Au congrès d'écrivains à Tunis, le français libère mais frustre parfois

(De gauche à droite) L'éditeur tunisien Karim Ben Smail, l'écrivain tunisien Yamen Manai, l'écrivain algérien Kamel Daoud, l'éditeur tunisien Elisabeth Daldoul et le journaliste et écrivain tunisien Hatem Bourial assistent à un dialogue lors de la séance d'ouverture du "Congrès mondial des écrivains de langue française " (Congrès mondial des écrivains de langue française) au Théâtre des Jeunes Créateurs de Tunis, la capitale tunisienne, le 25 septembre 2021. (Fethi Belaïd / AFP)
(De gauche à droite) L'éditeur tunisien Karim Ben Smail, l'écrivain tunisien Yamen Manai, l'écrivain algérien Kamel Daoud, l'éditeur tunisien Elisabeth Daldoul et le journaliste et écrivain tunisien Hatem Bourial assistent à un dialogue lors de la séance d'ouverture du "Congrès mondial des écrivains de langue française " (Congrès mondial des écrivains de langue française) au Théâtre des Jeunes Créateurs de Tunis, la capitale tunisienne, le 25 septembre 2021. (Fethi Belaïd / AFP)
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Publié le Dimanche 26 septembre 2021

Au congrès d'écrivains à Tunis, le français libère mais frustre parfois

  • « Que signifie écrire en français ? », l'évènement, organisé sous l'impulsion de l'écrivaine Leila Slimani et du festival Étonnants Voyageurs, a rassemblé plusieurs dizaines d'écrivains francophones dans des débats et ateliers littéraires
  • Son objectif ? « Déringardiser, dépoussiérer la francophonie », montrer que ce n'est « pas une institution rebutante, héritage de la Françafrique »

TUNIS, Tunisie : Imposée ou choisie, la langue française peut ouvrir au monde mais son usage est parfois frustrant pour refléter les émotions intimes, selon des auteurs réputés réunis ce week-end à Tunis pour le tout premier congrès mondial des écrivains francophones.

« Que signifie écrire en français ? », l'évènement, organisé sous l'impulsion de l'écrivaine franco-marocaine Leila Slimani (Prix Goncourt avec « Chanson Douce ») et du festival Étonnants Voyageurs, a rassemblé plusieurs dizaines d'écrivains francophones dans des débats et ateliers littéraires.

Leila Slimani a été investie en 2017 par le président français Emmanuel Macron d'une mission de "refondation de la francophonie". "J'ai immédiatement pensé que les meilleurs personnes pour analyser ce qui n'allait pas dans la francophonie c'étaient les écrivains", a-t-elle dit.

Son objectif ? "Déringardiser, dépoussiérer la francophonie", montrer que ce n'est "pas une institution rebutante, héritage de la Françafrique" et que la littérature française, c'est "une littérature monde, créolisée, pollinisée".

- « Une sorte de chagrin » -

D'où l'idée d'interroger les écrivains sur leur relation à la langue et l'identité française.

Née au Maroc, Leila Slimani, 39 ans, avoue "un rapport complexe" avec le français. Tout en étant issue d'une famille francophone et francophile, "j'avais parfois une sorte de chagrin à ne pas comprendre pourquoi je n'avais pas, avec l'arabe, le même rapport qu'avec le français".

En même temps, cela a été pour elle un moteur, qui a "favorisé le geste de l'écriture".

Fawzia Zouari, auteure tunisienne de 66 ans, a consacré un livre à son choix d'écrire en français ("Molière et Shéhérazade"). Fille d'un dignitaire religieux, elle a suivi une éducation en arabe, avant de tomber amoureuse de la langue française.

"J'ai commencé un voyage, ça m'est tombé dessus comme un torrent, je pense que les langues vous choisissent", explique-t-elle. Après des études de français et d'arabe, elle a opté pour la langue de Molière, n'osant écrire en arabe.

"C'est la langue du Coran, du style suprême, du seul écrivain par rapport auquel nous ne sommes que des écrivains secondaires, et moi je voulais être écrivain tout court".

A ses yeux, le français est en outre "porteur de valeurs universelles". Et son usage devrait être défendu en Tunisie et dans toute l'Afrique du Nord, alors qu'"il y régresse" sous l'effet "notamment de l'idéologie islamiste".

"Il y a un front politique qui essaye de faire passer les francophones pour des traîtres, des gens qui seraient encore pour la colonisation", a-t-elle dénoncé. Faisant une "grande différence" entre la France et le français, elle a appelé à "dédramatiser le lien avec la langue française, s'émanciper du passé colonial, réadopter cette langue d'une façon nouvelle et pacifiée".

