La compétence universelle peut rendre justice aux victimes du génocide

Un réfugié rohingya, épuisé, après avoir traversé le golfe du Bengale en bateau, à Shah Porir Dwip, au Bangladesh, le 11 septembre 2017. (Reuters)
Un réfugié rohingya, épuisé, après avoir traversé le golfe du Bengale en bateau, à Shah Porir Dwip, au Bangladesh, le 11 septembre 2017. (Reuters)
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Publié le Vendredi 10 décembre 2021

La compétence universelle peut rendre justice aux victimes du génocide

La compétence universelle peut rendre justice aux victimes du génocide
  • Cette avancée judiciaire renforce l’espoir que, dans un avenir proche, le droit international aura enfin suffisamment de mordant pour pouvoir réellement dissuader des pires crimes contre l’humanité
  • S’ils sont reconnus coupables, les dirigeants de l’armée birmane, qui auraient orchestré le génocide contre les Rohingyas, feront probablement l’objet de mandats d’arrêt argentins

La semaine dernière, un tribunal argentin a accepté d’examiner les plaintes de génocide déposées par les survivants des «opérations de nettoyage» de 2017 dans la partie ouest de la Birmanie par une organisation de défense des droits des Rohingyas, basée au Royaume-Uni. L’affaire a été portée devant le tribunal de Buenos Aires, en vertu du principe de compétence universelle, selon lequel les investigations sur certains crimes particulièrement atroces peuvent être poursuivies partout dans le monde, conformément aux normes établies du droit international.

Tout comme l’affaire portée par la Gambie contre la Birmanie auprès de la Cour internationale de justice en 2019 pour le génocide des Rohingyas, cette dernière évolution judiciaire est une réelle avancée pour le développement du droit international. Elle renforce également l’espoir que, dans un avenir proche, le droit international aura enfin suffisamment de mordant pour pouvoir réellement dissuader des pires crimes contre l’humanité, en démontrant que les violations de ses statuts et normes ne seront pas sans conséquences pour les individus qui ont commis ces actes.

En acceptant d’examiner cette affaire, le tribunal argentin invoque explicitement le concept de jus cogens, qui fait référence à certaines normes impératives du droit international, selon lesquelles les tribunaux doivent prendre des mesures pour empêcher de futures violations des crimes contre l’humanité définis dans leur législation fondamentale. C’est-à-dire que la cour a réitéré – et donc renforcé – le principe selon lequel les tribunaux, partout dans le monde, sont tenus d’examiner des cas de violations de la dignité fondamentale des êtres humains, afin d’imputer la responsabilité de ces crimes à leurs auteurs et d’exercer ainsi un pouvoir de dissuasion auprès de futurs agresseurs potentiels.

Cette décision du tribunal argentin prouve que les mécanismes et les principes de poursuite des auteurs de génocide, où qu’ils se trouvent, existent dans les pratiques actuelles du droit international. Cela soulève, malheureusement, la question de savoir pourquoi cette responsabilité n’a pas été portée par les tribunaux d’autres pays, en particulier les pays qui se targuent d’être les défenseurs des droits de l'homme et du droit international, comme les puissants pays occidentaux.

S’ils sont reconnus coupables, les dirigeants de l’armée birmane, qui auraient orchestré le génocide contre les Rohingyas, en particulier au plus fort de la crise en 2017, feront probablement l’objet de mandats d’arrêt argentins. Certes, cela n’aura que des retombées politiques limitées pour ces individus, dont beaucoup dirigent actuellement la junte en Birmanie. Par ailleurs, les répercussions ne seront pas considérables sur leur vie ou leur poste au sein du gouvernement en place dans le pays.

Cependant, si l’exemple donné par le tribunal de Buenos Aires est suivi par des tribunaux aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Suisse et à Singapour, entre autres – comme l’impose le principe de jus cogens –, cela aura certainement une incidence directe sur les individus poursuivis en justice, s’ils sont reconnus coupables par tous ces tribunaux. Tous ces pays, et toutes les entreprises (institutions financières, compagnies aériennes, etc.) basées dans ces pays, seraient alors contraints de cesser toute affaire avec ces individus, ce qui en pratique nuirait gravement aux dirigeants de la junte, qui répriment actuellement les manifestations civiles pour la démocratie en Birmanie, tout en les privant des ressources économiques sur lesquelles ils comptent dans leur emprise déjà précaire sur le pouvoir.

Néanmoins, John Packer, directeur du Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne (CREDP) à l’université d’Ottawa et animateur du Forum juridique rohingya du Newlines Institute, estime que la responsabilité individuelle ne devrait pas être confondue avec le dédommagement et la responsabilité de l’État. «Cette perspective de responsabilité pour certaines personnes ne doit pas être comprise comme une voie vers un dédommagement utile», déclare-t-il. «Cela nécessite d’aborder la responsabilité de l’État qui est, en fin de compte, l’entité de droit à la fois à l’origine des torts et capable de les réparer», poursuit-il.

 

«Un tribunal argentin prouve que les mécanismes de poursuite des auteurs de génocide, où qu’ils se trouvent, existent dans les pratiques actuelles du droit international.»- Dr Azeem Ibrahim

 

Un nouvel avenir s’ouvre grâce à la justice argentine; un avenir où certains des pires crimes contre l’humanité qui ont lieu sur la planète auront des conséquences; un avenir où les victimes obtiendront au moins une reconnaissance des torts qu’elles ont subis et une chance d’obtenir un dédommagement juste. Mais tout cela exige que les pays occidentaux puissants qui prêchent le droit international et les droits de l’homme respectent leurs propres engagements et suivent l’exemple donné par le tribunal de Buenos Aires. Maintenant que nous savons qu’un tel avenir est possible, nos propres institutions seront-elles à la hauteur de leurs promesses et nous offriront-elles un tel avenir?

 

 

 

Le Dr Azeem Ibrahim est directeur du Center for Global Policy. Il est l’auteur de The Rohingyas: Inside Myanmar’s Genocide («Les Rohingyas: à l’intérieur du génocide de Birmanie»), publié aux éditions Hurst en 2017.

Twitter: @AzeemIbrahim 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com