Kazemi à Washington face au «modèle» iranien

Le premier ministre irakien joue la carte de la réconciliation arabe. (Photo, AFP)
Le premier ministre irakien joue la carte de la réconciliation arabe. (Photo, AFP)
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Publié le Dimanche 25 juillet 2021

Kazemi à Washington face au «modèle» iranien

Kazemi à Washington face au «modèle» iranien
  • Tout cela s’est passé au moment où la capitale irakienne était le lieu de pourparlers entre des responsables saoudiens et iraniens qui avaient pour but de faire baisser les tensions entre les deux pays
  • C’est une bataille de longue haleine qui vise à arracher petit à petit le pays des mains de l’Iran qui vise à le modeler à son image

Demain (Lundi) le premier ministre irakien Moustapha Kazemi atterrira à Washington, pour entamer des pourparlers avec le président Joe Biden sur les modalités du prochain retrait des forces américaines, qui devrait avoir lieu à la fin de l’année, ainsi que sur l’avenir de la coopération avec les États-Unis surtout sur le plan militaire. Le retrait américain fait suite à une décision prise par le prédécesseur de Biden, Donald Trump, et devrait survenir après le retrait de l’Afghanistan.

C’est une décision lourde de conséquences au niveau stratégique, qui créera d’une manière ou d’une autre un vide que les acteurs régionaux seront amenés à combler, tant que l’Irak n’a pas réussi à mettre fin aux ingérences étrangères dans ses affaires internes. À ce niveau l’Iran est pointée du doigt pour être la partie la plus impliquée dans les affaires irakiennes, ce par l’entremise des milices, notamment chiites du « Al Hached - Al Chaabi » qui sont considérées comme étant majoritairement à la solde du corps militaire iranien des « Gardiens de la révolution ».

Ce développement hautement important est l’occasion de remettre sur le tapis la question des pays arabes qui subissent les méfaits de l’ingérence iranienne dans leurs affaires internes. Il est vrai que M. Kazemi œuvre courageusement avec les moyens du bord à améliorer sa marge de manœuvre vis-à-vis des deux acteurs les plus influents en Irak, l’Iran et les États Unis, mais il se heurte régulièrement aux tentatives des milices pro-iraniennes d’empiéter sur le terrain du gouvernement, tout en essayant de mener des vendettas contre des militants anti iraniens. Sur un autre plan le premier ministre irakien joue la carte de la réconciliation arabe. En fait il a entamé des visites officielles dans les pays du Golfe, surtout à Riyad et Abu Dhabi, enfin il a reçu fin juin à Bagdad le président égyptien Abdel Fatah al Sissi et le roi de Jordanie Abdallah II pour un sommet tripartite.

Tout cela s’est passé au moment où la capitale irakienne était le lieu de pourparlers entre des responsables saoudiens et iraniens qui avaient pour but de faire baisser les tensions entre les deux pays. On pourrait dire que le premier ministre irakien qui fait face à l’influence iranienne par proxy, joue un jeu pragmatique tout en tenant fermement ses positions de chef de l’exécutif œuvrant à étendre la souveraineté de la loi sur l’appareil de l’État. C’est un véritable équilibriste qui manœuvre tout en préparant les prochaines élections d’octobre prochain. Ces élections devraient être l’occasion de permettre l’émergence d’une nouvelle classe politique patriote attachée à la souveraineté de la loi, ainsi que la suprématie de l’État au détriment des milices pro-iraniennes armées jusqu’aux dents. 

C’est une bataille de longue haleine qui vise à arracher petit à petit le pays des mains de l’Iran qui vise à le modeler à son image. C’est une bataille contre un modèle que Téhéran tente par tous les moyens d’imposer partout où s’étend son influence. 

 

On pourrait dire que le premier ministre irakien qui fait face à l’influence iranienne par proxy, joue un jeu pragmatique tout en tenant fermement ses positions de chef de l’exécutif œuvrant à étendre la souveraineté de la loi sur l’appareil de l’État.

