Le remplissage du réservoir du Gerd par l’Éthiopie n’est peut-être que le début des ennuis de l’Égypte

Alors que le Nil Bleu est en train de déborder en raison des eaux estivales, Addis-Abeba a informé l’Égypte lundi dernier du début de la phase de remplissage du barrage. (AFP)
Alors que le Nil Bleu est en train de déborder en raison des eaux estivales, Addis-Abeba a informé l’Égypte lundi dernier du début de la phase de remplissage du barrage. (AFP)
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Publié le Jeudi 08 juillet 2021

Le remplissage du réservoir du Gerd par l’Éthiopie n’est peut-être que le début des ennuis de l’Égypte

  • L’ONU exhorte l’Éthiopie, le Soudan et l’Égypte à renouveler leur engagement pour éviter toute action unilatérale liée à l’exploitation d’un barrage hydroélectrique
  • Il n’y a tout simplement pas suffisamment d’eau pour répondre aux besoins croissants des onze pays qui dépendent du bassin du Nil

LONDRES: Dans le cadre d’appels à la reprise des pourparlers et d’une intervention de dernière minute de l’Organisation des Nations unies (ONU), une dure réalité prend de plus en plus forme à mesure que l’Éthiopie commence à remplir son Grand barrage de la Renaissance éthiopienne (Gerd).

Il n’y a tout simplement pas suffisamment d’eau pour répondre aux besoins croissants des onze pays qui dépendent du bassin du Nil.

Le Gerd constitue la preuve que l’Initiative du bassin du Nil, une alliance créée en 1999 entre les pays du bassin pour garantir un accès équitable aux eaux du grand fleuve, a échoué.

Alors que le Nil Bleu est en train de déborder en raison des eaux estivales, Addis-Abeba a informé l’Égypte lundi dernier du début de la phase de remplissage du barrage.

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Cette semaine, la stratégie décennale de l’Initiative du bassin du Nil semble n’avoir aucune valeur. (AFP)

La moitié des Éthiopiens – le pays compte 120 millions d’habitants – n’ont pas accès à l’électricité et le gouvernement voudrait désespérément commencer à produire de l’électricité à usage domestique et à des fins d’exportation rentable.

L’Égypte craint que le barrage ne prive le pays de quantités indispensables d’eau; elle considère cette décision unilatérale comme une menace à la stabilité régionale.

Après avoir régné en maître sur le Nil pendant des siècles, l’Égypte risque de ne plus bénéficier, au XXIe siècle, des droits exclusifs de cette ressource internationale et transfrontalière.

À la demande de l’Égypte et de son voisin le Soudan, le Conseil de sécurité de l’ONU discutera jeudi prochain de la crise qui s’aggrave. Il signale toutefois qu’il ne peut faire grand-chose.

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À mesure que les populations des onze pays membres du bassin augmentent, «la demande d’énergie dans le bassin du Nil devrait tripler d’ici à 2035», précise l’Initiative du bassin du Nil. (AFP)

Cette semaine, la stratégie décennale de l’Initiative du bassin du Nil, élaborée en 2017 pour garantir «une coopération et une action commune entre les pays riverains dans l’intérêt de tout le monde», semble n’avoir aucune valeur.

Le but de cette initiative est louable: utiliser les eaux du Nil «de manière équitable pour assurer la prospérité, la sécurité et la paix à tous les peuples». Cependant, cet objectif apparaît aujourd’hui comme une ambition chimérique.

La réalité à laquelle font face les onze pays du bassin du Nil – avec l’Égypte en tête de liste – est que la quantité d’eau est limitée et qu’il y a de plus en plus de personnes qui la consomment.

L’énigme du Nil ne peut être résolue que s’il y a des gagnants et des perdants. Le volume d’eau qui s’écoule chaque année dans le Nil Bleu et dans le Nil Blanc est restreint. Certes, il varie d’une saison à une autre, mais le volume moyen disponible pour les onze pays du bassin du Nil est limité.

