Vacciner les réfugiés dans les camps, une priorité

Des réfugiés rohingyas attendent leur tour pour se faire vacciner contre la Covid-19 à Cox's Bazar, au Bangladesh, le 10 août 2021. (AP Photo)
Des réfugiés rohingyas attendent leur tour pour se faire vacciner contre la Covid-19 à Cox's Bazar, au Bangladesh, le 10 août 2021. (AP Photo)
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Publié le Mercredi 08 septembre 2021

Vacciner les réfugiés dans les camps, une priorité

Vacciner les réfugiés dans les camps, une priorité
  • À Cox's Bazar, au Bangladesh, plus d'un million de Rohingyas se sont entassés dans une véritable mégapole de bidonvilles après avoir quitté leur pays natal, la Birmanie
  • Un grand regroupement de jeunes gens qui survivent au virus, mais présentent une sorte de résistance partielle préalable: voilà la description du «défi» rêvé pour le virus

Les camps de réfugiés comptent parmi les endroits les plus peuplés du monde et leurs infrastructures médicales parmi les plus défectueuses. Ils représentent une menace non seulement pour leurs résidents, qui peinent pour survivre aux vagues d'infections comme celle du coronavirus, mais aussi pour le reste du monde, et risquent de devenir les incubateurs désignés de nouveaux variants du virus. Ce scénario se vérifie particulièrement à Cox's Bazar, au Bangladesh, où plus d'un million de Rohingyas se sont entassés dans une véritable mégapole de bidonvilles après avoir quitté leur pays natal, la Birmanie, pour échapper aux persécutions des militaires.

Heureusement, les autorités de Dacca ont déjà lancé une campagne de vaccination à Cox's Bazar, en collaboration avec des organisations non gouvernementales qui travaillent sur le terrain. Toutefois, il est à craindre que ces efforts ne se révèlent trop modestes et qu’ils n’interviennent trop tard. En effet, le camp est déjà en proie au variant Delta, ce qui a porté à 20 000 le nombre d'infections et à 200 le nombre de décès depuis le 10 août. La quasi-totalité des réfugiés qui y vivent seront probablement infectés, étant donné que le variant Delta est particulièrement infectieux, que la Covid-19 se propage de manière exponentielle et que la densité de la population du camp ne permet guère d'isoler les personnes atteintes du virus.

Les prévisions relatives à l’évolution de la situation de Cox's Bazar au cours des deux prochains mois n’apportent qu’une note positive: la population de réfugiés du camp est relativement jeune et un grand nombre d’entre eux ont déjà développé une résistance au virus au cours des vagues d'infection survenues l'année dernière, ce qui peut laisser penser que les taux de mortalité n'atteindront pas de sommets inquiétants.

Toutefois, cette réalité ne saurait occulter un certain nombre de risques réels. Un grand regroupement de jeunes gens qui survivent au virus, mais présentent une sorte de résistance partielle préalable: voilà la description du «défi» rêvé pour le virus. Ce dernier va chercher à surmonter les mécanismes d'immunité déjà établis, qui proviennent aussi bien des infections antérieures que des vaccinations partielles, et tâcher de gagner à nouveau du terrain dans cette bataille que le monde entier mène contre lui. 
Le pire, c'est que ce scénario était prévisible et qu’on aurait donc pu l’anticiper. L'année dernière encore, nous préconisons le déploiement rapide de vaccins dans les zones à risque à travers le monde telles que les camps de réfugiés.
Il ne s'agit pas ici de critiquer le gouvernement du Bangladesh, qui vient d’assurer, non sans peine, un accès fiable aux vaccins alors que les pays occidentaux se livrent à des campagnes de vaccination auprès de leurs citoyens depuis le mois de janvier, voire avant. 
Si l'on envisage la situation sur le plan épidémiologique, on s'aperçoit que le Bangladesh lui-même n'est pas tellement mieux armé que les camps de réfugiés: ce pays fait partie des pays dont la concentration de population est la plus forte du monde, et il reste relativement pauvre. Ses infrastructures médicales sont souvent insuffisantes et son économie repose sur des interactions individuelles directes. En raison de cette réalité et de la contrainte politique que représente la vaccination des réfugiés au détriment des électeurs autochtones, il est possible qu’on reproche aux autorités de Dacca d’avoir cherché à vacciner au plus vite les réfugiés rohingyas.
 

Les autorités ont déjà lancé une campagne de vaccination à Cox's Bazar. Toutefois, il est à craindre que ces efforts ne se révèlent trop modestes et qu’ils n’interviennent trop tard

Dr Azeem Ibrahim

La responsabilité en incombe plutôt aux pays occidentaux les plus riches, qui s'accaparent les stocks de l’ensemble des vaccins produits dans le monde depuis le mois de décembre dernier – que ce soit par des accords de priorité avec les fabricants ou parce qu’ils les achètent à un prix sur lesquels les pays plus pauvres comme le Bangladesh ne peuvent s’aligner – et qui s'approprient également les brevets sur les vaccins, ce qui restreint inutilement la production de vaccins dans le monde.

Les événements survenus au cours des douze derniers mois nous ont appris que les pays les plus pauvres, qui possèdent une population dense et des capacités de soins de santé déficientes, constituent des incubateurs pour les nouveaux variants. Les souches les plus dangereuses viennent évidemment du Brésil et de l'Inde. Pourtant, nous avons insisté sur la nécessité de vacciner les jeunes gens bien portants en Occident plutôt que de demander d’acheminer les vaccins vers les zones qui en ont le plus besoin et où ils pourraient aider à endiguer la pandémie à l'échelle mondiale.
Jusqu'à quand faudra-t-il attendre pour que nos dirigeants comprennent enfin ces leçons? Combien de personnes devront mourir et combien de nouveaux variants devons-nous tolérer pour avoir refusé de gérer la pandémie comme une menace qui pèse sur le monde entier?


Le Dr Azeem Ibrahim est directeur au Center for Global Policy. Il est l’auteur de The Rohingyas: Inside Myanmar’s Genocide («Les Rohingyas: à l’intérieur du génocide de Birmanie»), publié aux éditions Hurst en 2017.

Twitter: @AzeemIbrahim 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com