A l'inverse, pour le Togolais Sami Tchak, 61 ans, écrire en français n'était pas un choix: "ma langue maternelle, le Tem, n'est pas une langue écrite, j'ai appris à lire et écrire en français".

Pour l'auteur de "La couleur de l'écrivain", la vraie question est celle de "la dépendance historique entre la France et ses anciennes colonies". "Les littératures francophones d'Afrique ne peuvent s'épanouir que par rapport à ce que Paris choisit et considère comme une littérature importante", selon lui.

- « Une belle relation » -

Ce qui préoccupe aussi l'écrivain c'est sa difficulté à décrire les émotions intimes de son enfance: "je me sens parfois plus à l'aise en français avec ce qui vient de la tête qu'avec ce qui vient de mon ventre".

Djaili Amadou Amal, 46 ans, (Goncourt des lycéens avec "Les Impatientes") entretient de son côté "une belle relation" avec le français. "La langue avec laquelle je communique, et pour nous les Camerounais avec plus de 240 ethnies et 200 langues, ça veut dire beaucoup".

Comme Sami Tchak, elle a l'impression de ne pas toujours réussir à "traduire exactement ses pensées d'une langue à l'autre".

En revanche, sa génération ne perçoit pas le français comme "la langue du colonisateur", c'est "quelque chose de naturel". D'ailleurs, elle rigole en disant "parler le français de la francophonie, un français peul ou un fula-français".

Décomplexée, elle "se sert du français pour promouvoir la culture peule, décrire (sa) société". "Grâce à ça, tous mes compatriotes savent aujourd'hui ce que ressentent les femmes peules dans le Nord Cameroun. C'est très important".


Cinéma: Hazanavicius et le réalisateur iranien Rasoulof ajoutés à la compétition cannoise

Mais M. Rasoulof, 52 ans, dans le viseur du régime et récemment libéré de prison, n'avait pas pu faire le déplacement, toujours frappé par une interdiction de voyager (Photo, X).
Mais M. Rasoulof, 52 ans, dans le viseur du régime et récemment libéré de prison, n'avait pas pu faire le déplacement, toujours frappé par une interdiction de voyager (Photo, X).
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  • Michel Hazanavicius, 57 ans, sera en lice pour la Palme d'Or
  • Mais M. Rasoulof, 52 ans, dans le viseur du régime et récemment libéré de prison, n'avait pas pu faire le déplacement

CANNES: Le Festival de Cannes a parachevé sa sélection lundi, invitant notamment en compétition un cinéaste iranien en rupture avec le régime, Mohammad Rasoulof, et le réalisateur Michel Hazanavicius pour un film d'animation.

Michel Hazanavicius, 57 ans, sera en lice pour la Palme d'Or avec "La plus précieuse des marchandises". Il s'agit d'une première tentative dans le cinéma d'animation pour le réalisateur très éclectique de "The Artist" (oscarisé en 2012) ou des deux premiers volets de la comédie d'espionnage "OSS 117".

Adapté d'une pièce de Jean-Claude Grumberg, le film évoque le souvenir de la Shoah et le sort d'un enfant juif qui échappe miraculeusement à la déportation vers le camp d'extermination nazi d'Auschwitz.

Le festival a également ajouté le nouveau film de Mohammad Rasoulof, "The seed of the sacred fig". Ce cinéaste, lauréat du prix Un Certain Regard à Cannes en 2017 ("Un homme intègre"), puis de l'Ours d'or à Berlin en 2020 ("Le diable n'existe pas"), avait été invité l'an dernier comme membre d'un jury.

Mais M. Rasoulof, 52 ans, dans le viseur du régime et récemment libéré de prison, n'avait pas pu faire le déplacement, toujours frappé par une interdiction de voyager.

Evoquant les questions brûlantes de la corruption ou de la peine de mort, Mohammad Rasoulof fait partie des réalisateurs iraniens primés dans les plus grands festivals mais accusés en Iran de propagande contre le régime, comme Jafar Panahi ou Saeed Roustaee.

Sujets sensibles 

Un troisième réalisateur, le Roumain Emanuel Parvu, est également ajouté à la compétition, portant à 22 le nombre de films en lice pour succéder à la Palme d'Or de l'an dernier, "Anatomie d'une chute" de Justine Triet.