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Le Gerd constitue la preuve que l’Initiative du bassin du Nil a échoué. (AFP)

Or, les populations de ces pays, ainsi que leurs ambitions de développement, ne semblent pas, elles, limitées.

Aujourd’hui, 260 millions de personnes environ – soit 54% de la population totale des onze pays traversés par le Nil – vivent dans le bassin. L’Égypte compte de loin le plus grand nombre de citoyens qui dépendent de ses eaux: 86 millions, soit 94% de sa population totale.

L’Égypte souffre déjà de ce que l’ONU appelle la «pénurie d’eau» lorsque l’approvisionnement est inférieur à 1 000 mètres cubes d’eau par personne et par an. Les Égyptiens disposent actuellement de 570 mètres cubes environ. Cette valeur devrait tomber en dessous de 500 d’ici à 2025, même sans tenir compte du Gerd.

Conformément aux prévisions de l’ONU, la population de l’Égypte devrait augmenter de plus de 50% d’ici à 2050 pour atteindre environ 150 millions de personnes.

De même, la population de l’Éthiopie devrait passer de 120 à plus de 200 millions en 2050. Un schéma de croissance similaire est prévu pour tous les pays du bassin du Nil.

«Si la croissance des pays se passe comme prévu, nous aurons besoin d’un Nil et demi d’ici à 2050», affirme dans sa stratégie décennale l’Initiative du bassin du Nil. La solution qu’elle propose semble simple:

«Ensemble, nous pourrons mieux surveiller, gérer et développer le Nil, en plus d’utiliser les ressources d’eau disponibles de manière plus efficace, tout en explorant de nouvelles ressources. Ainsi, nous aurons suffisamment d’eau pour nous tous», promet l’Initiative du bassin du Nil.

Certes, l’Égypte peut faire des économies: limiter les pertes d’eau qui découlent des fuites et de l’évaporation, éviter les cultures trop gourmandes en eau comme le riz et recourir à l’importation pour que le coût de l’eau incombe à d’autres pays.

Dans un entretien datant du mois de juin, le porte-parole du ministère égyptien de l’Eau, Mohamed Ghanem, a mis en évidence les mesures que le gouvernement prenait déjà comme la réparation des canaux et des drains qui fuient ainsi que la modernisation des systèmes d’irrigation.

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Aussi importante soit-elle, la querelle au sujet du barrage pourrait bientôt être éclipsée par une réalité plus grave. (AFP)

Toutes ces initiatives nécessitent cependant un investissement très important en termes d’argent et de temps, sans compter les pertes d’emploi préjudiciables d’un point de vue politique au sein de la communauté agricole.

En outre, même si «l’adoption de l’intégralité – ou d’une partie – des stratégies proposées pourrait réduire ou éliminer l’incidence du Gerd sur l’Égypte», comme les chercheurs de l’université de Zagazig le prédisent, le barrage pourrait bientôt devenir le dernier des soucis de l’Égypte.

L’un des objectifs de la stratégie de l’Initiative du bassin du Nil permet de donner un indice sur ce que réserve l’avenir. «Libérer et optimiser le potentiel hydroélectrique» met en lumière une réalité, symbolisée par la crise du Gerd, qui verra les pays s’affronter pour obtenir leur part de l’abondance limitée du Nil.

À mesure que les populations des onze pays membres du bassin augmentent, «la demande d’énergie dans le bassin du Nil devrait tripler d’ici à 2035», indique l’Initiative du bassin du Nil.

La solution? «Ensemble, nous pourrons construire les bons barrages aux bons endroits, connecter nos réseaux électriques et échanger l’énergie exploitée afin que nous profitions tous du Nil pour éclairer nos villes et dynamiser nos économies.»

L’Éthiopie et ses voisins situés en aval, l’Égypte et le Soudan, sont tous membres de l’Initiative du bassin du Nil. Pourtant, malgré l’engagement pris par l’organisation pour soutenir la collaboration entre ses membres, la planification, la construction et désormais l’exploitation du Gerd vont à l’encontre de la coopération.

