Le langage du mouvement: trois professionnels étudient la situation de la danse contemporaine au Moyen-Orient

Sarah Brahim est danseuse et chorégraphe. (Photo Fournie)
Sarah Brahim est danseuse et chorégraphe. (Photo Fournie)
Short Url
Publié le Vendredi 17 septembre 2021

Le langage du mouvement: trois professionnels étudient la situation de la danse contemporaine au Moyen-Orient

  • La danse a aidé Mira Majzoub à s'adapter à la tourmente qui a submergé le Liban
  • «J'ai créé un langage du mouvement qui a été extrait de mes propres circonstances», explique-t-il. «Des circonstances que j’ai vécues et que je traverse encore.» affirme Hamza Damra

LONDRES: Il y a un peu plus d'un an, Mira Majzoub a été contactée par le vidéaste Mansour Rachid. Il avait une idée. Il voulait réaliser un film d'elle dansant sur un morceau de musique particulier dans un certain endroit. Cet endroit serait l'ancienne fabrique de soie à Damour, au Liban. La musique serait «Ouverture II - Alf Leila Wa Leila» d'Ibrahim Maalouf.

«Nous discutions de savoir si ce serait de la chorégraphie ou de l’improvisation, et j'ai décidé de le faire comme une improvisation, parce que c'était un processus évolutif, donc je voulais que ce soit très authentique», explique Majzoub. «En fait, nous n'avons pas pris plus de deux ou trois prises, juste pour que ce soit authentique et pour que je décrive où j'étais à ce moment-là. Pour que ce soit sincère.»

Le résultat final était une transposition fascinante de l'identité culturelle complexe de la musique. Majzoub, qui s’est récemment inscrite à l'ACTS/Ecole de danse contemporaine de Paris, et qui est un membre relativement nouveau du Beirut Contemporary Ballet, a une fluidité intense tout en étant joyeuse dans ses mouvements. C'est peut-être pour cette raison que son interprétation a contribué à ouvrir une rare fenêtre sur le monde de la danse contemporaine - un monde autant incompris que sous-estimé.

Mira Majzoub a une fluidité intense tout en étant joyeuse dans ses mouvements. (Photo Fournie)

Pour Majzoub, la danse contemporaine, axée sur l'improvisation et la flexibilité, lui a permis d’aller au plus profond d’elle-même, de dévoiler tout un sens, et de faire face à des conditions extrêmes. «Parfois, je passe plus d'une heure à répéter le même mouvement, ou à répéter le même concept encore et encore parce que je découvre plus de sentiments, je découvre comment mon corps se déplace d'une certaine manière, et ce processus n'est pas seulement du bonheur, ce n'est pas seulement de la joie, cela me fait en quelque sorte aller d'un endroit à un autre», dit-elle. «C'est comme faire un pas de plus, creuser à l'intérieur la façon dont mon corps et mon cerveau se connectent l’un à l’autre pour créer.»

La danse l'a également aidée à s'adapter à la tourmente qui a submergé le Liban. Le lendemain de l'explosion au port de Beyrouth l'année dernière, elle est allée dans sa chambre, a fermé la porte et a commencé à bouger ses bras de haut en bas d'une certaine manière. Il n'y avait pas de musique, juste ce mouvement articulé, et une forme irrégulière de respiration.

«J'ai réalisé quelque chose», dit-elle. «Que même dans les bons ou les mauvais moments, même après une explosion ou lors d'un mariage, je serais en mouvement. C'est la première chose vers laquelle j'irais. La première chose vers laquelle mon corps irait. Pour la première fois, mon esprit était serein lorsque je faisais cette petite chose dans ma chambre. La danse est un outil pour m'adapter, la danse est un outil pour que je sois mentalement stable, et je suis heureuse d'avoir appris à gérer cela. Comment utiliser cette chose que je possède.»

Hamza Damra est à l'origine un breakdancer. (Photo Fournie)

Il en va presque certainement de même pour l'artiste du mouvement, interprète et chorégraphe Sarah Brahim, dont le travail couvre des thèmes tels que la disparition, l'identité, la race et la migration. L'identité est importante, en grande partie à cause de ses propres antécédents complexes - une combinaison de cultures américaine et saoudienne.

