Il est temps que le Liban se comporte en pays responsable

Une photo fournie par l'agence photo libanaise Dalati et Nohra le 13 septembre 2021 montre le Premier ministre libanais Najib Mikati présidant un conseil ministériel au Grand Sérail (Palais du gouvernement) dans la capitale Beyrouth. DALATI AND NOHRA / AFP
Une photo fournie par l'agence photo libanaise Dalati et Nohra le 13 septembre 2021 montre le Premier ministre libanais Najib Mikati présidant un conseil ministériel au Grand Sérail (Palais du gouvernement) dans la capitale Beyrouth. DALATI AND NOHRA / AFP
Short Url
Publié le Vendredi 24 septembre 2021

Il est temps que le Liban se comporte en pays responsable

Il est temps que le Liban se comporte en pays responsable
  • Pour sa première «sortie» à l’étranger, le Premier ministre libanais, Najib Mikati, est attendu vendredi à Paris
  • Il est grand temps que les responsables libanais se rendent à cette évidence: l’enfant gâté qu’était le Liban n’est plus toléré par le monde arabe ni par la communauté internationale

Pour sa première «sortie» à l’étranger, le Premier ministre libanais, Najib Mikati, est attendu vendredi à Paris pour un déjeuner de travail à l’Élysée avec le président français, Emmanuel Macron. Cette visite marque le «décollage» du cabinet Mikati dans sa quête pour mobiliser le soutien de la communauté internationale au plan de sauvetage que le Premier ministre a l’intention de présenter au président français qui apparaît comme le principal «parrain» international du nouveau gouvernement, aux côtes du parrain régional qu’est la République islamique d’Iran. Najib Mikati devra exposer à l’Élysée son programme d’action, qui devra répondre aux exigences de la communauté internationale, notamment en ce qui concerne les réformes urgentes et essentielles indispensables au sauvetage du Liban.

La composition du cabinet Mikati marque un retour en arrière.

Reçu à Paris tout juste une semaine après le vote de confiance à la Chambre des députés, Najib Mikati se positionne comme le protégé du président Macron qui, dit-on, l’aurait personnellement soutenu pour succéder à Saad Hariri. M. Mikati entretiendrait des relations étroites avec l’entourage de M. Macron et serait parvenu, grâce à son approche réaliste – un peu trop? – de la politique, à gagner les faveurs de Paris, ainsi que celles de Téhéran. De quoi l’aider à former, contre toute attente, un gouvernement qui n’est autre qu’une copie conforme de celui de ses prédécesseurs.

Si le gouvernement Mikati est le fruit de la nouvelle entente franco-iranienne, il serait tout à fait légitime de se poser la question suivante: où sont les pays arabes dans la nouvelle donne gouvernementale au Liban?

La composition du cabinet Mikati marque un retour en arrière. La seule différence avec les gouvernements qui ont précédé réside dans le fait qu’il est le fruit d’une entente franco-iranienne que l’administration Biden s’est gardée de court-circuiter. M. Mikati représente une certaine convergence d’intérêts entre la France et l’Iran, l’Hexagone apparaissant en tête des pays européens qui s’apprêtent à reprendre le «business as usual» («l’activité habituelle», NDLR) avec Téhéran une fois que les États Unis et l’Iran remonteront dans le train de l’accord nucléaire signé en 2015.

Si le gouvernement Mikati est le fruit de la nouvelle entente franco-iranienne, il serait tout à fait légitime de se poser la question suivante: où sont les pays arabes dans la nouvelle donne gouvernementale au Liban? D’autant que, jusqu’à ce jour, les pays du Golfe, historiquement les principaux bailleurs de fonds au Liban, maintiennent un silence radio! Aucune déclaration officielle n’a été recensée lors de la désignation de M. Mikati comme Premier ministre ni lors de l’annonce de l’équipe ministérielle.

Beaucoup d’observateurs s’accordent à dire que le silence des pays du Golfe apparaît comme une sorte de «carton jaune» que ces derniers adressent à un gouvernement qu’ils estiment, comme les précédents, être à la solde du Hezbollah, le bras armé libanais du corps des Gardes de la révolution iranienne. Certains médias libanais rappellent que le Premier ministre avait déclaré quelques jours auparavant sur la chaîne américaine de langue arabe Al-Hurrah que le Hezbollah était la force dominante qui avait le dernier mot au Liban.