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Il n’y a tout simplement pas suffisamment d’eau pour répondre aux besoins croissants des onze pays qui dépendent du bassin du Nil. (AFP)

Aussi importante soit-elle, la querelle au sujet du barrage pourrait bientôt être éclipsée par une réalité plus grave: le mois dernier, le Soudan du Sud a également fait part de son intention de construire un barrage hydroélectrique sur le Nil Blanc, en amont du Soudan et de l’Égypte.

Près de 80% des eaux d’Égypte proviennent du Nil Bleu et de ses affluents, mais la réduction du débit des 20% restants constituerait une source de problèmes supplémentaires pour le pays.

Et nous n’en sommes peut-être qu’au début.

Alors que l’Éthiopie commence à remplir le réservoir du Gerd, le pays élabore, en parallèle, des projets qui concernent la construction d’au moins trois barrages supplémentaires. Une fois que le Gerd commencera à générer de l’électricité et des revenus d’exportation, Addis-Abeba ne devrait guère avoir de peine à convaincre les investisseurs internationaux de soutenir de nouvelles centrales hydroélectriques.

Le succès de l’Éthiopie avec le Gerd pourrait entraîner la construction d’autres barrages dans le bassin du Nil.

«La plupart des pays du bassin du Nil connaissent une croissance économique rapide, comme l’indiquent les tendances récentes du PIB. Cette dernière s’accompagne à son tour d’une demande accrue en eau, en énergie et en alimentation», affirme l’Initiative du bassin du Nil.

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Après avoir régné en maître sur le Nil pendant des siècles, l’Égypte risque de ne plus bénéficier, au XXIe siècle, des droits exclusifs de cette ressource internationale et transfrontalière. (AFP)

Le bassin du Nil «offre un énorme potentiel en matière de production d’énergie hydroélectrique, mais demeure largement inexploité. Les installations existantes représentent 26% de sa capacité réelle».

Il est fort probable que les autres pays du bassin du Nil désirent placer leurs économies et leurs sociétés sur un pied d’égalité avec celles de l’Égypte.

La querelle du Gerd n’est que le début d’une crise bien plus profonde qui pourrait rapidement s’aggraver si des mesures ne sont pas prises pour y faire face.

Ni l’Union africaine, ni la Ligue arabe, ni l’Initiative du bassin du Nil ne sont parvenues à sortir de l’impasse au sujet du barrage. Cette semaine, le Conseil de sécurité risque fort de s’engager dans la même voie.

Pour la sécurité de toute la région, une intervention diplomatique internationale préventive est indispensable afin de lutter contre les catastrophes qui menacent le Nil, comme les orages estivaux qui grondent au-dessus des hauts plateaux éthiopiens.

 

Twitter: @JonathanGornall

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Le mouvement Hamas diffuse une vidéo de deux otages israéliens retenus à Gaza

La branche armée du Hamas a diffusé vendredi une vidéo de deux otages israéliens, enlevés lors de l'attaque sanglante menée par le mouvement islamiste palestinien le 7 octobre 2023 en Israël, qui a déclenché la guerre à Gaza. (AFP)
La branche armée du Hamas a diffusé vendredi une vidéo de deux otages israéliens, enlevés lors de l'attaque sanglante menée par le mouvement islamiste palestinien le 7 octobre 2023 en Israël, qui a déclenché la guerre à Gaza. (AFP)
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  • Selon les médias israéliens, l'homme qui s'exprime pendant la plus grande partie de la vidéo est Guy Gilboa-Dalal, âgé de 22 ans au moment de son enlèvement
  • Le mouvement Hamas diffuse une vidéo de deux otages israéliens retenus à Gaza

GAZA: La branche armée du Hamas a diffusé vendredi une vidéo de deux otages israéliens, enlevés lors de l'attaque sanglante menée par le mouvement islamiste palestinien le 7 octobre 2023 en Israël, qui a déclenché la guerre à Gaza.

