PARIS: Les ondes du «séisme afghan» touchent l’Europe sur les plans politique, stratégique et humanitaire. La France et l’Union européenne (UE) seront amenées à fournir une réponse cohérente face aux risques de l’effacement stratégique du vieux continent, à la menace terroriste et à l’épineuse question de l’accueil des réfugiés afghans.
Depuis la prise de Kaboul, le 15 août 2021, par le mouvement taliban, l’attention du monde est focalisée sur les développements du changement afghan et ses répercussions à plus d'un niveau.
Après le fiasco du retrait américain précipité du pays, Joe Biden a fait de l’évacuation des Américains, des étrangers et des Afghans «collaborateurs» son principal objectif. Toutefois, cela n’a pas empêché plusieurs États européens, dont l’Allemagne et le Royaume-Uni, de critiquer le retrait chaotique des Américains d’Afghanistan, et de pointer ainsi l’échec de l’intervention des Occidentaux dans ce pays, qui fut pourtant le terrain de l’une des missions les plus importantes de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan).
Autre signe de la «débâcle occidentale»: l’échec des pays européens concernés d’évacuer tous leurs ressortissants avant la fin du mois août, car ils ne sont pas considérés comme prioritaires par les forces américaines. Cette situation souligne le manquement stratégique européen constaté auparavant sur le terrain afghan.
Après la prise de pouvoir des talibans, les armées européennes ont procédé chacune à l’évacuation de leurs ressortissants mais n’ont pas été en mesure de sécuriser la zone. C’est une nouvelle preuve de la vulnérabilité de l’UE au point de vue militaire.
Défaillance stratégique de l’Europe
En effet, le retrait d’Afghanistan suscite déjà beaucoup d’interrogations européennes sur l’utilité des efforts engagés depuis une vingtaine d’années dans la lutte contre le terrorisme et la stabilisation, une des conséquences du «terrorisme de masse» perpétré le 11 septembre 2001. L’action militaire des pays européens dans le cadre de l’Otan est remise en question aujourd’hui par l’enchaînement rapide lié au retrait américain.
Ainsi, avec «la grande retraite» américaine, le rôle des Européens est à l’épreuve dans le contexte d’un «désordre stratégique mondial». Ce tournant afghan intervient alors que le thème de l’autonomie stratégique européenne s’est imposé dans le débat au cours des derniers mois. Il s’agit d’une urgence lorsque les États-Unis apparaissent comme un allié non complètement fiable. Ce constat incite à l’élaboration d’un agenda stratégique européen, principal ingrédient d’une Europe puissante.
Sous l’impact du changement afghan, l’appel à la constitution d’une «armée européenne» ou d’une «force de réaction rapide européenne» va dépendre d’une harmonie franco- allemande (liée au pouvoir allemand post-Merkel et à la prochaine élection présidentielle en France) et d’une encore hypothétique convergence entre les différents États membres sur l’utilisation de la force militaire (problèmes conceptuels et capacités de projection sur les théâtres des crises).
Cependant, l’UE devrait aussi tirer les leçons de son engagement en Afghanistan. Rappelons que l’UE fut le second contributeur financier du pays. Pour la période 2002-2010, la Commission européenne estimait à 8 milliards d’euros les fonds communautaires dédiés à l’Afghanistan (observation des élections, réforme de la justice et de nombreux projets de développement et d’infrastructure). Sans compter la présence militaire des États membres de l’Union qui s’élève un temps à près de 30 000 soldats.
Or, dans l’ensemble, rien de cela n’a suffi pour que l’UE donne une impulsion à la pacification de l’Afghanistan. Elle s’est aussi avérée incapable de tenir sa promesse de devenir un véritable agent global de paix, et un partenaire «écouté et respecté» par les Américains. Et tout ce bilan aura des effets sur le rôle international de l’UE et son aura à travers le monde. Pour toutes ces raisons, l’analyse des multiples défaillances de l’UE devrait pousser à tirer les enseignements nécessaires de cette expérience.
Le spectre du terrorisme
L’accélération des événements à Kaboul est intervenue à la veille du 20e anniversaire des attentats du 11-Septembre, et du procès hors norme des attentats du 13 novembre 2015 à Paris (il s'agit de la plus grande audience criminelle jamais tenue). La fin de partie en Afghanistan ne signifie pas que les États-Unis ont gagné «la grande guerre contre le terrorisme» et que l’Europe est plus protégée contre le risque terroriste. De plus, on ne tarde pas à observer que nombre de paroles ou de promesses ne s’accordent pas avec les actes des nouveaux maîtres de l'Afghanistan. Dans les faits, il s’avère que les signes donnés ne sont pas rassurants concernant la formation d’un gouvernement représentatif et inclusif, du respect des droits des femmes et du pardon pour les adversaires.
À ce propos, l’UE et les États-Unis ont réagi négativement à la composition du gouvernement intérimaire afghan, qui comprend la vieille garde talibane mais aucune femme, et tranche avec les promesses d'ouverture du régime. De surcroît, les craintes exprimées par le chef d’état-major des armées américaines, d’un possible retour d’Al-Qaïda et d’autres mouvances de la galaxie terroriste en Afghanistan, exaspère de pays européens touchés à plusieurs reprises par les attaques terroristes. Plus grave encore, les milieux sécuritaires européens n’excluent pas le risque d’infiltration de terroristes à travers les nouvelles vagues de réfugiés afghans.
L’épineuse question de l’asile afghan
Se profile également à l'horizon la question de l'asile afghan, qui roule comme une boule de neige, et ses fragments volent du Pakistan au Tadjikistan et à l'Iran et atteignent la Turquie, l'Europe et la lointaine Australie. À cet égard, les pays voisins ne peuvent pas porter tout le fardeau. Le problème doit être considéré comme global et mondial; il s’agit de trouver une juste répartition des réfugiés, et faire pression pour une situation politique apaisée en Afghanistan qui limite les vagues d'asile, ainsi qu’adopter des plans de reconstruction et de développement liés à des garanties politiques.
Avec 2,6 millions de personnes, les Afghans forment la troisième communauté protégée par le Haut-Commissariat aux réfugiés des nations unies, après les Syriens (6,7 millions) et les Vénézuéliens (4 millions).
Depuis la prise de pouvoir de Kaboul par les talibans, 123 000 personnes (dont 31 760 Afghans) ont été évacuées par les forces américaines. Les Britanniques et les Australiens ne sont pas en reste. Quant aux Allemands et aux Français, ils ont également évacué les Afghans qui ont coopéré avec eux sur place. Mais parmi les évacués figurent des collaborateurs civils pacifiques et des membres des forces spéciales.
Tous ces éléments soulignent l’impact de l’événement afghan sur la place de l’Europe et de sa sécurité face aux phénomènes du «terrorisme global» et du changement des rapports de force mondiaux aux dépens de l’Occident.