Ali Hamade

 En fait ce sujet fait depuis plus de dix ans couler beaucoup d’encre : le fait que le régime de Téhéran se vante de contrôler quatre capitales arabes (Bagdad, Damas, Beyrouth, Sanaa). On se rappelle bien comment plusieurs dignitaires du régime iranien déclaraient considérer que cette domination devrait mettre en avant la « République Islamique en Iran » comme modèle politico-socio-économique sur lequel ces quatre grandes capitales arabes devraient s’aligner, tout en boudant le model socio-économique qui régit le monde moderne de l’après-guerre froide. 

Un bref rappel : seuls deux pays alliés de l’Iran partagent avec ce dernier cette vision réductionniste et isolationniste vis à vis du monde moderne qui représente le « danger » (Satan). Ces pays sont la Corée du Nord et le Vénézuela. Le premier est gouverné par un régime sanguinaire héréditaire qui, fort de son arsenal nucléaire, se barricade tout en condamnant tout un peuple à une autarcie totale ; en somme une vie en marge du monde moderne. Le deuxième, qui fut pendant des décennies un des plus grands exportateurs de pétrole, a amorcé sous le régime kleptocrate d’Hugo Chavez et de son successeur Nicolas Maduro sa descente aux enfers par la faute d’une mauvaise gestion des affaires de l’État, ainsi que d’une corruption généralisée et galopante. Le régime vénézuélien finit par engloutir des centaines de milliards de dollars en jetant des millions de citoyens dans une misère quasi absolue, une population dont le rêve de fuir une situation économique intenable exerce une pression forte sur les frontières avec les pays voisins. 

 En se lançant dans sa « croisade » pour contrôler les pays voisins, à commencer par l’Irak, ensuite la Syrie et le Liban, et finalement le Yémen, l’Iran de Khomeiny entend se poser en modèle auquel, espère-t-il, les peuples de la région pourront s’identifier et suivre. L’expansionnisme iranien ne se limite pas à la conquête militaire, mais comme on le remarque dans les trois pays du Levant, l’Irak, la Syrie et le Liban, la volonté de Téhéran d’opérer de grands changements démographiques se précise. Le but serait de faire sauter les équilibres qui régissaient les différentes sociétés visées, en déchirant leurs tissus sociaux, afin de faciliter leur mise sous l’influence iranienne. Voilà ce qui explique en grande partie la destruction massive des régions jugées peu sures, et les transferts massifs de populations qui ont été opérés en Irak ainsi qu’en Syrie où la moitié de la population sera délogée et jetée dans des camps de fortune loin de leur terre d’origine. Au Yémen on assiste à un phénomène similaire. Au Liban c’est une tout autre affaire ; le « Hezbollah » mène une politique tentaculaire en acquérant en masse par l’intermédiaire d’hommes d’affaires louches des terrains et en y construisant de gigantesques complexes d’habitation pour y loger les nouveaux venus des régions à majorité chiite qui constituent la base populaire du « Hezbollah ».  Dans toutes les régions libanaises, en particulier dans la capitale Beyrouth autrefois à majorité sunnite et chrétienne orthodoxe, l’équilibre démographique change en faveur du parti pro-iranien. C’est un prélude à un changement qui viserait la nature même d’un pays où les équilibres entre communautés reste très délicat et incertain.  

 

En se rendant à Washington le premier ministre irakien Moustapha Kazemi, entend se démarquer de la ligne iranienne, tout en se gardant de trop « embrasser » la politique américaine. Reste à noter une chose importante : Kazemi semble vouloir se présenter comme un modèle d’homme politique arabe qui cherche, tel un équilibriste, à éviter de tomber d’un côté ou de l’autre, son but étant de soustraire son pays aux ingérences étrangères (principalement iranienne), en réhabilitant l’idée de la suprématie de l’état de droit sur le territoire national.