La vidéo, de plus de trois minutes et demi, montre un otage, dans une voiture se déplaçant au milieu d'immeubles détruits, demandant en hébreu au Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, de ne pas mener l'offensive militaire israélienne prévue contre la ville de Gaza.

L'otage, filmé rencontrant un autre otage à la fin de la vidéo, dit se trouver dans la ville de Gaza et que la vidéo a été tournée le 28 août 2025.

L'AFP n'a pas pu vérifier l'authenticité de la vidéo, ni la date de son enregistrement.

Selon les médias israéliens, l'homme qui s'exprime pendant la plus grande partie de la vidéo est Guy Gilboa-Dalal, âgé de 22 ans au moment de son enlèvement.

Il était déjà apparu dans une vidéo publiée par le Hamas le 23 février, désespéré, assistant à la libération d'autres otages pendant la trêve alors en vigueur.

Guy Gilboa-Dalal a été enlevé le 7 octobre 2023 au festival de musique Nova, dans le sud d'Israël, à la lisière de la bande de Gaza.

La famille du deuxième otage apparaissant à la fin de la séquence n'a pas autorisé que son identité soit rendue publique.

Sur les 251 personnes enlevées le 7 octobre, 47 sont toujours retenues à Gaza, dont 25 sont décédées selon l'armée israélienne.

Depuis le 7-Octobre, plusieurs vidéos d'otages ont été diffusées par le Hamas et le Jihad islamique.

Une trêve du 19 janvier au 17 mars a permis le retour en Israël de 33 otages, incluant huit morts, en échange de la sortie d'environ 1.800 Palestiniens des prisons israéliennes, après un premier bref cessez-le-feu en novembre 2023 ayant permis la libération de nombreux otages.


La Défense civile à Gaza fait état de 19 morts dans des frappes israéliennes

L'aviation israélienne a frappé des immeubles et des tentes de personnes déplacées dans plusieurs quartiers de la ville de Gaza et de sa périphérie, a indiqué la Défense civile dans un communiqué transmis à l'AFP. (AFP)
L'aviation israélienne a frappé des immeubles et des tentes de personnes déplacées dans plusieurs quartiers de la ville de Gaza et de sa périphérie, a indiqué la Défense civile dans un communiqué transmis à l'AFP. (AFP)
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  • Compte tenu des restrictions imposées aux médias à Gaza et des difficultés d'accès sur le terrain, l'AFP n'est pas en mesure de vérifier de manière indépendante le bilan de la Défense civile
  • Interrogée par l'AFP, l'armée israélienne a dit ne pas être en mesure de commenter les informations sur ces dernières frappes sans leurs coordonnées précises

GAZA: La Défense civile dans la bande de Gaza a fait état de 19 morts dans des frappes aériennes israéliennes depuis l'aube vendredi dans le territoire palestinien en guerre.

L'aviation israélienne a frappé des immeubles et des tentes de personnes déplacées dans plusieurs quartiers de la ville de Gaza et de sa périphérie, a indiqué la Défense civile dans un communiqué transmis à l'AFP.

Cette organisation de premiers secours qui opère sous l'autorité du mouvement islamiste Hamas a fait état de 19 morts et au moins dix blessés dans ces bombardements.

Compte tenu des restrictions imposées aux médias à Gaza et des difficultés d'accès sur le terrain, l'AFP n'est pas en mesure de vérifier de manière indépendante le bilan de la Défense civile.

Interrogée par l'AFP, l'armée israélienne a dit ne pas être en mesure de commenter les informations sur ces dernières frappes sans leurs coordonnées précises.

Jeudi, le porte-parole de l'armée israélienne, Effie Defrin, avait indiqué que les troupes israéliennes contrôlaient 40% de la ville de Gaza.

Les autorités israéliennes ont annoncé leur intention de conquérir toute cette ville du nord de la bande de Gaza mais un porte-parole de l'armée israélienne, Nadav Shoshani, a dit que le début de cette opération ne serait pas annoncé pour "conserver l'effet de surprise".

Mercredi, un haut responsable militaire a déclaré qu'Israël s'attendait à ce qu'un million de personnes fuient vers le sud.