Les pays donateurs arabes font aujourd’hui preuve de beaucoup de réticence quand il s’agit de venir en aide au Liban, qui est en proie à une crise économique et sociale d’une ampleur inouïe.

Cette déclaration d’un Premier ministre en dit long sur le rapport de force au sein de son gouvernement. En effet, si le chef de l’exécutif considère d’une manière ou d’une autre que le Liban est dominé par le Hezbollah, cela veut dire que son administration n’est rien d’autre qu’une façade de cette domination, et cela expliquerait le silence arabe vis-à-vis du nouveau gouvernement.

Mais une autre question se pose aujourd’hui: qu’attendent exactement les pays arabes du nouveau gouvernement libanais?

Tout d’abord, ces pays ont été pendant longtemps des donateurs et des investisseurs très importants au Liban; ils ont dépensé des dizaines de milliards de dollars (1 dollar = 0,85 euro) en aides et investissements directs dans les différents secteurs économiques du Liban. Ils ne sont donc plus prêts à dépenser des sommes qui iront vraisemblablement, en grande partie, dans les poches de dirigeants corrompus. Ces fonds, s’ils ne sont pas engloutis par cette corruption gangreneuse qui ronge le pouvoir ainsi que l’administration publique, seront mal gérés et dilapidés comme cela a été le cas pendant des décennies.

Les pays donateurs arabes font aujourd’hui preuve de beaucoup de réticence quand il s’agit de venir en aide au Liban, qui est en proie à une crise économique et sociale d’une ampleur inouïe. Ils déclarent ne plus vouloir avoir affaire à des responsables politiques libanais corrompus jusqu’à la moelle. Par conséquent, ils attendent avant tout des actes forts en matière de lutte contre la corruption. Ils veulent également que soient placés aux commandes de l’appareil de l’État des gens qualifiés, compétents et intègres, et qu’on en finisse avec ce qu’on appelle communément le «free meal» (littéralement, «repas gratuit», NDLR). L’État libanais est appelé à montrer patte blanche en matière de gouvernance avant de demander de l’aide à l’étranger.

Le nouveau gouvernement libanais se trouve sur un véritable champ de mines, tant sur le plan intérieur que sur le plan extérieur. Le temps de l’argent facile et des promesses sans lendemain est bien loin.

À un autre niveau, plus politique cette fois, les États du Golfe sollicités pour aider le Liban à sortir de sa crise aiguë mettent l’accent sur le fait que ce pays, sous la coupe du Hezbollah, s’est transformé au fils des années en une plaque tournante où se trament des complots contre eux. Ainsi, au Yémen, les Houthis, qui ne cessent de bombarder des aéroports et ciblent des civils en Arabie saoudite, trouvent sur le territoire libanais des camps d’entraînement qui préparent leurs spécialistes en matière d’armes balistique et de drones kamikazes. Des dizaines de chaînes satellite vouées à la propagande iranienne contre les pays du Golfe émettent à partir de Beyrouth. Cerise sur le gâteau, il existerait un trafic gigantesque – des dizaines de millions de pilules – de Captagon, cette amphétamine tirée d’un ancien médicament psychotrope, que le Hezbollah est accusé de diriger à partir de la Syrie, via le port de Beyrouth, à destination de l’Arabie saoudite.

Les pays du Golfe insistent sur le fait que le Liban ne remplit pas son devoir, qui est d’empêcher que son territoire ne soit le point de départ d’actes qualifiés d’agressions portant atteinte à la sécurité nationale de ces pays. Le Hezbollah règne en maître au Liban et l’État le laisse faire ou, pire, pratique la politique de l’autruche. C’est la raison principale qui pousse les pays du Golfe à faire la sourde oreille quand ils sont sollicités pour aider le pays du Cèdre. Ils demandent que le Liban prenne ses responsabilités en se distanciant des tensions régionales et en empêchant avec fermeté toute atteinte à leur sécurité. Une telle attitude montrerait que l’État libanais s’oppose au Hezbollah, chose très improbable.

Le nouveau gouvernement libanais se trouve sur un véritable champ de mines, tant sur le plan intérieur que sur le plan extérieur. Le temps de l’argent facile et des promesses sans lendemain est bien loin.

Il est grand temps que les responsables libanais se rendent à l’évidence: l’enfant gâté qu’était le Liban n’est plus toléré par le monde arabe ni par la communauté internationale. Il est temps qu’il se conduise en pays adulte et responsable.

 

Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban. 

Twitter: @AliNahar

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.