«Dès mon plus jeune âge, j'ai toujours été confrontée à des questions d'incompréhension – ‘D'où venez-vous?’ étant la plus habituelle, puis les questions s'enchaînaient à partir de là», dit-elle. «Cela provient des deux cultures auxquelles j'appartiens. Tant de personnes ont des expériences et des histoires transculturelles. Donc, travailler sur ce sujet donne l'impression que je suis capable de créer un espace où ceux d'entre nous qui ont l'impression de ne pas avoir d’appartenance ou un endroit qui est «chez eux» peuvent exister et sont les bienvenus.»

Pour Brahim, donner vie à un projet commence par un sentiment d'urgence personnel – un sentiment ou une idée qui «engloutit mon esprit et mon corps.»

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

A post shared by sarah brahim (@sahrab)

«Cela commence par un noyau, toujours quelque chose que j’estime être important, invisible, et devrait être amplifié», explique-t-elle. Certains projets, tels que «Roofless», ont été développés à partir de recherches en cours sur la relation entre le corps humain et l'architecture. D'autres, comme «Body Land/Back to Dust», ont nécessité neuf mois de mouvements, de recherche et d'écriture sur la façon dont son corps supportait la douleur et le chagrin. Ce dernier projet, réalisé lors d'une résidence à la Performance Works NorthWest, traite spécifiquement des mains, et il est devenu le germe de son travail actuel.

«J'utilise constamment l'improvisation structurée comme outil, car elle me permet de développer un matériel solide, mais aussi de me surprendre et de faire dans le même temps des expériences», confie Brahim, qui a étudié au San Francisco Conservatory of Dance et qui a été diplômée de la London Contemporary Dance School en 2016. «J'utilise cette approche avec les nombreux médiums avec lesquels je travaille, parce qu’il  est important pour moi de capter un sentiment ou une expérience spécifique, et qu’ils soient ressentis par les autres. Être ouverte au médium qui fonctionne pour communiquer et être suffisamment ouverte pour écouter profondément d'où viennent les choses me permet de rester ancrée dans ce que je fais, quel que soit le sujet ou la présentation.»

Brahim, qui travaille actuellement sur de nombreux projets, dont une représentation et quelques expositions, souhaite associer son expérience à la performance artistique. Cela signifie créer des sculptures et des installations qui existent en elles-mêmes mais qui font également partie intégrante de l'expérimentation et de la performance artistique.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

A post shared by sarah brahim (@sahrab)

Les raisons pour lesquelles elle danse ont cependant été redéfinies depuis le début de la pandémie. Comme beaucoup d'autres, elle trouvait important de tout reconsidérer dans sa vie et de réévaluer ce qui était vraiment important. «L'art et le mouvement m'ont sauvée, ainsi que tant d'autres, tout au long de cette période difficile, et ce n'était pas seulement les entraînements ou les médias», dit-elle. «J'ai regardé les communautés qui font partie de ma vie et les belles façons dont elles se réunissaient et offraient du temps, des conversations, des cours gratuits, de l'espace, et j'ai réalisé à quel point les gens faisant partie de ma vie étaient incroyables, et qu’ils s'étaient tous épanouis en poursuivant une carrière dans un travail créatif.

«Pour moi, il s'agit des gens. Ce que nous faisons, c'est remettre en question et pousser nos expériences encore plus loin avec chaque projet, et je trouve cela fascinant. Il n'y a rien d'autre que je préfère faire. Lorsque je regarde une représentation magnifique, que j'entends ou que je vois quelque chose qui résonne en moi, cette sensation de lumière et d'interconnexion est irremplaçable.»

C'est également vrai pour Hamza Damra, qui a grandi à Balata dans la banlieue de Naplouse. A l'origine breakdancer, pour lui la danse était, et reste toujours, une façon de réagir aux sentiments générés par l'environnement dans lequel il a grandi. «La danse m'a appris la signification de ces sentiments», dit-il simplement.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

A post shared by Hamza (@hamza_damra)

L'année dernière, il a reçu un financement de l’Arab Fund for Arts and Culture -AFAC-  (Fonds arabe pour les arts et la culture) pour «Me and I», un projet centré sur son expérience de vie entre la Palestine et la France. Le projet étant encore en préparation, Hamza Damra a choisi des mouvements colériques et tranchants pour représenter le temps passé en France (contrairement à la paix et la liberté qu'il y éprouve), et des mouvements plus fluides pour la Palestine, «malgré la situation difficile, les émotions instables, les incertitudes.»

