Quand les crises au Liban font ressortir le pire et le meilleur de l’humanité

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Publié le Vendredi 20 août 2021

Quand les crises au Liban font ressortir le pire et le meilleur de l’humanité

Quand les crises au Liban font ressortir le pire et le meilleur de l’humanité
  • La Banque mondiale a qualifié la crise économique du Liban de l'une des pires crises de la planète depuis le milieu du XIXe siècle
  • Le Hezbollah joue à des jeux de guerre à la frontière israélienne, menaçant d'entraîner le pays dans un conflit auquel la population s'oppose complètement

Historiquement, le Liban a toujours été associé au commerce, à la culture et la tradition. La «Suisse du Moyen-Orient» était une terre de beauté, avec un secteur financier solide et une gouvernance stable. Aujourd’hui, je ne reconnais pas mon pays. La situation au Liban peut se résumer à un mot: crise.

Le problème principal est la crise économique qui touche tous les aspects de la vie dans le pays. La Banque mondiale l'a qualifiée de l'une des pires crises de la planète depuis le milieu du XIXe siècle. Du fait de l’inflation, le prix des produits de consommation de la vie courante est monté en flèche, l'indice des prix à la consommation augmentant de plus de 208%, tandis que le coût de la nourriture et des boissons augmentait de 670%. Par ailleurs, les salaires perdent de plus en plus de leur valeur de jour en jour. Même l'armée est incapable de payer nos soldats, érodant le dernier pilier de la stabilité du Liban.

Mon pays souffre également d'une crise de santé publique évidente. Outre le fait de lutter contre la pandémie, la pénurie de carburant au Liban présente un nouveau défi pour les hôpitaux qui tentent de maintenir en vie les patients atteints de la Covid-19. La chute économique touche également le matériel médical. À l’instar de nos militaires, les professionnels de la santé quittent le pays, alors que la valeur de leurs chèques de paie diminue. La population prie pour la fin de la pandémie et pour obtenir un vaccin. Mais en attendant le salut, les élites contournent les files d'attente pour se servir.

Et puis il y a la crise politique. Le Liban est paralysé, sans gouvernement, depuis plus d'un an, tandis que des politiciens égoïstes se querellent dans le palais présidentiel. Les Premiers ministres désignés vont et viennent, alors que la population meurt de faim.

Le Hezbollah joue à des jeux de guerre à la frontière israélienne, menaçant d'entraîner le pays dans un conflit auquel la population s'oppose complètement. Les seigneurs de la guerre tirent des roquettes sur Israël – des actions coûtant des milliers de dollars qui devraient être utilisés pour soutenir les citoyens les plus démunis.

Ensuite, il y a les tragédies; des tragédies évitables qui déchirent les familles. Le 4 août 2020, des centaines de tonnes de nitrate d'ammonium ont explosé au port de Beyrouth, provoquant la mort de 218 innocents.

Pour commémorer l'anniversaire de l'explosion, j'ai pleuré sur le «cycle sans fin de souffrances» du Liban. Je ne savais pas qu'un peu plus d'une semaine plus tard, nous porterions à nouveau le deuil, cette fois pour les 28 personnes décédées dans l'explosion d'un réservoir de carburant au Akkar, dans le nord du pays. Encore une fois, la négligence et les crises d'origine humaine font des victimes.

Il est facile de perdre la foi lorsqu’on pense à la série de crises auxquelles le Liban est confronté, aux populations vivant dans des conditions inacceptables ou qui sont privées d’emplois équitablement rémunérés, aux bébés qui ont faim et aux personnes âgées dont les économies ont été anéanties. Il est facile de se mettre en colère contre ceux qui ont orchestré les crises – les fonctionnaires corrompus, les politiciens avides de pouvoir et les fanatiques aveugles –, car ce sont les pires de l'humanité.

 

Mais à l'occasion de la Journée mondiale de l'aide humanitaire, je veux célébrer ceux qui n'ont pas abandonné le Liban, le meilleur de l'humanité

Bahaa Hariri

Mais à l'occasion de la Journée mondiale de l'aide humanitaire, je veux célébrer ceux qui n'ont pas abandonné le Liban, le meilleur de l'humanité. En l'absence de services publics opérationnels, qui relèvent de la responsabilité du gouvernement, nous sommes soulagés de voir la force et l'altruisme du peuple libanais. Les communautés se rassemblent noblement pour s'entraider.

Partout au Liban, nous entendons des histoires de gens ordinaires faisant des choses extraordinaires. Même au milieu de l'horreur de l'explosion au port de Beyrouth, les Libanais ont montré au monde qui ils étaient vraiment. Parmi les personnes tuées, il y avait des pompiers qui ont donné leur vie en essayant de nous protéger. Dix pompiers – Najib Hati, Charbel Hati, Ralph Malahi, Charbel Karam, Joe Noun, Rami Kaaki, Joe Bou Saab, Élie Khouzami, Mathal Hawa et Sahar Fares – ont fait le sacrifice ultime et ne seront jamais oubliés.

Les habitants de Beyrouth ont offert un abri aux voisins dont les maisons ont été détruites et ont déblayé les décombres des routes pour ouvrir la voie aux ambulances. Des organisations telles que Sawa Li Lubnan continuent de soutenir les communautés touchées par l'explosion et l'aggravation de la crise économique. Pendant le Ramadan, Sawa a collaboré avec 200 bénévoles pour distribuer plus de 10 000 boîtes de nourriture aux familles confrontées à des difficultés financières et à l'insécurité alimentaire.

Les amis du Liban au sein de la communauté internationale sont également restés à nos côtés. Au moins 370 millions de dollars (1 dollar = 0,84 euros) ont été collectés par des donateurs lors d'une récente conférence internationale, tandis que des centaines de milliers de vaccins ont été offerts. À la suite de la tragédie du Akkar, le Koweït et la Jordanie n'ont pas tardé à envoyer du matériel médical, pour s'assurer que notre système de santé ne s'effondre pas sous la pression d'une autre explosion. L'ONU a également joué son rôle et mis en place un programme de développement aidant les municipalités à travers le Liban à former leur police municipale et améliorer leur capacité à servir leur communauté.

Bien que ces histoires soient un soulagement au milieu de faits de corruption et de négligence, la meilleure aide humanitaire que les Libanais puissent recevoir serait une nouvelle génération de dirigeants capable remettre le pays sur les rails.

C'est la raison pour laquelle Sawa Li Lubnan a étendu ses opérations, passant de la distribution de colis alimentaires à la communauté à une offre de moyens de se rétablir. Alternative claire à l'establishment actuel, la mission de l'organisation est de créer un système non sectaire qui éliminera la corruption et assurera la prospérité économique. Ce sont des visionnaires qui défient les responsables politiques qui président un Liban en déclin. Cela prendra du temps, mais je suis convaincu que l'avenir du Liban est plus prometteur que la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

En attendant, ce dont le Liban a besoin de toute urgence, c'est d’un gouvernement d'experts, capable de débloquer le soutien du Fonds monétaire international et de freiner la chute libre de l'économie. Un gouvernement pleinement opérationnel peut prendre le relais des héros et des travailleurs humanitaires qui maintiennent allumée la flamme du Liban dans nos heures les plus sombres.

Bahaa Hariri est le fils aîné de l'ancien Premier ministre libanais Rafik Hariri. Twitter: @bahaa_hariri_

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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com