RIYAD: Quelle est la probabilité pour qu’un petit-fils exerce le même métier que son grand-père dans un pays étranger soixante-dix ans plus tard? Telle est l’histoire d’Adrien Lacroix, conseiller en commerce et en placements pour la Wallonie en Belgique, et de son grand-père, Roger Lacroix, qui a rempli la même mission entre 1950 et 1957 en tant que conseiller auprès de l’Office belge du commerce extérieur.
Roger partait souvent en mission à l’étranger pour participer à des foires commerciales internationales, mener des études de marché et organiser des visites de délégation. Adrien a suivi ses traces à l’ambassade en Arabie saoudite.
«Je travaille pour l’Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers (Awex). Mes missions en Arabie saoudite, en Oman et au Yémen se déclinent en deux volets: je suis là pour soutenir les entreprises belges, plus particulièrement les sociétés wallonnes (partie francophone de la Belgique), afin qu’elles développent en Arabie saoudite, et pour trouver des partenaires commerciaux. Je les accompagne dans leurs missions et dans leurs délégations et, par ailleurs, je les aide à attirer l’attention des investisseurs locaux sur le potentiel de l’économie wallonne. En d’autres termes, mon travail consiste à améliorer les relations commerciales entre les deux pays et à les renforcer», déclare Adrien à Arab News.
Ce n’est que lorsqu’il s’installe à Riyad l’année dernière – dans le cadre de sa première affectation à l’étranger – qu’il apprend que son grand-père a séjourné en Arabie saoudite. Un membre de sa famille lui a révélé que Roger avait vécu au Moyen-Orient pendant un certain temps.
Roger est mort il y a longtemps, à l’âge de quarante-neuf ans, alors que le père d’Adrien n’en avait que neuf. Adrien ne l’a donc pas connu.
«On ne m’a jamais rien dit sur son ancien poste, si ce n’est qu’il voyageait beaucoup, qu’il s’impliquait dans ses activités et qu’il travaillait dans la fonction publique», explique-t-il.
En fouillant dans les archives de sa grand-mère, Adrien a retrouvé le passeport original de son grand-père.
L’été dernier, Adrien a consulté les archives diplomatiques du ministère des Affaires étrangères de Belgique et a découvert que Roger était chargé de mener des études de marché dans neuf pays du Moyen-Orient.
Adrien est notamment tombé sur une étude menée par son grand-père: Le point de vue de l’Occident: l’Arabie saoudite des années 1950. Il nous confie que ce travail «revêt une importance particulière, parce que le pays était très peu connu à l’époque».
Le texte propose de plonger dans l’ancienne Arabie saoudite. Il évoque la situation géographique, économique et sociale du pays du point de vue d’un émissaire du gouvernement belge qui avait l’intention d’améliorer les activités commerciales avec le Royaume. Le pays était en plein essor sous le règne du roi Abdelaziz, environ cinquante ans après la découverte du pétrole.
L’étude décrit les grands projets entrepris au Royaume à l’époque. Ils sont, pour la plupart, financés par les redevances qui proviennent de l’exploitation pétrolière. La construction d’un oléoduc menant à la Méditerranée et de jetées dans les ports de Djeddah et de Damman, ainsi que la planification d’un grand réseau routier qui relie l’Arabie saoudite à tous les centres de la péninsule Arabique constituent des exemples des énormes progrès rendus possibles dans le temps grâce à ces nouveaux revenus.
L’étude révèle l’histoire d’une révolution technologique similaire, d’une certaine façon, à celle de l’ère Meiji au Japon, au XIXe siècle. À cette époque, la plupart des bénéfices de l’Arabie saoudite venaient des visites des pèlerins (150 000 d’entre eux visitaient La Mecque chaque année) avant la découverte des réservoirs de pétrole. Le Royaume est alors devenu un terrain d’investissement fertile et un partenaire commercial particulièrement convoité par l’Occident.