Parmi eux, les œuvres d'illustres réalisateurs hollywoodiens, dont "Megalopolis" de Francis Ford Coppola et "Oh Canada" de Paul Schrader, une comédie musicale de Jacques Audiard, le nouveau film de Yorgos Lanthimos avec Emma Stone, après son Lion d'or pour "Pauvres créatures", ou encore une oeuvre sur Naples par l'Italien Paolo Sorrentino.

Hors compétition, le festival, qui se tiendra du 14 au 25 mai, a également annoncé lundi la première du "Comte de Monte-Cristo", avec Pierre Niney dans le rôle-titre, blockbuster français programmé hors compétition, tandis qu'Oliver Stone présentera en séance spéciale un documentaire sur le dirigeant brésilien Lula.

Trois films sont également ajoutés dans la section Un Certain Regard, dont le premier film comme réalisatrice de l'actrice Céline Sallette, un biopic sur l'artiste Niki de Saint-Phalle, avec Charlotte Le Bon.


Un chef-d'oeuvre oublié de Raphaël exposé au public dans une basilique varoise

Ce chef-d'oeuvre, un portrait de Marie-Madeleine de 46 centimètres sur 34 centimètres, y sera exposé pendant un mois dans cet édifice religieux (Photo, X).
Ce chef-d'oeuvre, un portrait de Marie-Madeleine de 46 centimètres sur 34 centimètres, y sera exposé pendant un mois dans cet édifice religieux (Photo, X).
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  • Ce chef-d'oeuvre, un portrait de Marie-Madeleine de 46 centimètres sur 34 centimètres, y sera exposé pendant un mois dans cet édifice religieux, considéré comme le troisième tombeau de la chrétienté après Jérusalem et Rome
  • Gardé constamment par deux gardes, ce portrait est bien mis en valeur par un éclairage doux au sein de la sacristie donnant au lieu une ambiance mystique

SAINT-MAXIMIN-LA-SAINTE-BAUME: L'exposition ce week-end dans la sacristie de la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (Var) pour la première fois au public d'un tableau oublié et récemment redécouvert du peintre italien de la Renaissance Raphaël a attiré de nombreux visiteurs, a constaté un photographe de l'AFP.

Ce chef-d'oeuvre, un portrait de Marie-Madeleine de 46 centimètres sur 34 centimètres, y sera exposé pendant un mois dans cet édifice religieux, considéré comme le troisième tombeau de la chrétienté après Jérusalem et Rome, qui abrite des reliques de Marie-Madeleine.

Une cinquantaine de personnes ont ainsi fait la queue dimanche après-midi pour pouvoir admirer ce tableau peu connu du maître italien auteur des "Trois Grâces" ou encore des fresques ornant le palais du Vatican à Rome "L'Incendie de Borgo" et "L'Ecole d'Athènes".

Les visiteurs doivent cependant s'acquitter la somme de trois euros pour l'admirer, des fonds qui serviront à soutenir la restauration de la basilique.

Gardé constamment par deux gardes, ce portrait est bien mis en valeur par un éclairage doux au sein de la sacristie donnant au lieu une ambiance mystique.

Tableau oublié 

La redécouverte de ce tableau oublié pourrait, pour certains, relever du miracle: un collectionneur français avait acheté ce portrait de Marie-Madeleine, datant de la rencontre entre Raphaël et Léonard de Vinci (1505), à une galerie londonienne sur son site internet pour 30.000 livres (près de 35.000 euros) en pensant qu'il s'agissait d'une oeuvre de l'école de Vinci.

Il avait ensuite fait appel à l'expertise d'Annalisa Di Maria, membre du groupement d'experts de l'Unesco à Florence (Italie) qui a authentifié l'oeuvre en septembre.

A l'issue d'innombrables analyses, dont la visualisation grâce à la lumière infrarouge des couches de carbone cachées par les pigments de peinture, ils ont pu attribuer le tableau à Raphaël (1483-1520).

Marie-Madeleine, premier témoin de la résurrection de Jésus, dont elle était une fidèle disciple, est une figure importante des Evangiles, souvent présentée comme une pécheresse repentie. Elle aurait passé les 30 dernières années de sa vie dans une grotte du massif de la Sainte-Baume, à une vingtaine de kilomètres de la basilique, devenue un haut-lieu de pèlerinage chrétien.