«J'ai créé un langage du mouvement qui a été extrait de mes propres circonstances», explique-t-il. «Des circonstances que j’ai vécues et que je traverse encore.»

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

A post shared by Mira (@miramajzoub)

Malgré sa vitalité et son à-propos — et les innombrables bienfaits qu'en retirent ses interprètes — la danse contemporaine reste incomprise dans la région, parfois profondément. L'AFAC et la Sharjah Art Foundation, ainsi que d’autres fondations peuvent soutenir des représentations, mais celles-ci sont souvent considérées comme inaccessibles ou même réservées à l’élite. Il est peu probable que cette perception change sans que l'accent soit davantage mis sur sa valeur culturelle.

«Je pense que la performance artistique contemporaine dans son ensemble peut être sous-estimée partout dans le monde», affirme Brahim. «Donc moins engagée, documentée et médiatisée. La performance artistique est assez difficile à commercialiser ou (monétiser) par rapport à d'autres domaines créatifs, et c'est exactement ce qui la rend spéciale, vivante, temporelle, mais c’est aussi probablement pourquoi elle suscite moins d'intérêt. Mon travail a spécifiquement trouvé refuge dans des secteurs comme la musique, le design, le cinéma et l'art contemporain. À l'avenir, j'espère qu'il y aura de la place pour que toutes les formes d'expression soient moins rigides dans leur définition et plus intégrées dans leur forme.»

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


A Paris, le Centre Pompidou s'offre une dernière fête avant cinq ans de fermeture

un feu d'artifice intitulé "Le Dernier Carnaval" au Centre Pompidou (Beaubourg) à l'occasion de sa fermeture pour un projet de rénovation de cinq ans, à Paris, le 22 octobre 2025. (AFP)
un feu d'artifice intitulé "Le Dernier Carnaval" au Centre Pompidou (Beaubourg) à l'occasion de sa fermeture pour un projet de rénovation de cinq ans, à Paris, le 22 octobre 2025. (AFP)
Short Url
  • Le Centre Pompidou organise un dernier week-end festif baptisé « Because Beaubourg » avant cinq ans de travaux, transformant ses huit étages en un immense terrain de jeu mêlant concerts, performances et expériences immersives
  • L’événement, réunissant 80 artistes et plusieurs grandes marques partenaires, célèbre la culture et l’esprit d’ouverture du lieu avant sa fermeture pour rénovation complète

PARIS: Dans un tourbillon de musique, d'images et de patins à roulettes, le Centre Pompidou à Paris s'offre un dernier week-end festif avant cinq ans de travaux, avec "Because Beaubourg", événement qui transforme l'intégralité du bâtiment en un immense terrain de jeu.

"Je suis venu parce que j'ai entendu dire que c'était la fermeture. Et j'avais envie de participer à ça une dernière fois, pour en profiter un petit peu", explique à l'AFP Eliot Ibert, 23 ans, en coloriant une fresque participative.

Fermé au public depuis le 22 septembre, le bâtiment aux emblématiques tuyaux colorés rouvre ses portes ce week-end avec un parcours inédit. De vendredi à dimanche, quelque 80 artistes se produisent à travers concerts, DJ sets, performances, masterclasses, projections et expériences immersives sur les huit étages.

"C'est le plus grand événement que le Centre Pompidou ait fait depuis son ouverture", assure Paul Mourey, codirecteur artistique de l'événement, imaginé avec le label Because Music.

- "Spleen" -

Chaque étage propose une expérience différente. Au niveau -1, des pianistes amateurs se succèdent devant une fresque des étudiants des Beaux-Arts, tandis que le Forum, au rez-de-chaussée, devient le théâtre de performances en journée et un club illuminé la nuit.

Le Village des enfants prend place au 3e étage, tandis que plusieurs artistes et sociétés ont investi le 4e niveau. Shygirl, Shay ou Pedro Winter, fondateur du label Ed Banger, ainsi que les entreprises Spotify, Samsung et Snapchat, qui proposent de tester ses lunettes de réalité augmentée, participent à des installations et expériences interactives.

