Iran: la bombe et l’accord

Une visioconférence en Iran montrant les centrifugeuses de Natanz. (AFP/Handout Iranian presidency).
Une visioconférence en Iran montrant les centrifugeuses de Natanz. (AFP/Handout Iranian presidency).
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Publié le Samedi 10 juillet 2021

Iran: la bombe et l’accord

Iran: la bombe et l’accord
  • Jour après jour, on constate que l’Iran relance de plus belle son projet originel: rejoindre le club très fermé des puissances nucléaires
  • Il est évident que le régime iranien ne cesse de multiplier les provocations envers les forces américaine basées en Irak

Jour après jour, on constate que l’Iran relance de plus belle son projet originel: rejoindre le club très fermé des puissances nucléaires, en se dépêchant de se doter de l’arme ultime de destruction massive malgré les affirmations répétées de ses dirigeants, selon lesquels le pays ne vise en aucun cas à développer l’arme nucléaire. Cette dernière serait, selon la rhétorique en vigueur, interdite par une «fatwa» du Guide suprême, Ali Khamenei, qui n’inscrirait le programme nucléaire qu’à des fins strictement civiles.

Pour beaucoup d’observateurs avisés, l’Iran serait sur le point de se lancer dans une course contre la montre afin de développer les capacités technologiques nécessaires à la fabrication de l’arme nucléaire. Le fait est que les pourparlers de Vienne, qui ont pour objectif de relancer l’accord sur la limitation des ambitions nucléaires de l’Iran, s’enlisent après six rounds.

L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien – Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) ou «Plan d’action global commun» (PAGC) – a été signé en 2015 et les États-Unis de Donald Trump s’en étaient retirés en 2018 avant de rétablir des sanctions sévères contre le régime de Téhéran. Il ne tient actuellement qu’à un fil et risque fort de ne plus voir le jour. Il apparaît également que le septième round des pourparlers de Vienne tarde à reprendre car les parties prenantes n’arrivent plus, depuis l’élection présidentielle iranienne du 18 juin dernier, à se mettre d’accord sur la ligne à suivre. En amorçant une reprise du processus d’enrichissement d’uranium bien supérieur au seuil autorisé par l’accord de 2015 (JCPOA/PAGC), allant jusqu’à 20%, voire plus de 60% dans certains cas, Téhéran ne fait qu’envenimer la situation.
 

En amorçant une reprise du processus d’enrichissement d’uranium bien supérieur au seuil autorisé par l’accord de 2015 (JCPOA/PAGC), allant jusqu’à 20%, voire plus de 60% dans certains cas, Téhéran ne fait qu’envenimer la situation.

Ali Hamadé

Ce processus d’enrichissement qui dépasse le seuil autorisé de 3,74% – suffisant à l’usage du nucléaire à des fins civiles – s’inscrit dans le cadre d’un bras de fer engagé par le régime iranien avec les puissances européennes que sont l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni (UE-3) ainsi qu’avec les États-Unis. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en fait les frais. Les autorités iraniennes ont, dès le mois de février dernier, restreint aux inspecteurs de l’agence l’accès aux sites nucléaires, se contentant d’un arrangement temporaire avec l’AIEA pour trois mois, renouvelé en mai dernier pour un mois supplémentaire.

Cet arrangement stipulait que les informations enregistrées sur les sites nucléaires ne seraient remises à l’agence qu’au terme d’une issue positive des pourparlers de Vienne. Aujourd’hui, l’AEIA ne sait absolument rien des activités développées dans les sites nucléaires iraniens. En outre, ses inspecteurs ne seraient plus autorisés à mener des descentes sur des sites jugés suspects. L’accord temporaire est arrivé à expiration le 21 juin dernier et le régime n’a donné suite à aucune des requêtes de l’agence, qui demandait son renouvellement.

Sur un autre plan, il est évident que le régime iranien ne cesse de multiplier les provocations envers les forces américaine basées en Irak. De nombreuses attaques à la roquette ou menées par des drones kamikazes se sont produites un peu partout, de Bagdad à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, en passant par différentes bases militaires qui regroupent des forces irakiennes et américaines. Ces offensives sont menées sans relâche depuis le mois de février dernier par des milices pro-iraniennes qui opèrent dans le cadre du Hachd al-Chaabi (coalition paramilitaire de milices en majorité chiites).

Il ne fait aucun doute que ces milices agissent sous les ordres de la puissante force Al-Qods, cette unité d’élite qui appartient aux forces des Gardiens de la révolution en Iran. La pression iranienne sur le théâtre irakien ne cesse de s’intensifier. Plusieurs diplomates occidentaux qui se penchent sur le dossier iranien pensent que Téhéran se lance dans une provocation militaire à l’égard des États-Unis tout en bloquant sciemment la reprise du processus de Vienne dans le but de faire échouer la relance de l’accord de 2015 sur la limitation du programme nucléaire de l’Iran.

Cette démarche viserait à gagner du temps pour permettre aux ingénieurs iraniens d’avancer sur le plan de l’enrichissement de l’uranium bien au-delà des normes à usage civil. L’aspect le plus dangereux réside dans le fait que l’Iran est déjà en train de produire de l’uranium métal à 20%. Tous les experts s’accordent à dire que Téhéran n’en a aucun besoin civil.

Dès lors, une question se pose: le régime iranien est-il toujours décidé à respecter ses engagements de l’accord de 2015 ou a-t-il opéré un changement de cap radical, ayant pris la décision stratégique d’aller tout droit vers la bombe nucléaire?

Tout laisse penser que le durcissement du régime de Téhéran, qu’illustre l’élection du nouveau président, Ebrahim Raïssi, y est pour quelque chose. Le régime se positionne sur la défensive en se radicalisant, et, surtout, en s’accrochant à ce qu’il appelle ses «acquis stratégiques»: il y va de sa survie à moyen et long terme.

Enfin, comme pour montrer l’état d’esprit qui règne au sein de l’État profond que représente l’alliance, sous la bannière du Guide suprême, Ali Khamenei, entre le clergé conservateur et les militaires, on entend régulièrement parler de «l’espace vital» de l’Iran, qui reposerait sur son expansionnisme régional au Moyen-Orient et sur ses progrès dans le domaine nucléaire, et sans lequel le régime serait actuellement en train de livrer bataille dans les rues mêmes de Téhéran.

Voilà la logique qui expliquerait pourquoi le but du régime en Iran ne serait en aucun cas de retourner à l’accord de 2015, mais de posséder la bombe le plus rapidement possible!

 

Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban. Twitter: @AliNahar

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.