Des collages XXL à l'Orient-Express, JR veut «changer les perspectives»

Des gens regardent des œuvres de Claire Tabouret à la prison pour femmes de la Giudecca, qui abrite le pavillon du Saint-Siège, lors de la pré-ouverture de la 60e exposition d'art de la Biennale de Venise, le 18 avril 2024 à Venise (Photo, AFP).
Des gens regardent des œuvres de Claire Tabouret à la prison pour femmes de la Giudecca, qui abrite le pavillon du Saint-Siège, lors de la pré-ouverture de la 60e exposition d'art de la Biennale de Venise, le 18 avril 2024 à Venise (Photo, AFP).
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  • Oeuvres monumentales en trompe-l'oeil, portraits, collages... Des favelas de Rio au Louvre, de New York au Népal, le travail éphémère de l'artiste a traversé les frontières, jusqu'à faire l'objet de rétrospectives dans de prestigieux musées
  • Il y est souvent questions de sujets sociaux

 

VENISE: "Changer les perspectives" au-delà des frontières: après plus de 25 ans de carrière, le goût du voyage et de l'ailleurs continue de façonner l'oeuvre de JR, street-artist de renommée mondiale dont le dernier projet prend la route du rail.

A 41 ans, le photographe français au chapeau et lunettes noires, devenu célèbre avec ses collages photographiques XXL, s'est lancé dans un "projet fou": décorer tout un wagon du Venice Simplon-Orient-Express.

"Les gens connaissent tous l'Orient-Express, mais beaucoup ne savent pas qu'ils roulent encore", dit-il à l'AFP en marge de la 60e Biennale d'art contemporain de Venise.

Pour l'occasion, le rutilant wagon-lit bleu nuit, devenu légendaire grâce au roman policier d'Agatha Christie et à ses adaptations au grand écran, a circulé à bord d'une barge cette semaine sur les eaux de la lagune de la Cité des Doges, avant son lancement sur les rails européens au printemps 2025.

En décorant l'intérieur luxueux de cette "oeuvre vivante" - incluant un salon de thé et une bibliothèque - JR, qui maitrise les codes du happening, s'est amusé à dissimuler dans ses recoins divers clins d'oeil à son oeuvre, des lettres, des jumelles, jusqu'à un appareil photo des années 1920.

"C'est une de ces voitures là qui a eu 1.000 vies. Quand on l'a récupérée en Belgique, elle était encore toute brûlée et cabossée, parce qu'elle avait été abandonnée depuis longtemps", se souvient-il en confiant sa "fascination" pour l'univers des trains.

JR voit dans ce moyen de transport une manière de "faire voyager" ses oeuvres, "comme un message dans une bouteille".

Oeuvres monumentales en trompe-l'oeil, portraits, collages... Des favelas de Rio au Louvre, de New York au Népal, le travail éphémère de l'artiste a traversé les frontières, jusqu'à faire l'objet de rétrospectives dans de prestigieux musées.

Il y est souvent questions de sujets sociaux, comme les droits des femmes ("Women are Heroes"), l'immigration ("Déplacé.e.s") ou les armes à feu ("Guns in America").

«Vers l'inconnu»

Avant les festivals et les récompenses, le travail de l'artiste a puisé son inspiration sur les rails "avec les voyages en métro ou en RER" à Paris.

"Quand j'avais 16/17 ans, les appareils ont commencé à devenir numériques. La photo n'était plus un sport de riche. Puis on a démocratisé le voyage, on pouvait voyager pour rien en train ou en avion à l'autre bout du monde. Je pense que je n'aurais pas été artiste si je n'étais pas né cette année-là", confie-t-il.

Au-delà de sa mobilité géographique, le street-artist se plait à arpenter "un chemin vers l'inconnu", "comme le monde du ballet, de l'opéra, du train, etc. Finalement, c'est là où je pense que j'apprends le plus", reconnait-il.

La rencontre faisant partie intégrante du voyage, JR revendique un "art infiltrant" impliquant activement les communautés et le public afin de gommer l'opposition entre sujets et acteurs.

En novembre, 25.000 personnes ont ainsi assisté à un spectacle de sons et lumière, avec la participation de 153 danseurs sur un immense échafaudage devant la façade du Palais Garnier à Paris, métamorphosée en grotte par l'artiste.

Cette performance hypnotisante avait fait face à de nombreux obstacles, menacée par la pluie, les alertes attentat et les incertitudes techniques qui donnaient au projet "plus de chances d'échec que de succès".

"Ce que les gens ne réalisent pas, c'est que nous-mêmes on savait pas si ça allait se passer. Mais si ça marche, d'un coup, c'est quelque chose qui n'a jamais été fait. Pour moi, c'est le signe que c'est un chemin intéressant", explique-t-il.

"C'est encore ce que je fais aujourd'hui: voyager, confronter les images aux autres, changer les perspectives, mais surtout questionner. Parce que je pense que c'est ça qui a la plus grande force de l'art."