Autant de partenaires qui contribuent à financer l'événement.

Le premier et le sixième étage accueillent, de jour comme de nuit, des artistes tels que Catherine Ringer, Christine and the Queens, Selah Sue, Keziah Jones ou Sébastien Tellier.

Le musicien français, qui profite de l'événement pour promouvoir son nouvel album prévu en janvier, souligne l'importance de participer à cette célébration : "La culture, aujourd'hui, elle est rare. Quand il y a des petits îlots de culture, c'est important d'y être. Je n'avais pas envie de manquer ça."

Brigitte Baleo, 78 ans, retraitée ayant travaillé dix ans à la bibliothèque du Centre Pompidou, confie que la fermeture lui laisse "un peu de spleen".

"Ça tend l'estomac, il y a trop de souvenirs", ajoute-t-elle, émue. "Mais il faut que la fermeture ait lieu, pour réhabiliter ce monument".

Conçu en 1977 comme un lieu "ouvert à tous" par les architectes Renzo Piano et Richard Rogers, le bâtiment souffre aujourd'hui de vétusté.

Désamiantage, accessibilité du lieu, sécurité et complet réaménagement intérieur sont au menu de ses importants travaux de rénovation.

- Rollers et vue panoramique -

Cette fermeture, "c'est quelque chose qui me touche", abonde Florence, qui n'a pas souhaité donner son nom.

Férue d'électro, la Bordelaise de 57 ans vient d'assister au deuxième étage à "Space Opera", un film musical du duo français Justice projeté comme une expérience de clubbing, à quelques pas de l'installation inédite Camera/Man de Thomas Bangalter, un des deux membres de Daft Punk.

Pour encore plus de mouvements, elle compte bien expérimenter le Roller Disco qui fait vibrer l'ancienne galerie 1, au dernier étage.

Entre DJ sets, patins à roulettes et vues panoramiques sur Paris, l'ambiance mêle nostalgie et effervescence festive.

Gulliver Hubard, un étudiant britannique de 20 ans, savoure lui sa première visite. "C'est une chance de le voir avant sa fermeture", assure-t-il.

En journée, le programme est entièrement gratuit, et les organisateurs espèrent accueillir entre 10.000 et 15.000 visiteurs par jour.

Le programme nocturne, payant, a lui été pris d'assaut : les 12.000 billets se sont arrachés en à peine une journée.


AlUla ou comment le désert devient atelier d’art

Short Url
  • AlUla se transforme en laboratoire artistique où design, architecture et patrimoine dialoguent avec le désert
  • Entre traditions locales et innovation contemporaine, le désert devient un espace d’expérimentation, d’apprentissage et de création, où culture et paysage s’influencent mutuellement

PARIS: De la résidence de design à la construction du futur musée d’art contemporain confié à Lina Ghotmeh, AlUla se façonne dans le respect de sa mémoire et de son paysage.

À Paris, une table ronde organisée par la RCU et AFALULA a révélé les coulisses de cette transformation, celle d’un territoire millénaire devenu laboratoire d’expérimentation et vitrine du dialogue culturel franco-saoudien.

Dans le parc de l’hôtel des maisons (un hôtel particulier parisien construit au XVIII), la conversation s’est ouverte sur une question presque philosophique : comment bâtir dans le désert sans le dominer ? Comment concevoir à AlUla, ce paysage d’infini, une architecture qui parle à l’échelle humaine ?

La table ronde, intitulée “From the Land Up: Designing AlUla from Desert to Human Scale”, a réuni les acteurs clés du projet et plusieurs anciens résidents du programme AlUla Design Residency, créé il y a deux ans.

Ils ont tous en commun d’avoir approché cette terre d’exception, non comme un territoire vierge, mais comme un organisme vivant, porteur d’histoires et de voix anciennes.

L’événement, organisé par la Commission royale pour AlUla (RCU) et l’agence Française pour le développement d’Alula (AFALULA), a célébré l’ADN rare de cette région, qui est un mélange entre fouilles historiques, architecture, design et diplomatie culturelle notamment avec la villa Hegra. 