L'ONU estime que près d'un million de personnes vivent à Gaza-ville et dans ses environs, région frappée par la famine selon l'organisation, ce qu'a démenti Israël.

La guerre a été déclenchée par l'attaque sans précédent menée par le Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, qui a entraîné la mort de 1.219 personnes côté israélien, en majorité des civils, selon un décompte de l'AFP à partir de données officielles.

Sur les 251 personnes enlevées ce jour-là, 47 restent otages à Gaza dont 25 sont décédées selon l'armée israélienne.

Les représailles militaires israéliennes ont depuis fait au moins 64.231 morts dans la bande de Gaza, en majorité des civils, selon des chiffres du ministère de la Santé du Hamas, jugés fiables par l'ONU.


Le dernier refuge des familles de Gaza est désormais une «ville de la peur, de la fuite et des funérailles» où l'enfance ne peut pas survivre

Un homme réagit à côté d'un Palestinien tué lors d'une frappe israélienne à l'hôpital Al-Ahli Arab dans la ville de Gaza, le 4 septembre 2025. (Reuters)
Un homme réagit à côté d'un Palestinien tué lors d'une frappe israélienne à l'hôpital Al-Ahli Arab dans la ville de Gaza, le 4 septembre 2025. (Reuters)
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  • Après avoir passé 9 jours dans le territoire, une fonctionnaire de l'UNICEF met en garde contre les déplacements répétés, les enfants séparés de leurs parents, les mères pleurant leurs enfants morts de faim
  • Elle parle de jeunes mutilés par des éclats d'obus qu'elle a rencontrés dans les hôpitaux et met en garde : L'impensable n'est pas à venir, il est déjà là

NEW YORK : Autrefois refuge pour les familles, la ville de Gaza est aujourd'hui un endroit où "l'enfance ne peut pas survivre", a déclaré jeudi un haut responsable de l'UNICEF.

"C'est une ville de peur, de fuite et de funérailles ", a déclaré Tess Ingram, responsable de la communication de l'organisation pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, s'exprimant depuis Gaza.

"Le monde tire la sonnette d'alarme sur ce qu'une intensification de l'offensive militaire dans la ville de Gaza pourrait entraîner : une catastrophe pour près d'un million de personnes. Mais nous ne pouvons pas attendre que l'impensable se produise pour agir".

Après avoir passé neuf jours dans le territoire, M. Ingram a raconté des histoires de déplacements répétés, d'enfants séparés de leurs parents, de mères pleurant des enfants morts de faim et d'autres qui craignent que leurs enfants ne soient les prochains.

Elle a également parlé de jeunes mutilés par des éclats d'obus qu'elle a rencontrés dans des hôpitaux et a lancé un avertissement : "L'impensable n'est pas à venir, il est déjà là.

La montée en flèche de la malnutrition infantile est l'une des plus graves situations d'urgence à Gaza. Sur les 92 centres de nutrition ambulatoires de la ville de Gaza, soutenus par l'UNICEF, seuls 44 sont encore opérationnels.

"C'est à cela que ressemble la famine dans une zone de guerre", a déclaré Mme Ingram, décrivant des cliniques surchargées, remplies d'enfants affamés et de parents désespérés. Elle a raconté que de nombreuses familles survivent grâce à un seul bol quotidien de lentilles ou de riz, partagé entre tous les membres, les mères sautant des repas pour que leurs enfants puissent manger.

Elle a raconté en particulier l'histoire de Nesma, une mère qu'elle a rencontrée pour la première fois en avril 2024. La fille de Nesma, Jana, a été évacuée de Gaza pour recevoir un traitement médical contre la malnutrition et s'est rétablie. Mais après le bref cessez-le-feu à Gaza et le retour de la famille dans le nord du territoire, le blocus a repris. Le fils cadet de Nesma, Jouri, est mort le mois dernier de malnutrition, a indiqué M. Ingram, et Jana, à nouveau gravement malade, tient à peine le coup.

