'Otan et de l'UE

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, tient une conférence de presse lors du sommet de l'Otan au siège de l'Alliance à Bruxelles, en Belgique, le 14 juin 2021. (Archive/Reuters)
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, tient une conférence de presse lors du sommet de l'Otan au siège de l'Alliance à Bruxelles, en Belgique, le 14 juin 2021. (Archive/Reuters)
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Publié le Jeudi 08 juillet 2021

Les choix difficiles de la Turquie après les sommets de l'Otan et de l'UE

Les choix difficiles de la Turquie après les sommets de l'Otan et de l'UE
  • Pour la Turquie, la question la plus importante du sommet de l'UE était celle de la modernisation de son union douanière avec le bloc, mais aucune mesure concrète n’a été prise en ce sens
  • Des questions controversées telles que le système de défense aérienne S-400, et l'expulsion de la Turquie du programme d’avions de chasse F-35 n’ont pas été abordées entre Erdogan et Biden

La Turquie fait face à des choix difficiles  après deux importants sommets qui ont eu lieu le mois dernier. Le premier était le sommet de l'Otan, le 14 juin. L'attention de la Turquie lors de cette réunion s'est concentrée sur les pourparlers entre le président Recep Tayyip Erdogan et son homologue américain, Joe Biden, qui se sont tenus en marge du sommet.

Les deux dirigeants ont maintenu un statu quo, mais n'ont œuvré à améliorer leurs relations. Des questions controversées telles que le système de défense aérienne S-400, et l'expulsion de la Turquie du programme d’avions de chasse F-35 n’ont pas été abordées, ou ont été reportées.

Le second événement était le sommet de l'Union européenne (UE) des 24 et 25 juin. Il a été davantage consacré aux conflits internes du bloc européen, à la régression en matière de droits de l'homme, à la Hongrie, et à la politique de l'UE en Russie.

Les discussions entre la Turquie et l'UE ont été centrées sur l’enjeu des réfugiés. La chancelière allemande, Angela Merkel, est à la recherche d'un accord avec la Turquie car, si Ankara ne peut arrêter le flux de réfugiés vers les pays de l'UE, les partis de droite en Allemagne pourraient renforcer leur assise, au détriment de l'alliance politique démocrate-chrétienne de Merkel lors des prochaines élections.

Pour la Turquie, la question la plus importante du sommet de l'UE était celle de la modernisation de son union douanière avec le bloc. Toutefois, l'UE n'a pris aucune mesure concrète sur ce sujet important. Elle a simplement «pris note du début des travaux au niveau technique, en vue de moderniser l'union douanière UE-Turquie».

Les activités d'exploration pétrolière et gazière de la Turquie en Méditerranée orientale semblent être suspendues pour le moment, mais l'épée de Damoclès de l'UE continue de planer sur la Turquie si l'exploration venait à reprendre.

Pourquoi ces deux sommets mettraient-ils la Turquie face des choix difficiles? Parce que leurs résultats mettent Ankara face à des défis et des opportunités.

La mer Noire pourrait être déstabilisée à la suite des crises ukrainienne et criméenne. Les premiers signes ont été observés à la fin du mois dernier, lorsqu'un navire russe a apparemment tiré des coups de semonce sur un navire de la marine britannique. Un navire néerlandais a également été harcelé par des avions russes la semaine dernière. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas considèrent que les eaux territoriales de Crimée appartiennent à l'Ukraine, car elles refusent de reconnaître l'annexion de la Crimée. Si les tensions augmentent en mer Noire, la Turquie pourrait être entraînée dans un conflit qu’elle ne désire pas.

Si les tensions augmentent en mer Noire, la Turquie pourrait être entraînée dans un conflit qu’elle ne désire pas.

Yasar Yakis 

Cependant, en tant que pays riverain de la mer Noire, voire dépositaire de la Convention de Montreux de 1936, qui réglemente le passage maritime par les détroits turcs, Ankara ne peut pas ne pas réagir dans cette situation instable. Cela pourrait amener la Turquie à s’opposer à la Russie, en tant que membre de l’Otan qui ne reconnaît pas l'annexion de la Crimée. De surcroît, la Turquie entretient également une coopération étroite dans l'industrie de la défense avec l'Ukraine, avec laquelle Moscou est en désaccord.

Pendant ce temps, le Caucase du Sud n'est pas encore stabilisé, malgré les efforts de la Russie. La réélection de Nikol Pashinian au poste de Premier ministre en Arménie, et l’échec de l'initiative de l'ex-président, Robert Kotcharian, d'annuler les résultats, pourraient encourager les partisans occidentaux du premier à se montrer plus durs envers la Russie, tout en traînant les pieds dans la normalisation des relations azéri-arméniennes. La Turquie est désireuse de s'impliquer plus étroitement dans ce processus, mais la Russie préfère rester le maître du jeu.

Ankara s'est portée volontaire pour prendre en charge la sécurité de l'aéroport de Kaboul, en Afghanistan, ce qui l'impliquera plus profondément dans la crise afghane. Les Talibans contrôlent plus d'un tiers du territoire afghan, et pourraient à terme s'emparer de Kaboul.

Le peuple afghan, y compris les partisans des Talibans, n'a pas de ressentiment envers la Turquie en général. Deux groupes ethniques qui parlent des langues turques – les Ouzbeks et les Turkmènes – représentent environ 13% de la population afghane. La frontière nord-est du pays touche la province chinoise du Xinjiang, foyer de peuplement turcophone musulman en Asie centrale. Ces connexions compliquées rendent le rôle d'Ankara en Afghanistan d'autant plus délicat.

L'implication de la Turquie est déjà suffisamment importante en Syrie, en Irak et en Libye. Il ne sera pas facile pour elle de se désengager de ces pays. Les États-Unis ne semblent pas prêts à renoncer à leur soutien à la cause kurde en Syrie, qui constitue un cauchemar pour la Turquie, toutefois Ankara continue de coopérer avec Washington pour se débarrasser du régime Assad. Dans la province syrienne d'Idlib, la Turquie est engagée dans une coopération délicate avec la Russie. Les deux puissances coopèrent pour deux causes contradictoires: la Russie veut éliminer tous les opposants au régime syrien, tandis que la Turquie veut les persuader de rendre les armes.

La Turquie se retrouve mise à l’écart par la communauté euro-atlantique, mais elle est à l'avant-garde d'un nouveau Moyen-Orient. Elle est certainement tentée de jouer un rôle dans ce processus. Ankara pourrait-elle incarner un rôle dans cette tourmente? Cela aurait certainement été plus facile pour la Turquie d’il y a quinze ans que pour celle d’aujourd’hui.

 

Yasar Yakis est ancien ministre turc des Affaires étrangères, et membre fondateur du parti AK au pouvoir. Twitter: @yakis_yasar

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com