Au moment où l’étude de Roger est publiée, Riyad compte 50 000 habitants et la population bédouine domine le pays. Les Saoudiens s’intéressent beaucoup aux produits alimentaires comme le beurre ou les fruits et légumes en conserve. Djeddah vient tout juste d’abattre ses murs pour mettre en place de nouveaux hangars, des entrepôts et des résidences privées – symboles de la nouvelle ouverture du pays.
Comme Roger l’affirme avec éloquence dans son étude: «L’Arabie saoudite, qui a longtemps fermé ses portes à la civilisation occidentale, nous accorde enfin notre chance. C’est à nous de la saisir.»
«Il faut tenter d’imaginer l’environnement dans lequel Roger a vécu, les conditions de déplacement en 1950 et ce qu’était alors le réseau routier: la route principale, ou encore celle qui relie Djeddah à La Mecque, la seule qui était asphaltée. Pour moi, le travail qu’il a réalisé en rassemblant toutes ces informations, en prenant des photos et en se rendant dans tous ces pays est assez impressionnant», poursuit Adrien.
Selon Adrien, la Belgique n’avait pas d’ambassade en Arabie saoudite à l’époque où son grand-père était en poste. Mais la chose est devenue indispensable avec l’expansion rapide du Royaume.
La première ambassade de Belgique a ouvert ses portes en 1955 à Djeddah. Grâce à la contribution de Roger, l’État belge décide qu’il est extrêmement important d’être physiquement présent en Arabie saoudite afin d’aider les entreprises à soumettre des appels d’offres pour des projets, à maintenir des liens plus solides avec les partenaires commerciaux et à faire connaître les compétences, l’économie et les produits belges qui pourraient convenir à l’économie saoudienne», indique-t-il.
Adrien affirme que certaines observations formulées par son grand-père dans son étude datant de 1950 sont toujours pertinentes de nos jours.
Roger mentionne que les produits belges sont parfaitement adaptés au développement de l’économie saoudienne.
«Dans le temps, nous exportions surtout des produits en ciment, en fer et en acier utilisés dans le secteur de la construction et du matériel ferroviaire. L’Arabie saoudite connaissait un essor rapide grâce à la croissance de l’industrie pétrolière et gazière. Le pays avait besoin de ces éléments de construction et de cet équipement de transport.»
Aujourd’hui, la Belgique exporte des produits chimiques et pharmaceutiques tels que les vaccins, vers le Royaume.
Dans son étude, Roger soutient que les entrepreneurs belges devaient être très présents dans le Royaume, puisque les Saoudiens et les hommes d’affaires tenaient à les voir en personne.
«On ne pouvait pas se contenter d’envoyer une offre par e-mail, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Les partenaires commerciaux saoudiens ont besoin de vous voir, de vous parler et de maintenir les liens avec leurs homologues belges parce que, culturellement, les relations interpersonnelles sont très importantes en Arabie saoudite», souligne Adrien.
Ce dernier aurait souhaité que son grand-père soit vivant pour partager ses expériences et ses impressions sur l’Arabie saoudite. «J’aurais voulu pouvoir lui dire à quel point le pays a changé. Je pense que cela semblait presque impossible de son temps. C’est assez incroyable et tellement passionnant de faire partie de ce changement. J’aurais aimé aussi qu’il évalue mon travail, car j’ai pour mon grand-père une grande estime.»
Adrien conseille aux investisseurs saoudiens d’envisager la collaboration avec d’autres fournisseurs s’ils sont à la recherche de solutions innovantes en provenance de l’étranger.
«Bien que souvent inconnue du grand public, la Belgique est un champion de niveau mondial dans des secteurs qui s’accordent avec l’initiative Vision 2030: la santé, l’hydrogène, le divertissement, l’ingénierie mécanique, l’alimentation et les boissons, ou encore la logistique.»
Il termine en invitant la communauté des gens d’affaires à entrer en contact avec l’ambassade. «Je serais ravi de vous mettre en contact avec les bonnes personnes pour que, ensemble, nous réalisions des merveilles. [Ce n’est] pas une coïncidence si le célèbre proverbe arabe “L’unité est le pouvoir” ressemble à la devise belge “L'union fait la force”».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com