"Je suis anéantie après avoir élevé mon enfant et l'avoir perdu dans mes bras", a déclaré Nesma à Ingram. "Je supplie de ne pas perdre Jana aussi.

L'UNICEF continue d'opérer dans la bande de Gaza, apportant une aide vitale. Au cours des deux dernières semaines, il a fourni suffisamment d'aliments thérapeutiques pour 3 000 enfants souffrant de malnutrition sévère, des aliments complémentaires pour 1 400 nourrissons et des biscuits à haute teneur énergétique pour 4 600 femmes enceintes ou allaitantes. Mais les besoins de la population du territoire sont bien plus importants.

Les statistiques sont brutales. En février, 2 000 enfants ont été admis dans des centres de santé pour y être traités contre la faim. En juillet, ce chiffre est passé à 13 000. Au cours de la seule première quinzaine d'août, 7 200 autres ont été admis.

Pendant ce temps, l'accès à Gaza reste étroitement limité par les autorités israéliennes. En moyenne, seuls 41 camions d'aide entrent dans le territoire chaque jour, un nombre négligeable par rapport aux 6 000 à 8 500 camions nécessaires. Même les jours les plus favorables, seuls une centaine de camions parviennent à passer. Les barrières bureaucratiques et sécuritaires, associées au pillage, entravent encore davantage les efforts de distribution de l'aide.

L'UNICEF recherche 716 millions de dollars de financement auprès de la communauté internationale pour son intervention à Gaza, mais le financement n'est que de 39 %. Malgré les conditions de famine, l'aide nutritionnelle n'est financée qu'à hauteur de 17 %.

"Nous pourrions faire beaucoup plus et atteindre chaque enfant si nos opérations étaient mises en place à grande échelle et entièrement financées", a déclaré M. Ingram.

Des fournitures essentielles telles que des couches et du lait maternisé spécialisé sont livrées en quantités limitées, mais il en faut beaucoup plus. Selon M. Ingram, certaines fournitures sont pillées en cours de route, un problème qui pourrait être résolu si les volumes d'aide étaient suffisants pour répondre à la demande.

En plus de répondre aux besoins nutritionnels, l'UNICEF fournit également de l'eau potable, des salles de classe provisoires, des services de protection de l'enfance, un soutien en matière de santé mentale, du matériel hospitalier et une aide en espèces.

Mais les hôpitaux restent débordés. Sur les 11 qui fonctionnent encore partiellement dans la ville de Gaza, seuls cinq disposent d'unités de soins intensifs néonatals. Quarante couveuses, utilisées à 200 % de leur capacité, maintiennent en vie 80 nouveau-nés fragiles, mais dépendent d'une alimentation électrique irrégulière et en baisse.

Même les zones dites "sûres" sont devenues mortelles. Au cours d'une nuit récente, une jeune fille de 13 ans, Mona, a survécu à une frappe israélienne qui a tué sa mère, son frère de 2 ans et sa sœur de 8 ans. Elle est aujourd'hui allongée dans un lit d'hôpital après une opération de l'abdomen et l'amputation de sa jambe gauche.

"J'ai eu très mal", a déclaré Mona à M. Ingram. "Mais je ne suis pas triste pour ma jambe ; je suis triste d'avoir perdu ma mère.

Mme Ingram a exhorté les autorités israéliennes à revoir leurs règles d'engagement afin de mieux protéger les enfants, conformément aux principes du droit international humanitaire, et a appelé le Hamas et les autres groupes armés à libérer les otages. Elle a insisté sur la nécessité pour les deux parties au conflit de permettre un accès sûr et durable aux travailleurs humanitaires, de protéger les civils et les infrastructures essentielles, et de rétablir l'accord de cessez-le-feu.

"La vie des Palestiniens est en train d'être démantelée", a déclaré Mme Ingram. "À Gaza, l'impensable a déjà commencé. Le coût de l'inaction se mesurera en vies d'enfants ensevelis sous les décombres, anéantis par la faim et réduits au silence avant même d'avoir eu l'occasion de s'exprimer.