AlUla, déjà célèbre pour son patrimoine nabatéen et ses falaises sculptées par le vent, devient aujourd’hui un territoire d’expérimentation artistique mondiale, où le passé inspire le futur, et lui donne forme.

Au centre du projet, la vision de Lina Ghotmeh, architecte franco-libanaise à la tête du futur musée d’art contemporain d’AlUla, « Le musée ne doit pas être une icône posée dans le désert » explique-t-elle, « mais un générateur de liens, un espace de rencontre et d’hospitalité ».

Implanté près d’une ancienne oasis agricole, le musée s’enracinera dans le paysage tout en redonnant vie à des savoir-faire ancestraux, « nous travaillons avec la terre locale, avec des techniques de construction traditionnelles : torchis, terre comprimée, architecture bioclimatique, l’objectif est de renouer avec les ressources naturelles et la mémoire des lieux », souligne l’architecte.

Ghotmeh évoque aussi le dialogue qu’elle a tissé avec la communauté locale, « j’ai passé du temps à rencontrer les habitants, à partager un thé sous un oranger, à écouter les femmes qui ravivent l’artisanat, à visiter les écoles ».

Un jour, une fillette m’a dit, « le musée, c’est le lieu de l’extraordinaire, cette phrase m’accompagne toujours, car au fond, c’est bien de cela qu’il s’agit, créer un lieu qui relie la connaissance, l’émotion et la beauté ».

Dans son approche sensible, le musée devient un prolongement du paysage, un lieu où les visiteurs respireront la même lumière que les habitants, où la culture se fera conversation et échange.

« Il ne s’agit pas d’importer la culture, mais de la créer à partir du territoire », souligne Arnaud Morand, responsable des arts et industries créatives à AFALULA, c’est cette conviction qui guide toute la programmation culturelle d’AlUla.

L’une des premières grandes expositions préfigurant le musée verra le jour en janvier prochain, consiste en une collaboration entre AlUla et le Centre Pompidou, présentée d’abord dans une architecture temporaire conçue sur place avant de voyager dans le monde.

« C’est une coopération basée sur l’échange de savoirs et la lenteur, dit-il. À AlUla, on apprend à prendre le temps, l'art naît du sol, pas de la vitesse ».

Cette philosophie irrigue aussi les résidences de design et d’artistes qu’AFALULA co-dirige sur place, des programmes où jeunes talents et créateurs confirmés expérimentent à ciel ouvert, dans une relation directe avec le territoire, « Là-bas, chaque projet s’élabore dans l’écoute et l’humilité » affirme Morand.

« Lorsque nous arrivons à AlUla, nous devons laisser nos certitudes à la porte du désert » observe Ali Al Gazzaoui responsable du programme de résidences d’artistes, « il faut apprendre à écouter les habitants, à comprendre leur rapport au paysage, à la lumière, à la convivialité ».

C’est cette humilité partagée qui transforme le désert en école, les fondateurs du Studio Raw Material, Dushyant Bansal et Priyanka Sharma, anciens résidents du programme, racontent leur découverte émerveillée d’un lieu où « le matériau est partout de la roche, au sable, à la chaleur, et la lumière, tout devient matière à création ».

Leur expérience les a conduits à réfléchir à une forme de design « hors des centres urbains » à la faveur d’une pratique ancrée dans la vie quotidienne et les gestes ordinaires, « à AlUla, on apprend à se salir les mains, à construire, à inventer avec ce que la nature nous offre ».

Cette approche artisanale et poétique rejoint la vision d’Ali Alghazzawi, pour lui, « notre mission est de créer un écosystème où les créatifs peuvent dialoguer librement avec le paysage et expérimenter, car la durabilité ne se décrète pas, elle se vit ».

Tout ceci confère à AlUla qui est un site touristique d’exception, une autre dimension qui est celle de pépinière d’idées, de territoire d’apprentissage et de création contemporaine.


