En finir avec les dérapages de Facebook, une urgence!

Les entreprises technologiques, les gouvernements et les organismes de presse respectables vont sans doute désormais conjuguer leurs efforts pour défendre cette vérité. (Photo, Shutterstock)
Les entreprises technologiques, les gouvernements et les organismes de presse respectables vont sans doute désormais conjuguer leurs efforts pour défendre cette vérité. (Photo, Shutterstock)
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Publié le Jeudi 07 octobre 2021

En finir avec les dérapages de Facebook, une urgence!

En finir avec les dérapages de Facebook, une urgence!
  • La montée en puissance des fausses informations et des médias partisans a entraîné à une méfiance massive du grand public
  • «Facebook s'est rendu compte que s'il modifie l'algorithme pour le rendre plus sûr, les gens passeront moins de temps sur le site, ils cliqueront sur moins de publicités, et Facebook gagnera moins d'argent»

Deux événements liés au géant de la technologie Facebook cette semaine devraient nous obliger à nous arrêter et à réfléchir à l'impact de l'essor des réseaux sociaux sur nos sociétés, en particulier dans le monde arabe.

Deux jours de témoignage de la lanceuse d’alerte Frances Haugen devant les sénateurs américains, et la panne de six heures de Facebook et d'autres produits populaires appartenant à Facebook, tels qu'Instagram et WhatsApp, montrent non seulement à quel point nous sommes devenus dépendants de ces plates-formes, mais ont également révélé deux des leurs principaux défauts: elles ne sont ni fiables ni dignes de confiance.

Elles ne sont en effet pas fiables car la panne de lundi a déconnecté des millions de personnes de leurs sources d'information de facto. Il ne s’agit pas d’une exagération. Selon le sondage d’Arab Youth Survey, en 2020, 79% des jeunes Arabes s’informaient sur les réseaux sociaux, contre seulement 25% en 2015. La panne devrait être un rappel brutal qu’il ne faut jamais mettre tous ses œufs dans un même panier et une mise en garde pour les passionnés de technologie qui ont fait pression pour que les fils d’actualité Facebook et les messages Twitter remplacent les médias traditionnels et les sites d’information crédibles.

On le sait depuis toujours, mais beaucoup ont choisi de l’ignorer. Jusqu'en janvier de cette année, Donald Trump était sans doute l'homme le plus puissant du monde, mais cela n’a pas empêché Twitter et Facebook de lui refuser l'accès à leurs plates-formes. La question n'est pas de savoir si ces interdictions étaient justifiées après l'horrible attaque perpétrée par certains partisans de Trump contre le Capitole américain. Le fait est que même Trump, avec tout son pouvoir à l'époque, n’a pas pu forcer les sociétés de réseaux sociaux à maintenir sa présence sur leurs sites. Cela devrait servir d’avertissement aux organismes d’information qui ont passé ces dernières années à donner leur contenu gratuitement à ces plates-formes au lieu d'investir leur temps et leur argent sur leurs propres sites: vous pouvez tout perdre à tout moment.

L'autre problème est que la dépendance accrue des consommateurs vis-à-vis des réseaux sociaux pour obtenir des informations a un prix, et pas seulement financier. La montée en puissance des fausses informations et des médias partisans a entraîné à une méfiance massive du grand public. Selon le Baromètre de confiance Edelman 2021, 59% des personnes interrogées pensent que les journalistes essaient délibérément d'induire les gens en erreur en publiant des informations qu'ils savent fausses ou des exagérations grossières. Pendant ce temps, environ 2,6 milliards de dollars (1 dollar américain = 0,86 euro) par an de recettes publicitaires affluent dans les caisses des éditeurs de fausses informations et de désinformations, selon NewsGuard et Comscore. Et rien de tout cela n'aurait été possible sans la popularité croissante des plates-formes sociales, dans le sens où elles ont donné une audience à quiconque le voulait et les ont récompensés pour l’avoir fait croître, qu'ils diffusent de vraies ou de fausses nouvelles.

Si une publication sur les réseaux sociaux incite à la haine, menace le bien-être d'individus innocents ou porte atteinte aux droits des personnes, l'entreprise qui a donné une plate-forme à cette publication ne devrait pas être exonérée de toute responsabilité ou absoute de ses obligations

Faisal J. Abbas

Vous pensez peut-être que tout cela n'est qu'une simple coïncidence, mais c'est là qu'intervient Haugen. La veille de son témoignage sur Capitol Hill, elle a expliqué dans une interview télévisée comment l'algorithme du fil d'actualité de Facebook est optimisé pour les contenus qui génèrent une réaction. Les propres recherches de l'entreprise montrent qu'il est «plus facile d’inspirer aux gens la colère que d'autres émotions», a déclaré Haugen. «Facebook s'est rendu compte que s'il modifie l'algorithme pour le rendre plus sûr, les gens passeront moins de temps sur le site, ils cliqueront sur moins de publicités, et Facebook gagnera moins d'argent.» En d'autres termes, dans le seul but de maximiser leurs profits, les plates-formes de réseaux sociaux ont peut-être accru les divisions dans nos sociétés, inspiré des attaques haineuses, convaincu les gens de voter pour des politiques ou des politiciens qui agissaient contre leurs propres intérêts, et créé un déficit de confiance mondial qui a conduit à une ligne floue sans précédent entre la réalité et la fiction.

Rien ne prouve que les opérateurs de plates-formes de réseaux sociaux aient voulu que cela se produise, et les intentions malveillantes des utilisateurs, qu'il s'agisse d’individus, de gouvernements ou d'entités privées, sont également à blâmer.

Est-il trop tard pour agir? Non, il n’est pas trop tard. Dans un rapport de notre unité de recherche et d'études ici à Arab News, l'expert en médias Juan Senor a soutenu que seul le journalisme pouvait sauver le journalisme. Il a souligné que les abonnés à des sites d'information crédibles ont en fait augmenté durant la pandémie – nous savons donc qu'il existe un marché pour la vérité, rapportée honnêtement. Les entreprises technologiques, les gouvernements et les organismes de presse respectables vont sans doute désormais conjuguer leurs efforts pour défendre cette vérité. Les gouvernements devraient imposer équitablement les entreprises technologiques et une partie de ces revenus devrait être investie dans les médias traditionnels.

Enfin, éliminons une fois pour toutes l'argument selon lequel Facebook, Twitter et autres ne sont pas des éditeurs. Ils le sont – tout comme Arab News, le Times de Londres ou le Washington Post – et ils doivent être soumis aux mêmes disciplines. Si une publication sur les réseaux sociaux incite à la haine, menace le bien-être d'individus innocents ou porte atteinte aux droits des personnes, l'entreprise qui a donné une plate-forme à cette publication ne devrait pas être exonérée de toute responsabilité ou absoute de ses obligations.

 

Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef d'Arab News.

Twitter: @FaisalJAbbas

NLDR: Les opinions exprimées par les auteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com