Le Gray fait son grand retour à Beyrouth : symbole d’espoir et de renouveau

Le chef étoilé Alan Geaam au Le Gray à Beyrouth, le 14 octobre 2025. De retour dans son pays natal après son succès à Paris, il dirige les cuisines de l’hôtel. (AFP)
Le chef étoilé Alan Geaam au Le Gray à Beyrouth, le 14 octobre 2025. De retour dans son pays natal après son succès à Paris, il dirige les cuisines de l’hôtel. (AFP)
Short Url
  • Cinq ans après l’explosion du port, Le Gray rouvre ses portes en novembre 2025, devenant un symbole fort de relance pour le centre-ville de Beyrouth et l’hospitalité libanaise
  • Sous la direction de Charles Akl et du chef étoilé Alan Geaam, l’hôtel incarne l’alliance du luxe, de la mémoire et du renouveau culturel, gastronomique et économique de la capitale

BEYROUTH: Cinq ans après l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth et la fermeture qui s’en est suivie, l’hôtel Le Gray s’apprête à rouvrir ses portes en novembre 2025, marquant un tournant symbolique pour la capitale libanaise. Situé sur la place des Martyrs, au cœur du centre-ville, cet établissement iconique, membre du réseau Leading Hotels of the World (LHW) retrouve son éclat d’antan et incarne l’espoir d’un renouveau pour l’hospitalité et la culture libanaises.

Un nouveau souffle pour Beyrouth

La réouverture de Le Gray intervient dans un contexte d’effort de relance économique. Depuis l’arrivée d’un nouveau gouvernement en janvier 2025, le Liban semble s’engager dans une phase de stabilisation et de redressement. L’ouverture des Beirut Souks plus tôt en octobre a déjà insufflé un vent d’optimisme dans une ville meurtrie, encore marquée par les séquelles de la guerre de 2024.

« C’est un retour à la vie et une réaffirmation de notre engagement envers Beyrouth, » déclare Charles Akl, directeur général de Le Gray.

« Le Gray a toujours été plus qu’un hôtel : c’est un symbole, un lieu de rencontre, une part de l’âme de la ville. Aujourd’hui, il revient pour redonner espoir et dynamisme au centre-ville. »

La gastronomie au cœur du renouveau

Symbole fort de ce retour : la cuisine. Le chef franco-libanais Alan Geaam, seul chef libanais étoilé au Guide Michelin, prend les commandes des restaurants de l'hôtel. Après vingt-sept ans en France, il signe ici un retour aux sources empreint d’émotion et d’ambition.

« Mon objectif est de porter encore plus haut le nom du Liban sur la scène gastronomique internationale, » confie le chef. « C’est un honneur de revenir à Beyrouth, de former de jeunes talents et de faire rayonner notre cuisine. »

Alan Geaam introduit à cette occasion Qasti Beyrouth, déclinaison locale de son restaurant emblématique présent à Paris et dans d’autres grandes villes, ainsi que Padam, une adresse signature au sein de l’hôtel.

--
Qasti Beyrouth : la cuisine d’Alan Geaam au cœur de Le Gray. (Photo: ANFR)

Une redécouverte d’un joyau urbain

À l’occasion du pre-opening de l’hôtel, un groupe de journalistes a été invité à redécouvrir les lieux. L’expérience a été décrite comme un moment d’émotion et de redécouverte, dans un cadre où se mêlent raffinement, art et mémoire.

Avec plus de 100 chambres et suites repensées sous la direction artistique de l’architecte Galal Mahmoud, l’hôtel allie élégance contemporaine et références subtiles à l’histoire et à la culture libanaises. Plus de 600 œuvres d’art ornent les espaces communs et les chambres, transformant l’hôtel en véritable galerie.

Le Gray propose également des espaces événementiels et de conférence modulables, capables d’accueillir aussi bien des événements professionnels que des célébrations privées.

Un lieu au carrefour du passé et de l’avenir

À quelques pas des Beirut Souks, du front de mer et de Zaitouna Bay, Le Gray se trouve à la croisée de l’histoire, de la culture et du renouveau économique. Il se veut désormais moteur du redéploiement touristique du centre-ville.

Pour Charles Akl, cette réouverture dépasse le simple acte économique : « C’est une responsabilité collective : celle de redonner de l’élan à la ville, de raviver les talents, et de réaffirmer la place de Beyrouth sur la carte mondiale de l’hospitalité et de la culture. »

Avec cette réouverture très attendue, Le Gray ne se contente pas de retrouver sa place dans le paysage hôtelier. Il incarne la résilience d’un peuple et la volonté d’un pays de se reconstruire, avec élégance et conviction.